La Lune, objet de tous les mystères. Et certains n’aiment tellement pas l’idée qu’on ait pu la déflorer qu’ils préfèrent adopter la posture d’un Saint Thomas niant les évidences. Petit détour par la théorie du complot, si répandue aujourd’hui pour tout et n’importe quoi, et qui n’épargne évidemment pas le continent geek.
Comme la Lune, la vidéo a fait le tour du monde : Buzz Aldrin se fait harceler par un homme qui lui affirme qu’il n’a jamais posé le pied sur notre satellite. S’il le prend à la rigolade au début, l’astronaute finit par clairement s’agacer et demande à l’indélicat de le laisser tranquille. En retour, celui-ci l’insulte : « Vous êtes un lâche, et un menteur, et un voleur. » Ce dernier mot, il ne le prononcera qu’à moitié, et pour cause : Aldrin vient de lui envoyer son poing dans la figure.
L’homme en question s’appelle Bart Sibrel, et compte parmi les théoriciens du complot certifiant que l’homme n’a pas marché sur la Lune en 1969 et que la mission Apollo 11 n’était qu’une mise en scène.
Dans son genre, c’est un passionné : il a réalisé pas moins de quatre films, de durées variables, sur la question. Et comme c’est souvent le cas, il n’est en aucune manière un spécialiste de la question dont il traite : Bart Sibrel est chauffeur de taxi à Nashville. Comme quoi, ils n’en ont pas tous après les VTC.
De la crédulité de l’incrédule
L’idée que les images d’Apollo 11 et son fameux « un petit pas pour l’homme… » soient une manipulation n’a rien de nouveau. Elle est apparue rapidement après la mission, dans la foulée du scandale du Watergate qui a mis à mal – le mot est faible – la confiance que le peuple américain pouvait avoir dans sa classe politique. Faisant écho à la rumeur, le film Capricorn One sortira sur les écrans en 1978. Y est racontée une fausse expédition sur Mars, dont les images sont en réalité tournées sur Terre…
Ainsi qu’il est fréquent avec les théories du complot, l’argumentaire tient en une multiplicité de « preuves » qui ne cessent d’affluer au fur et à mesure qu’il trouve son public. Dans cette étonnante entreprise de désinformation participative, chacun se sent autorisé à affirmer tout et n’importe quoi, avec l’assurance de ne recueillir que des approbations. Peu importe au demeurant que ces fameuses preuves aient été démontées depuis belle lurette : la mauvaise foi soulève toutes les montagnes.
Dans le cas d’Apollo 11, ce sont les photos de la mission qui posent souci aux partisans du doute généralisé. Pas d’étoiles dans le ciel ? La preuve que nous sommes dans un studio avec un fond noir. Le drapeau flotte au vent ? Il n’y a pourtant pas de vent sur la Lune. Sans parler des ombres, tarte à la crème de toutes les théories du complot : celles-ci sont trop changeantes, pas assez marquées, jamais assez logiques. Rappelons-nous la fameuse histoire des rétroviseurs des frères Kouachi. Le principe est le même.
Le complot a rendez-vous avec la Lune
Si les rumeurs et les théories les plus fumeuses n’ont jamais eu besoin de l’Internet pour éclore, la Toile leur a naturellement donné l’occasion de se répandre et de toucher, voire de convaincre, un nombre inespéré de personnes. Les amoureux du complot ayant par nature un comportement volontiers prosélyte, on trouvera une multiplicité de sites et de commentaires œuvrant à propager l’idée que l’homme n’a jamais marché sur la Lune. La teneur des messages trahissant généralement l’âge de ceux qui les postent.
Ajoutant l’absurde à l’absurde, le réalisateur belge William Karel signera en 2002 un « documenteur », autrement dit un faux documentaire, intitulé Opération Lune. Développant la thèse que les images d’Armstrong et d’Aldrin sur la Lune ont été filmées sur Terre par Stanley Kubrick, Karel fait intervenir les témoins les plus sérieux qui s’expriment avec un naturel désarmant.
Depuis la veuve de Kubrick jusqu’à Donald Rumsfeld en passant par Henry Kissinger, tous vont expliquer de quelle manière le réalisateur de 2001 L’Odyssée de l’Espace a signé les images qui seront diffusées dans le monde entier. Se donnant au début toutes les apparences de la véracité, le documentaire se déconstruit progressivement pour se conclure dans un déluge de non-sens et de burlesque réjouissant. Avec un incomparable talent, Karel démontre ici la facilité avec laquelle l’image peut manipuler le réel.
Tout Lunivers
Une chose est certaine : envoyer des hommes sur la Lune en 1969 représentait un exploit technologique d’importance. Et comportait des risques sensiblement démesurés, ce qui en dit long sur le poids de la rivalité entre l’URSS et les États-Unis dans le domaine de la conquête spatiale. Les déboires rencontrées par la mission Apollo 13 et le désastre évité de justesse l’illustrent à merveille. Il suffit de penser que la Nasa utilisait à l’époque des machines infiniment moins puissantes que n’importe quel smartphone bas de gamme d’aujourd’hui pour se figurer l’immensité de sa tâche.
Pour autant, tout indique que l’Homme a bel et bien marché sur la Lune. Nous ne sommes pas des Cosmoschtroumpf, persuadés d’avoir vécu une grande aventure spatiale qui n’était en réalité qu’une manipulation destinée à rassasier nos instincts aventureux. Mais quand nous parlons de l’Homme, nous voulons dire l’homme américain, qui n’a pas oublié d’y planter son drapeau, ce qui fit soupirer Léo Ferré dans son poème Le Chien :
Pauvre mec, pauvre Pierrot
Vois la Lune qui te cafarde
Cette Américaine moucharde
Qu’ils ont vidée de ton pipeau.
Les doux rêveurs, les admirateurs de Séléné et les natifs du signe du Cancer, très attachés à la Lune – parole du cancer ascendant cancer que je suis – auraient peut-être préféré que le pas de l’homme n’ait jamais foulé le sol lunaire. Que seules les empreintes de Tintin et de ses comparses soient figées aujourd’hui dans la poussière sélénite. Mais la guerre froide se souciait bien peu de la poésie.
Consolons-nous toutefois : tant que la Lune ne servira pas de gigantesque néon publicitaire, comme le fantasme Zorglub dans les aventures de Spirou et Fantasio, nous pourrons toujours la contempler en lui accordant la part de secret qui lui revient. Sans oublier la beauté qui est la sienne, inchangée. Fidèle satellite qui nous fait tourner rond et qui, peut-être, est à l’origine une partie de nous-mêmes.
Florent Mathieu