BLOG JURIDIQUE – La commune de Charvieu-Chavagneux a adopté, mercredi 8 septembre 2015, une délibération sur les réfugiés violant les principes d’égalité et de laïcité garantis par la Constitution. Une décision qui devra être rapidement remise en cause par le juge administratif.
Il y a quelques années, tout le monde s’en souvient, Nicolas Sarkozy prononçait son discours peut-être le plus fameux, le “discours de Grenoble”. Le 30 juillet 2010, il lâchait une phrase qui choqua : « Et c’est dans cet esprit d’ailleurs que j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms ».
Une grande partie de la classe politique réagit alors en faisant remarquer, non sans raison, qu’une telle déclaration était discriminatoire, voire pire encore, en tant qu’elle désignait une catégorie de personnes en particulier en raison de leur identité même : les Roms.
La France, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale
L’affaire eut une suite juridique peut-être moins connue : une circulaire du 5 août 2010 fut adoptée, prescrivant aux préfets d’engager une démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux de Roms, et fixant l’objectif de réaliser au minimum une opération importante par semaine concernant prioritairement les Roms.
Cette circulaire fut attaquée par l’association SOS Racisme et, en 2011, le Conseil d’État l’annula au visa de l’article 1er de la Constitution en vertu duquel « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion (…) ». Le juge considéra que « si le ministre soutient qu’elle a été édictée dans le but d’assurer le respect du droit de propriété et de prévenir les atteintes à la salubrité, la sécurité et la tranquillité publiques, cette circonstance ne l’autorisait pas à mettre en œuvre, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, une politique d’évacuation des campements illicites désignant spécialement certains de leurs occupants en raison de leur l’origine ethnique » (Conseil d’État, SOS Racisme, 7 avril 2011, n° 343387).
Désigner une population en particulier pour lui appliquer en raison de son identité ethnique ou religieuse, une politique différente, est totalement contraire aux principes les plus fondamentaux de notre droit. Voilà ce qu’a rappelé avec force le juge administratif suprême.
Le conseil municipal de Charvieu-Chavagneux viole la Constitution
Mais certains ont la mémoire courte. Alors que c’est de notre département que la Révolution française est issue et que c’est à Vizille que, pour la première fois, on vota par tête et non par ordre, des représentants élus de la République de notre territoire ont foulé aux pieds la Constitution.
Mercredi 9 septembre 2015, le conseil municipal de Charvieu-Chavagneux a adopté, à l’unanimité, une délibération permettant l’accueil d’une famille de réfugiés, à la « condition expresse » que ce soit « une famille de culture et de religion chrétiennes ». Quant à la motivation du maire, elle ne se contente pas d’être éminemment contestable parce qu’elle repose sur un amalgame douteux entre le Musulman et le terroriste, elle l’est également en tant qu’elle se fonde sur la promesse de « protection spéciale » faite par Saint-Louis aux Chrétiens d’Orient en 1250…
Sans aucun doute possible, cette délibération viole frontalement l’article 1er de la Constitution qui fonde les principes d’égalité et de laïcité, duquel résultent selon le Conseil constitutionnel « la neutralité de l’État » et « le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion » (Conseil constitutionnel, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, n° 2012-297 QPC, 21 février 2013).
Certes, Gérard Dezempte, le maire de la commune, n’est pas le premier édile à prendre une telle position puisque le maire de Roanne s’est également dit prêt à accueillir des réfugiés à « la condition qu’ils soient chrétiens ». Mais il est le premier à l’avoir formalisé dans une délibération, ce qui est encore plus grave.
Une décision qui devrait être suspendue et annulée
Le tribunal administratif de Grenoble sera saisi, par le préfet, par SOS Racisme qui a annoncé déposer un recours, ou par n’importe qui d’autre, et suspendra – on l’espère en urgence – cette décision qui, tant dans son but que dans ses motivations, porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux garantis par le système juridique français. Il sera le premier et peut-être le seul à intervenir, les hypothèses d’une sanction pénale voire d’une révocation du maire, comme une partie de la classe politique l’a demandé, apparaissant en effet plus improbables.
Alors, en tant que Professeur de droit, et s’il nous lit, nous demandons solennellement au juge ceci. Suspendez puis annulez cette décision sur le fondement de l’article 1er de la Constitution, mais ne le faites pas à ce visa seulement.
Frappez d’illégalité cette décision inique en vous fondant sur l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », et sur son article 10, selon lequel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ».
Que les Isérois soient fiers de leur histoire, de leur justice et de leur université.
Romain Rambaud
Professeur de droit public – Université Grenoble-Alpes