REPORTAGE – Le Centre d’accueil et d’orientation (CAO) de Saint-Martin-d’Hères fermera ses portes le 30 avril. Géré par l’association La Relève, le bâtiment situé sur le campus a accueilli depuis fin octobre une centaine de migrants, majoritairement soudanais mais aussi afghans ou érythréens, dans l’attente du dépôt de leur demande d’asile. Si leurs situations administratives diffèrent, tous ou presque expriment le souhait de rester dans la région grenobloise. Un lieu où ils ont pu tisser des liens. Mais aussi bénéficier de la solidarité du milieu étudiant qui s’est notamment illustrée à l’occasion de la chaîne humaine organisée ce mercredi par le Réseau universités sans frontières (RUSF 38).
Mercredi midi, domaine universitaire de Saint-Martin-d’Hères. Depuis le parvis de la bibliothèque droit-lettres, une chaîne humaine s’élance dans les allées du campus, aux cris de « Solidarité avec les réfugiés ». Son but final ? La tour Arpej. Organisée par le RUSF 38, l’opération vise à soutenir les demandeurs d’asile hébergés dans ce bâtiment, ancienne résidence étudiante transformée en Centre d’accueil et d’orientation.
La structure, gérée par l’association La Relève, a ouvert ses portes fin octobre, afin d’accueillir les migrants transférés en Isère dans le cadre du démantèlement de la jungle de Calais. Au total, une petite centaine d’entre eux sont arrivés à Saint-Martin-d’Hères par trois vagues successives, le 27 octobre, le 2 novembre et le 18 novembre, en provenance de Calais, ainsi que d’Île-de-France. Des hommes seuls pour la plupart, originaires principalement du Soudan mais également d’Afghanistan, d’Érythrée, de République démocratique du Congo et du Pakistan.
Un parcours du combattant de plusieurs années
Objectif officiel : permettre aux migrants une mise à l’abri temporaire, le temps de constituer leur dossier de demande d’asile, avec l’aide des travailleurs sociaux de La Relève. Malheureusement pour eux, cette période d’accalmie touche à sa fin, la fermeture du CAO étant programmée le 30 avril prochain. Ensuite, ce sera le grand saut dans l’inconnu.
Certains seront “Dublinés”. Entendez dans les cas présents, renvoyés en Italie. Car selon la procédure Dublin III, l’État responsable de la demande d’asile est le pays de l’Union européenne par lequel est entré le migrant et où il a été contrôlé.
D’autres ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et seront expulsés vers leur pays d’origine. Les plus “chanceux” devraient, eux, être orientés vers des centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada), implantés un peu partout en France. Avant, peut-être, d’obtenir le statut de réfugié tant convoité.
Tous appréhendent l’incertitude de l’après-30 avril et énoncent les mêmes revendications, à l’instar d’Ahmed*, demandeur d’asile soudanais : « Nous ne voulons plus de procédure Dublin ; [nous voulons] la régularisation pour nous tous ; apprendre le français et enfin rester à Grenoble où nous avons créé des liens. » Pour lui comme pour tous ses compatriotes rencontrés, la capitale des Alpes fait en effet figure de véritable havre de paix après un parcours du combattant de plusieurs années, du Soudan à la jungle de Calais et aux squats parisiens, en passant par le désert libyen, la traversée de la Méditerranée et l’Italie.
« Si tu ne payes pas, t’es mort »
Debout à côté d’Ahmed, Ibrahim* opine : fonctionnaire au Soudan, il a dû « quitter [sa] famille en 2012 pour fuir la guerre » ravageant son Darfour natal. « On a roulé plus d’un mois dans le désert libyen en voiture, raconte-t-il. En Libye, on a été accueillis de manière très agressive. Les passeurs nous ont attaché les pieds et on devait payer encore plus que ce qui était prévu pour traverser le pays, sinon on était mort. Ils choisissaient les plus fatigués et les laissaient mourir de soif dans le Sahara. » Son regard se voile : « J’ai perdu plusieurs amis soudanais comme cela. »
Arrivé en Libye, Ibrahim a été « obligé de contacter [sa] famille, les amis, les parents de proches, pour récolter de l’argent » afin de financer la traversée du pays, ainsi que celle de la Méditerranée. S’il ne dévoile pas le montant de cette somme, c’était « très cher », affirme-t-il. Et là aussi, « si tu ne payes pas, t’es mort » ! Depuis cet épisode, il n’a « plus eu de nouvelles de [sa] famille » et prie pour qu’ils soient tous « encore vivants et en bonne santé ».
La suite de son périple – via Lampedusa, l’Italie, puis la France – a également été remplie de galères en tous genres : la faim, le froid, les brimades et extorsions, les contrôles de police… Aujourd’hui, Ibrahim attend la convocation de l’Office français pour l’accueil des réfugiés et apatrides (Ofpra) et n’espère qu’une chose : pouvoir « rester à Grenoble ».
Le contraste entre la quiétude du séjour isérois et la rudesse des mois précédents est, il est vrai, saisissant : « À Paris, on vivait dehors, on n’avait rien et on dormait dans la rue. À Grenoble, on a été bien accueillis, j’aime beaucoup la ville, je prends des cours de français. »
Les cours de français, « demande prioritaire de tous les migrants »
Cette bonne intégration grenobloise s’explique en grande partie par la solidarité manifestée par les associations et étudiants, dont le RUSF 38. Annabelle, Lucie et Rony font partie de la quinzaine de membres actifs du collectif, remonté en septembre sur le département. « Dès l’ouverture du CAO et les premières arrivées, on a organisé un événement pour les accueillir et une réunion d’information à Eve, où sont venues 200 personnes, explique Annabelle. On a lancé une communication pour collecter des vêtements, mettre en place des cours de français et l’accès à la médecine. »
Ces deux derniers éléments constituaient d’ailleurs « les demandes prioritaires de tous les migrants », poursuivent les trois militants du RUSF. « Pour les cours de français, au début, c’était un peu compliqué car, en général, ils ne parlent que l’arabe, ajoute Annabelle. En plus, on a tous les profils possibles : certains sont analphabètes, d’autres ont l’équivalent d’un Bac + 5. » Finalement, une salle a pu être réservée par l’intermédiaire du Centre universitaire d’études françaises (Cuef) qui a mis à disposition un stagiaire, le reste des cours étant assuré par des bénévoles.
Grâce au concours des bibliothécaires, les demandeurs d’asile ont également pu avoir accès aux bibliothèques universitaires et à Internet, tandis que le RUSF a négocié avec l’administration de l’Université pour qu’ils puissent bénéficier d’un statut d’auditeur libre dans les cours magistraux.
D’autres activités, en relation avec les étudiants, ont aussi été instaurées : match de foot, jeux de société, ateliers de musique, concerts de migrants dans des squats… Et une permanence juridique a lieu chaque jeudi, de 13 heures à 15 heures, dans le bâtiment Stendhal A.
Désireux de maintenir la pression, les étudiants et professeurs mobilisés ont décidé, avec l’accord des migrants, de reconduire la chaîne humaine tous les mercredis midi jusqu’à la fin avril. Un soutien qui renforce encore plus Ibrahim, Ahmed et leurs camarades soudanais dans leur volonté : « Déjà, on est devenus amis entre nous, on n’a pas envie de se séparer. Et puis, quand on voit ça, on a encore plus envie de rester ici. »
Pourtant, Ibrahim l’assure, aucun d’eux n’a quitté son pays de gaieté de cœur : « Mon rêve, c’est de revoir ma famille et retourner un jour dans un Soudan en paix ! »
Manuel Pavard
* Les prénoms ont été modifiés