TRIBUNE LIBRE – Il y a quelques mois, le préfet de l’Isère a annoncé que la réhabilitation des copropriétés de l’Arlequin était conditionnée à la démolition d’un immeuble : le 160 galerie de l’Arlequin. Visiblement, les pratiques autoritaires du préfet, qui a toujours ses salons dans un bâtiment datant du second empire – l’époque du Baron Haussmann –, sont revenues au goût du jour. Pour preuve, trois ans après la destruction du 50 galerie de l’Arlequin, l’État exige de nouvelles démolitions à la Villeneuve : non seulement le 160 galerie de l’Arlequin mais il envisage également la démolition du 90 galerie de l’Arlequin, où se trouvent les services publics du Patio, la maison des habitants, la bibliothèque, l’Espace 600, la Maison de l’Image… Sont-ils devenus fous ?
DAVID GABRIEL BODINIER
Socio-urbaniste, membre de l’Atelier populaire d’urbanisme (Apu), David Gabriel Bodinier est coauteur du livre « Plaidoyer pour Villeneuve – Pouvoir d’agir et planification démocratique face à la rénovation urbaine de l’Arlequin », Paris, Éditions du Plan urbanisme, construction, architecture (Puca), « Recherche » n°231, 2016. Cette recherche s’inscrit dans le cadre du programme « Le Hors Champ de la production urbaine » du Puca.
On se souvient que la « percée du 50 » avait été imposée par l’État et la municipalité de Michel Destot, dans la foulée de l’intervention sécuritaire de l’État 2010 et du tristement célèbre “discours de Grenoble”. Mais elle avait été fortement combattue par les habitants à travers le collectif anti-démolition, le collectif Vivre à Villeneuve et Villeneuve Debout.
Suite à une lettre à la ministre Cécile Duflot, cette mobilisation avait donné naissance à un Atelier populaire d’urbanisme (Apu) qui avait élaboré collectivement un projet urbain stratégique et démocratique. Certains professionnels s’étaient également positionnés contre les démolitions, notamment les architectes Lacaton & Vassal. Dans leur manifeste, ils écrivaient : « le caractère d’exception de l’Arlequin demeure […]. Il s’agit de répondre localement à des éléments qui posent problèmes, d’ajouter, compléter, améliorer pour lui donner une valeur optimale, sans massivement démolir, sans amputer. Ne pas démolir pour éviter de détruire le système urbain qui, globalement, reste une alternative valide à l’ère du développement durable. Réinterpréter, améliorer, corriger. Aussi parce que chaque logement est précieux, comme chaque équipement. On peut toujours ré-utiliser, re-cycler, re-programmer les activités ou de nouvelles fonctions et services. »
Tout le monde pensait le temps des projets urbains autoritaires révolu
Le projet stratégique et démocratique de l’Atelier populaire d’urbanisme (Apu) et le programme esquissé par Lacaton & Vassal devait servir de base à la nouvelle municipalité pour imaginer le devenir de Villeneuve. Tout le monde pensait que le temps des projets urbains autoritaires était révolu. On se souvient que la campagne municipale avait été marquée par de fortes mobilisations des habitants pour dénoncer le manque de démocratie locale, en particulier dans les projets d’urbanisme.
La nouvelle équipe municipale avait prôné le « pouvoir d’agir des habitants », la transparence des données publiques et la co-construction des projets d’urbanisme. Elle annonçait une autre manière de faire de la politique. Enthousiaste, l’Atelier populaire d’urbanisme avait organisé, dans les mois suivants, une semaine de la co-construction rassemblant des centaines de personnes pour discuter du nouveau projet urbain de la Villeneuve. Après le départ de l’urbaniste Yves Lion, l’Apu avait également favorablement accueilli la nouvelle équipe de professionnels.
L’histoire se répète
La co-construction du nouveau projet pour la Villeneuve était une exigence démocratique pour réparer les dégâts causés par les discours irresponsables, les reportages à charge des médias et les actes autoritaires. Et pourtant, l’histoire se répète : une nouvelle fois, l’État poursuit sa logique destructrice et technocratique, sans prendre en compte ni la réalité locale, ni les nombreuses études réalisées à la Villeneuve qui montrent que les démolitions sont inutiles et coûteuses. Si l’objectif est d’améliorer le quotidien des habitants, les priorités sont ailleurs : rénover les écoles, rénover les équipements, améliorer l’espace public, rénover thermiquement les immeubles, améliorer la formation et l’économie productivo-résidentielle…
Pour faire face aux démolitions, les habitants ont lancé le 28 septembre 2016 une mobilisation collective. Toutes les organisations, associations et mouvements qui souhaitent apporter leur soutien sont les bienvenues. Quant aux élus de la Ville de Grenoble, ils doivent respecter le mandat qui leur a été confié et défendre Villeneuve. Ils doivent annoncer publiquement que l’avenir de ce territoire se décide à Grenoble, avec les habitants, et non pas dans les bureaux de l’Anru, à Paris, avec quelques techniciens. Ils doivent refuser les démolitions et dénoncer le chantage de l’État qui conditionne l’accès aux ressources publiques aux démolitions. Ils ont avec eux la loi de février 2014, dite loi Lamy, qui impose le principe de co-construction dans le cadre des projets urbains dans les quartiers “politique de la ville”.
Hubert Dubedout avait déjà du tenir tête à l’État
Ils ont également avec eux l’Histoire. Une vingtaine d’années avant les lois de décentralisation, Hubert Dubedout avait déjà du tenir tête à l’État pour que l’urbanisation de Grenoble vers le Sud soit réalisée par le pouvoir local et non l’État. Pour cela, il s’était entouré d’une coopérative d’urbanistes, d’architectes, de paysagistes et de sociologues – l’Aua – qui sera à l’origine… de la Villeneuve. Ils créeront également la première agence d’urbanisme de la région grenobloise (AURG)…
Alors que nous assistons à un retour du dirigisme étatique en matière d’urbanisme dans les quartiers “politique de la ville” – une nouvelle gouvernementalité qui touche en premier lieu les habitants des quartiers populaires qui subissent la Crise, l’État d’Urgence et l’Austérité imposée – les élus de Grenoble doivent rejoindre le mouvement des habitants en refusant les démolitions pour défendre Villeneuve, la justice sociale et le Droit à la ville !
***
* Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont vocation à nourrir le débat et contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
Vous souhaitez nous soumettre une tribune ? Merci de prendre au préalable connaissance de la charte les régissant.