BLOG CULTURE – Petite excursion dans la psychose dessinée de Jérôme Barbosa, exposé au Centre d’art Spacejunk de Grenoble jusqu’au 4 avril.
Au départ, Jérôme Catz, fondateur et commissaire d’exposition du Centre d’art Spacejunk de Grenoble, projetait d’insérer quelques-uns des dessins de Jérôme Barbosa dans une exposition collective consacrée au Lowbrow. Ce mouvement artistique apparu en Californie à la fin des années 1970 se construit à rebours du Highbrow, littéralement « port haut du sourcil », autrement dit « attitude altière face à l’art ».
Le Lowbrow : un art pop
Les tenants du Lowbrow se tournent donc volontiers vers des moyens d’expression plus populaires (comics, publicité, cinéma…) qu’ils intègrent à des œuvres particulièrement travaillées. Et, de fait, les dessins à l’encre de Chine de Jérôme Barbosa sont fignolés à souhait. L’artiste peut mettre jusqu’à plusieurs mois pour venir à bout d’une seule pièce. C’est d’ailleurs cette richesse et le nombre déjà conséquent d’œuvres réalisées par le trentenaire parisien qui ont permis de lui consacrer une exposition solo, visible à Grenoble jusqu’au 4 avril.
Le dessinateur, plus connu pour ses photographies, se réclame de Robert Crumb, le maître incontesté de la bande dessinée alternative américaine. Il va même jusqu’à solliciter son opinion sur ses créations et à entretenir avec lui une correspondance, d’où il ressort que Robert Crumb traite le jeune Français d’ « outsider aliéné » (entendez : ayant un pied dans le système tout en le conchiant). Cette schizophrénie, ou psychose, abreuve en effet les dessins en noir et blanc de l’artiste.
Rire gras sur critique acide
Comme dans la frange underground de la bande dessinée, le rire gras éclabousse les fondements d’une société vouée à la consommation. Les autres influences de l’artiste, multiples, servent également à l’occasion ce propos. Ainsi une femme mi-squelette, mi-sensuelle s’adonne-t-elle au selfie, rite narcissique par excellence, dans un dessin qui emprunte aux codes de la Vanité, genre pictural rappelant le triomphe ultime de la mort.
Chaque dessin déborde de détails plus ou moins cryptés traçant le réseau des thèmes qui grignotent l’esprit tortueux de Jérôme Barbosa. Les clins d’œil à Orange mécanique, aux toiles de Edward Hopper, aux démons autobiographiques… sont légion. De petits cartels rédigés par l’artiste lui-même cèdent quelques clefs de lecture mais l’ensemble préserve bien sûr son énigme.
Redressement dentaire et société nacrée
Au chapitre des récurrences autobiographiques, on trouve en bonne place tout ce qui gravite autour de la bouche, de la profonde glotte aux lèvres charnues en passant bien sûr par le précieux émail. Celui des dents, lesquelles cristallisent si bien les obsessions de mesure de l’époque et renvoient au rapport douloureux que l’artiste entretient avec l’orthodontie, qu’il n’a que trop bien connue.
« Ayant un intérêt très personnel pour l’orthodontie, je me suis amusé à rendre à ma manière cette vogue de redressement dentaire qui fait fureur aujourd’hui. À poser des rails sur l’email à qui mieux, mieux, on voit fleurir des sourires tout droit sortis d’une photocopieuse », est le commentaire de Jérôme Barbosa qui accompagne le dessin ci-contre.
Si vous craignez de vous perdre dans cette toile acide et sombre, point d’inquiétude. Outre que des bulles d’humour oxygènent l’ensemble, Quentin Hugard, responsable du Centre d’art Spacejunk de Grenoble, vous accompagnera volontiers dans cette virée en terre psychotique !
Adèle Duminy
Centre d’art Spacejunk de Grenoble
Exposition Viva la psychose, du dessinateur Jérôme Barbosa
Du 6 février au 4 avril 2015