TRIBUNE LIBRE – Nous condamnons avec force les tags et les menaces reçus par Eric Piolle. Ce sont des faits délictueux. Ce n’est pas de cette manière que doit se conduire le débat politique. Mais cela ne nous empêchera pas de continuer à faire une critique factuelle de l’action du maire et de sa municipalité à chaque fois que nous le jugerons nécessaire.
PASCAL CLEROTTE
Pascal Clérotte est porte-parole du groupe d’analyse métropolitain (Gam) qui, depuis 2013, se penche sur les décisions et comptes des collectivités locales. Et alerte. Pour ce groupe informel qui entend promouvoir une gestion saine et transparente des collectivités, celle de la ville de Grenoble pose question.
Ce citoyen grenoblois, consultant en intelligence concurrentielle pour un cabinet de conseil américain et expert en opérations et sécurité pour la Commission européenne fut militant socialiste à Fontaine jusqu’en 2008, puis écologiste à Bruxelles (parti Ecolo) jusqu’en 2015.
Ce que nous constatons depuis deux ans est une permissivité généralisée et délétère, des barrières qui sont d’ordinaire naturellement respectées par la plupart qui, une à une, tombent.
Si des imbéciles se permettent de commettre des délits (des tags et des menaces sont des délits), c’est parce que cela est perçu comme acceptable, possible et dans ce cas légitime politiquement. C’est parce que la satisfaction que procure la commission de l’acte délictuel est perçue comme supérieure au désagrément de la punition qui est susceptible d’en découler.
Des facteurs qui font monter la pression en s’accumulant
C’est le résultat d’un lent délitement des conditions mêmes de la vie sociale à Grenoble. Rachat du siège d’un banque pour 8 millions euros cash un mois après avoir déclaré la ville en faillite et avoir fait fermer les services publics au public ; destruction du tissu culturel ; fresque de Goin ; occupation du kiosque du jardin de ville avec canapé et télévision ; multiplication des squats et de la misère visible et invisible ; trafics étendus à l’ensemble de la ville, y compris dans des endroits qui en étaient indemnes auparavant ; règlements de compte à l’arme à feu en pleine rue, devant une école ; rixes faisant des blessés tous les week-ends à la sortie de bars et de boîtes de nuits ; matérialisation de la démarcation entre les quartiers sud, pauvres et les quartiers nord, riches par Cœur de Ville Cœur de Métropole ; coups de feu tirés sur les locaux d’un parti politique ; ville d’une saleté inacceptable et espaces publics mal entretenus ; multiplication des friches et arrêt des projets immobiliers et d’aménagement ; suppression de services publics dans les quartiers sensibles et augmentation des tarifs ; imposition de modes de déplacement résultant dans la congestion totale de la périphérie et la désertification du centre… Autant de facteurs qui pris individuellement (hors les règlements de compte et les rixes) paraissent peu prégnants mais qui, en s’accumulant, font monter la pression de manière insoutenable.
Ces conditions, ce sont les pouvoirs publics qui les créent. Non, l’État ne faut pas. L’État met les moyens adéquats et ne peut rien seul, principe de libre administration des collectivités oblige.
Le maire a toujours eu un rôle central dans la création des bonnes conditions de vie sociale dans sa commune. Il est responsable de l’ordre de public. Aucun élu en France, même pas le Président de la République, n’a de pouvoir réglementaire équivalent à celui d’un maire.
« Lui, le responsable, se considère au-dessus des non-responsables »
La stupide et condamnable campagne lancée par Alain Carignon a sans doute joué un rôle dans ce qui est arrivé au maire. Mais ce n’est que l’aboutissement – et l’utilisation cynique – d’un processus de délitement sur lequel nous avons eu cesse d’alerter depuis plus d’un an. Carignon a sans doute fourni le détonateur – et sa responsabilité est immense si c’est le cas – mais les explosifs ont été fournis par la municipalité qui seule a prise depuis deux ans et demi sur ces conditions puisque bénéficiant d’une majorité absolue au conseil municipal et contrôlant la Métro.
Face à une telle situation, la seule réponse que la municipalité apporte est technocratique et comptable. Elle oublie qu’une carte n’est pas le terrain. Elle refuse d’apprendre à connaître et de comprendre une ville dont la majorité des quartiers et la majeure partie de la population lui sont visiblement étrangers. Elle reste aveugle et sourde à tous ceux – acteurs sociaux, culturels et associatifs, unions de quartiers, opposition municipale, société civile, groupe de citoyens informels comme nous – qui, même s’il ne sont pas d’accord avec elle, ne lui veulent aucun mal mais demandent un débat serein et constructif.
Jean-Paul Portello dans un billet sur un blog a superbement décrit l’attitude du maire : « Lui, le responsable, se considère au-dessus des non-responsables, c’est-à-dire les habitants de sa cité. Il juge ses actions comme naturellement justes, même si elles ne sont pas comprises par les Grenoblois. Et évidemment, il se place aussi (c’est tendance) au-dessus des partis. Ses arbitrages étant les plus judicieux, il déclare que le fait de ne pas questionner les Grenoblois est positif pour eux. Cela permet de leur (les citoyens) épargner deux écueils : la concurrence entre les quartiers et la concurrence entre les dépenses publiques municipales. En agissant de la sorte, M. Piolle fait preuve de beaucoup de condescendance envers ses administrés, les considérant incapables de faire des choix politiques sans s’entre-déchirer. Ses décisions arbitraires sont très mal perçues par de nombreux habitants. Les promesses du candidat adepte de la démocratie participative n’ont pas été tenues. »
Les réactions de rejets n’ont pas encore atteint leur paroxysme
Comment s’étonner alors des réactions de rejet qui se multiplient, s’intensifient depuis deux ans. Elles n’ont, à notre avis, pas encore atteint leur paroxysme.
Oui, nous condamnons les tags injurieux et les menaces dont a fait l’objet Eric Piolle. Non, nous ne l’exonérons pas de son incapacité à travailler avec les autres et à prendre ses responsabilités. Non, nous ne l’exonérons pas d’un mode de gouvernance dont à la source se trouve la conviction fausse mais profonde d’être le seul à avoir les seules bonnes réponses aux seules bonnes questions. Non, nous ne l’exonérons pas de l’incompétence technique dont fait systématiquement montre sa municipalité alors que l’administration municipale est compétente. Non, les actes dont a été victime Eric Piolle ne nous détourneront pas de critiquer factuellement, de manière constructive, ses décisions et ses actes. C’est là l’essence même de la vie et du débat démocratique que les actes stupides et délictueux de certains n’autorisent pas à suspendre.
Il est encore temps pour la municipalité grenobloise de changer, et de méthode, et de comportement. La question est : en est-elle capable ?
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* Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
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