Affiche du film Réalité du réalisateur Quentin Dupieux avec Alain Chabat Jonathan Lambert et Élodie Bouchez

Quentin Dupieux entre rêve et “Réalité”

Quentin Dupieux entre rêve et “Réalité”

BLOG CINÉMA – 18 février 2015. Réalité. Curieux voyage que nous offre Quentin Dupieux, auquel beau­coup pré­fé­re­ront une croi­sière Costa. Pourtant le sixième film du bidouilleur de sons et d’i­mages par­vient à créer le trouble. Une fes­sée humi­liante au grand David Lynch, le maître des ambiances oni­riques au ser­vice du thriller.

Comme je le disais dans cette vidéo, un No Running In Corridors dédié à Rubber, son troi­sième film, Quentin Dupieux est de prime abord un musi­cos irré­vé­ren­cieux incarné par un vola­tile jaune en peluche. La musique, qu’il com­pose sous le pseu­do­nyme de Mr. Oizo, est bruyante, stu­pide, hir­sute à l’i­mage de sa pilosité.
Dans son cinéma, Dupieux aime les chiffres. Il démontre sans arrêt son amour pour le sep­tième art, brise le Quatrième mur à loi­sir et s’a­muse de la vie et de la mort à tra­vers diverses expé­ri­men­ta­tions visuelles et sonores. Pourtant, la moder­nité l’ef­fraie. Ses uni­vers de fic­tion sont rétros, par moment un peu kitschs, et baignent dans un flou, un brouillard ambiant duquel on ne s’ex­tirpe pas facilement.

Après Nonfilm, Steak, Rubber, Wrong et Wrong Cops, l’heure est à Réalité, vous l’au­rez compris.

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Le réa­li­sa­teur Jason Tantra (Alain Chabat) aux Oscars

De nom­breux cri­tiques pré­tendent qu’a­vec Réalité le cinéma de Dupieux arrive à matu­rité. Je n’af­fir­me­rai ni n’in­fir­me­rai leurs mots ; l’art est sub­jec­tif et, à ce titre, peut être reçu d’au­tant de manières qu’il y a de spec­ta­teurs. Mais, à mon sens, la matu­rité ne peut être sui­vie que de la dégé­né­res­cence, du déclin. Or, j’ai envie de croire en Dupieux encore quelques années. Il n’a signé que six films, dont un moyen métrage. Les jeux ne sont pas encore faits. Le fren­chy bidouilleur d’i­mages et de sons a des idées à revendre. Des idées qui me plaisent et m’enchantent. Réalité est nourri de celles-ci. C’est ce que nous allons découvrir.

Rêve ou réalité ?

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Bob Marshall (Jonathan Lambert) – DR

Jason Tantra (Alain Chabat) est came­ra­man pour une émis­sion de cui­sine qui ne ren­contre plus le suc­cès auprès des spec­ta­teurs. Il rêve de réa­li­ser son pre­mier long métrage, un film d’hor­reur ultra-violent, dans lequel les télé­vi­seurs du monde entier envoient des ondes très puis­santes qui déciment toute l’humanité.

Bob Marshall (Jonathan Lambert), un ignoble pro­duc­teur qui vit reclus dans sa somp­tueuse villa Arts déco avec ses nom­breux assis­tants, accepte de finan­cer Waves (ainsi s’ap­pelle le film de Tantra), à la condi­tion qu’il enre­gistre le meilleur gémis­se­ment de dou­leur de l’his­toire du cinéma et l’y incor­pore en post-pro­duc­tion. La souf­france le fas­cine. La mal­heur des autres semble l’en­chan­ter. Marshall appa­raît comme un per­son­nage arro­gant et capri­cieux, a contra­rio de Tantra qui, lui, semble perdu dans un mau­vais rêve, un rêve de cinéma. Le duo fonctionne.

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Alice (Élodie Bouchez)

Une ribam­belle de pro­ta­go­nistes impro­bables vont croi­ser la route de mon­sieur Tantra. Aussi sera-il sur­pris de ren­con­trer les patients de sa femme, Alice (Élodie Bouchez), oni­ro­logue et psy­cha­na­lyste, ses col­lègues de tra­vail ainsi qu’une étrange petite fille nom­mée Reality, qui tis­sera le lien entre le rêve et la réa­lité, le cinéma et le vrai monde de la réa­lité véri­table (cf. Karim Debbache, Crossed).

