FOCUS – Alors que le Lyon-Turin est un des gros dossiers à l’ordre du jour ce mercredi 27 septembre du 34e sommet franco-italien à Lyon, les opposants à la ligne ferroviaire montent au créneau. Dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, Nicolas Hulot et Élisabeth Borne, sept décideurs politiques et économique* emboitent le pas au chef de file de l’opposition au Lyon-Turin Daniel Ibanez, réclamant le maintien du gel du projet.
Élisabeth Borne, ministre déléguée aux Transports lors de son audition au Sénat le 20 juillet 2017 (capture d’écran).
En juillet dernier, la ministre des Transports a en effet annoncé la volonté du gouvernement français de vouloir faire une pause pour mieux examiner les grands projets d’infrastructures de transport, dont le Lyon-Turin, et notamment leur financement.
Pour Bertrand Pancher, député UDI, Jean François Roussel, ancien dirigeant de la SNCF, pour les maires Luc Berthoud (La Motte-Servolex), Dominique Dord (Aix-les-Bains) et Gilles Margueron, (Villarodin-Bourget), pour les députées européennes Karima Delli et Michèle Rivasi, comme pour l’économiste Daniel Ibanez, geler le projet Lyon-Turin est « une décision de bon sens, de bonne gestion de l’argent public et des priorités ».
Le Lyon-Turin ni finançable, ni rentable ?
Alors que la très grande majorité de la classe politique française, exception faite des écologistes, porte le projet en bandoulière, ces “premiers” signataires espèrent bien que le président de la République enfoncera le clou devant son homologue italien.
Car pour eux, le Lyon-Turin n’est ni finançable, ni rentable. Un argument massue que le Conseil général des Ponts et Chaussées énonçait déjà en 1988, rappellent-ils, repris depuis par l’inspection générale des finances ou la cour des comptes.
Alors que l’Europe, sur fond de Brexit, ne s’est engagée à abonder, à hauteur de 40 %, qu’à la seule portion franco-italienne et ce que jusqu’en 2019, la question du financement du chantier reste entière. « Le Conseil d’État considère, comme le président de la République d’ailleurs, qu’à chaque projet doit correspondre son financement, ce qui n’est manifestement pas le cas du Lyon-Turin, écrivent les signataires. L’article 16 du traité franco-italien est, de ce seul point de vue, foulé au pied. »
Trop cher le Lyon-Turin ?
Le bon sens pour les opposants ? Utiliser l’existant, à savoir la ligne du Mont-Cenis, en la rénovant et en la modernisant. Impossible de mettre la ligne au gabarit rétorquent les promoteurs du Lyon-Turin, pour qui le Lyon-Turin n’est pas un simple projet franco-italien mais un chantier stratégique, de stature internationale. Un chantier très lourd aussi pour les finances. Si la portion franco-italienne devrait se monter à huit milliards d’euros, la ligne dans son ensemble est estimée à vingt-six milliards. Trop cher ?
« Avec l’argent du Lyon-Turin, il est possible de doubler et électrifier la voie ferrée Saint-Étienne/Clermont-Ferrand, de doubler la voie Bourg-en-Bresse/Genève, la voie Aix-les-Bains/Annecy et celle desservant Chambéry ou encore Grenoble/Gap en diminuant les temps de trajet et en augmentant sensiblement le nombre de trains pour les voyageurs du quotidien », assènent les détracteurs du Lyon-Turin.
Opposants d’un côté, partisans de l’autre se renvoient la balle depuis des années déjà, chacun campant fermement sur ses positions.
Du coup, le chantier, s’il a commencé au travers du creusement des galeries de reconnaissance, avance à pas comptés. Et le fret ferroviaire, le principal intéressé dans toute cette histoire, reste sur une voie de garage.
« La voie ferrée existante, à hauteur du nombre de trains de fret qui y circulait dans les années 80, permet de reporter immédiatement sur le rail les marchandises d’un million de camions chaque année, soit 78 % des 1,281 million de camions qui ont circulé en 2016 entre la France et l’Italie dans les vallées alpines, plaident les signataires. Ce report, supérieur à l’objectif européen fixé pour 2050, protègerait les Alpes de la pollution, du réchauffement climatique et la santé de la population. »
Le trafic routier dans les Alpes en baisse
La voie ferrée existante suffira-t-elle à supporter le trafic actuel et à venir ? Oui, rétorquent ces opposants. « Le nombre de poids lourds entre la France et l’Italie par les Alpes du Nord était en 2016 inférieur à celui de 1990, et en 2007 (avant la crise) il était inférieur à celui de 1993. Pourtant, les mêmes promoteurs prédisaient une explosion du trafic routier dans les Alpes, par la mise en service de l’autoroute de la Maurienne qui connaît chaque année des pertes d’exploitation comblées par l’argent public. »
Mais derrière la guerre du rail se joue aussi une autre bataille : celle des chiffres. « Après quelques années de baisse liée aux répercussions de la crise économique, l’évolution du trafic est à la hausse depuis 2015 d’environ 7 %, nous assurait Telt en août dernier. Et elle devrait se poursuivre dans les prochaines années. »
Faudra-t-il une énième étude pour y voir clair ? Car il n’y a jamais eu de contre-expertise, comme le faisait remarquer la cour des comptes dans son rapport sur les finances publiques de la France en mai 2017.
« Toutes les prévisions établies par Lyon-Turin Ferroviaire et Telt se sont révélées fausses depuis vingt-cinq ans, pour avoir été “en vase clos” afin de justifier le projet, l’inspection générale des finances qualifiant la méthodologie de “discutable” et concluant que “même dans ce cadre méthodologique contestable, les indicateurs de l’intérêt socio-économique étaient mauvais”, pointent les opposants au projet. La certification du coût par “un tiers extérieur”, prévue par le traité, a été confiée aux sous-traitants de Telt malgré l’engagement du Premier ministre. »
PC
- * La liste compte dans ses rangs, depuis ce 27 septembre, le sénateur André Gattolin ex-EELV qui a depuis rejoint La République en marche. Article mis à jour le 27 septembre 2017