BLOG GASTRONOMIE – Sous un arbre, assis autour d’une belle tablée accompagnée d’un rosé (bien) frais, lors d’un pique-nique de montagne improvisé, ou tout simplement dans le potager, la période estivale est le moment de savourer l’une des vedettes de nos cuisines : la tomate. Appréciée du plus grand nombre, elle s’est imposée comme un ingrédient majeur de la cuisine occidentale, déclinable à l’infini pour le plaisir de nos papilles.
On ne peut pas parler de la tomate, mais des tomates : fermes ou tendres, sucrées ou acides, jaunes, rouges, oranges, noires, vertes. Il existe des milliers de variétés de tomates venues des quatre coins du monde avec des goûts, des formes et des couleurs différentes qui associent à chaque variété un soin et une destination culinaire particulière.
Pour comprendre un peu mieux ce vaste univers, je suis parti à la rencontre de Régis Barthe, producteur de fruits et légumes à Vinay, aficionados de la tomate et passionné de ce fruit si singulier.
En 2010, j’ai rencontré Régis Barthe sur le marché Hoche de Grenoble ; un simple étal lui permettait alors de disposer ses cagettes de légumes et de tomates. Homme souriant et blagueur avec lequel on peut facilement se perdre à parler de tout et de rien, il possédait une vieille balance à poids qui lui permettait de donner un prix approximatif en fonction de la gentillesse de chacun. Depuis, une balance électronique a remplacé celle en fonte, mais il apprécie toujours autant la bonne humeur de ses clients.
La tomate se suffit à elle-même
Régis a commencé son exploitation en 2009 à Vinay, au pied des Chambarans, sur un terrain en pente douce orienté plein sud. Il est comme ses tomates, il cherche le soleil. Passionné de nature depuis toujours, il a depuis longtemps des amis dans le milieu de la culture biologique et des membres de sa famille passionnés par les plantes. Et puis, un jour, il a décidé de se lancer lui-même dans la culture des légumes, « mais surtout des tomates ».
Pourquoi les tomates ? En souriant, il explique qu’elles sont jolies. Souvent associé aux légumes, la tomate est un fruit à part, d’une grande diversité, d’une grande richesse de goûts et de couleurs. « Le plus important c’est le goût. Les tomates se mangent crues, donc ça ne trompe pas, ça ne pardonne pas. »
La culture de ses plants est une priorité qui l’a amené à s’intéresser au moyen de production et à la diversité de plants existants. Pour Régis, contrairement à ce que disent les jardiniers, une tomate ne s’arrose presque pas afin de diminuer le risque de maladies, d’augmenter la teneur gustative et de ne pas « s’embêter à trimbaler des arrosoirs ».
Ses semences proviennent de chez Kokopelli, une association française créée en 1999 qui distribue des semences issues de l’agriculture biologique et biodynamique dans l’objectif de préserver la biodiversité semencière et potagère. Elle rassemble aujourd’hui plus de 750 sortes de tomates différentes du monde entier.
Chez Régis, la tomate est un fruit se suffisant à lui-même, qui se cuisine très peu : « Achetez mes tomates et je vous fais économiser la vinaigrette ». Il cuisine en coulis, surtout les tomates de deuxième main, trop mûres, abimées. Une bonne tomate n’est pas acide et les variétés anciennes sont délicieuses lorsqu’elle sont mélangées pour apporter une palette de goûts et de textures différentes.
De la Noire de Crimée et la Cœur de bœuf
Aujourd’hui, rares sont les grandes surfaces à proposer de véritables variétés anciennes. Elles en ont certes le même nom, mais n’ont en réalité rien en commun. Prenons l’exemple de la Cœur de bœuf. Cette tomate d’origine italienne, désormais bien connue de tous, fait partie d’une vraie famille : Cœur de bœuf Slankart, Blanc, de Jérusalem, Reif Red, de Nice, Orange, de Ligure… Cette tomate est lisse, sans côtes, avec une forme de cœur ou de poire. Elle est dense, lourde, avec une peau fine et une chaire tendue mais pas trop ferme. Sa chaire est pleine avec peu de pépins. Elle apparaît fin juillet et ne se conserve que quelques jours au frigo. Croquez dans une véritable Corne de bœuf. Le goût est incomparable.
La Cœur de bœuf orange est, par ailleurs, la favorite de Régis, qu’il prépare en carpaccio (tranches très fine), avec un peu de sel et quelques herbes coupées finement. Dans son plus simple appareil.
Régis cultive une multitude de tomates dont les noms sont hérités des échanges internationaux pour la préservation des semences dans les années 90. L’institut Seed Savers Exchange, aux États-unis, pouvant se vanter d’un catalogue de plus de 5000 semences de tomates a ainsi traduit en anglais l’appellation des tomates originaires d’Europe de l’Est, de Russie, d’Amérique du sud… Les vieilles variétés ont donc aujourd’hui souvent des noms anglais.
Régis cultive ce qu’il appelle « les classiques vieilles » avec la Noire de Crimée et la Cœur de bœuf (orange ou rouge), délicieuses en salade ou en tomates farcies, la Cornue des Andes (plus charnue) pour les salades et coulis, la Rose de Berne (juteuse) ou la Green Zebra pour la salade.
Et puis… la conversation s’emballe et Régis se lance à m’énumérer de mémoire toutes les tomates qu’il cultive : Beauty blue, Charlie Green, Caro rich, Taxi yellow, Auriga, Marmande, Stupice, Glacier, Moscow, Gregory Altaï, Sacha Altaï, Purple calabash, Red Zebra, Striped Romame, Violette Jasper, Pink Berkeley…
J’essaye de noter aussi vite que possible… Et les tomates cerises : Raisins vert, Black Cherry, Clakamas Blueberry, Sucre Traube, Délices des jardiniers… Et tant d’autres vielles variétés oubliées des étals dont le goût ferait vibrer nos papilles.
Une dernière, par gourmandise, celle que Régis appelle la Rolls-Royce des tomates : la Brandy Wine d’une Chaire fine, juteuse, dense et douce, au goût raffiné et vineux.
En salade, farcie, en sauce, coulis, séchées…
Vous l’aurez compris, les tomates constituent, à elles seules, un monde à part au cœur des potagers, à découvrir petit à petit, au fil des dégustations, en se laissant porter par leur histoire. Elles peuvent être utilisées de mille façons : en salade, en farcie, en tian, en sauce, coulis, potage, séchées, confites, grillées et, pourquoi pas, en les associant avec d’autres fruits. Essayez par exemple une salade de tomates Cœur de bœuf orange et abricot, en y ajoutant de la coriandre, des oignons nouveaux, des amandes avec une vinaigrette huile d’olive et citron, pour voir… ou plutôt goûter.
Pour connaître la façon la plus adéquate de les préparer, je ne saurais que vous conseiller d’en discuter avec Régis, avec le sourire je vous prie.
Bon appétit !
Hugo Legris