Jongler entre rêve et réa­lité, cinéma et vraie vie, tel était déjà le parti pris de Rubber, sorti en 2010. Quentin Dupieux radote-t-il ? Définitivement non. Dupieux est un auteur. Par consé­quent, il est nor­mal de le voir arbo­rer inlas­sa­ble­ment des thèmes et des gim­micks visuels qui défi­nissent son style : à la fois drôle et énig­ma­tique, décalé et sur­réa­liste. Il a cette capa­cité extra­or­di­naire de tordre son uni­vers pour y déployer ses his­toires. Il n’en change pas, il ne fait que l’a­dap­ter (d’où la flo­pée d’auto-réfé­rences qu’il y dissimule).

L’idée de mettre en scène des per­son­nages pri­son­niers de leurs rêves, si tant est que nous l’ayons déjà vue, ne doit pas rebu­ter. Elle est ici trai­tée avec une cer­taine déri­sion, un humour sub­til et subli­mée par un trai­te­ment de l’i­mage léger, qui va pio­cher dans des nuances très claires, cou­leur de sable et de cendre. Une réa­li­sa­tion sobre, donc, épu­rée, ser­tie des amu­se­ments habi­tuels de Dupieux : le jeu sur le point, le plan fixe, la pro­fon­deur de champ, le flou artis­tique, le zoom ou encore le rac­cord dans l’axe.

Quête de la perfection

Il est plai­sant de voir en images, après 14 ans de cinéma, la fougue de Quentin Dupieux renou­ve­lée, dans son expres­sion la plus abso­lue. Il est un pari fou lors­qu’on est réa­li­sa­teur : celui de trou­bler, d’é­mou­voir le spec­ta­teur. Si pour l’é­mo­tion Réalité repas­sera, force est d’ad­mettre que la confu­sion s’emparera faci­le­ment des esprits à son vision­nage. L’objet a été conçu dans le seul but d’é­ga­rer. Il est un casse-tête chi­nois sans solu­tion. « Ne cher­chez pas, il n’y a rien à com­prendre à son pro­pos », clame la critique.

Personnellement, je vous dirais que c’est l’ac­tion de lui cher­cher un sens qui lui confère tout son inté­rêt. Dupieux joue avec le prin­cipe de sus­pen­sion consen­tie de l’in­cré­du­lité du spec­ta­teur, tout du long de ses 1 h 27. Il se moque de lui avec gen­tillesse, l’emmenant vers des réa­li­tés de plus en plus folles, avouant que ses per­son­nages se trouvent dans un film ; le spec­ta­teur en a, de toute façon, par­fai­te­ment conscience, alors autant ne pas lui men­tir et s’en amu­ser. Les situa­tions s’en­chaînent, tour­noient en une spi­rale ubuesque et d’une naï­veté tou­chante. Une spi­rale à la Quentin Dupieux.

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Jason Tantra (Alain Chabat)

Mais dans son œuvre, Dupieux réfé­rence beau­coup d’autres cinéastes : Cronenberg, Lynch ou encore Kubrick. Son cinéma est impré­gné de leur essence, que ce soit à tra­vers de dis­crets clins d’œil, d’hom­mages ou de cita­tions directes. Réalité c’est l’his­toire du petit Français qui rêve d’é­ga­ler un jour les cinéastes amé­ri­cains. Ou, du moins, de mar­cher sur leurs traces. Ce n’est pas le hasard qui a choisi Jason Tantra pour incar­ner cette his­toire, c’est Quentin Dupieux, parti vivre à Los Angeles comme son per­son­nage pour y réa­li­ser ses films. Toutefois, Mr. Oizo semble à pré­sent s’y ennuyer. Je dis bien Mr. Oizo et non Quentin Dupieux.

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Jason Tantra à la recherche du cri parfait

Marshall confie à Tantra la tâche ardue de cueillir la per­fec­tion dans l’arbre sans uti­li­ser d’é­chelle (puisque le pro­duc­teur ne l’aide aucu­ne­ment dans ses recherches). La per­fec­tion d’un cri : la per­fec­tion d’un cinéma. Cette simple phrase pour­rait résu­mer ce qu’est Réalité. Mais paral­lè­le­ment, elle exprime une idée dont cha­cun à conscience : le para­doxe de la per­fec­tion c’est qu’on ne l’at­teint jamais. Pourtant, presque tous les ingré­dients sont réunis pour que le plat soit par­fait : une intrigue qui tient en haleine, une très bonne direc­tion d’ac­teur et une pho­to­gra­phie mil­li­mé­trée. Mais alors, que lui manque-t-il ? La réponse est très simple : l’assaisonnement.

Bon. Arrêtons les méta­phores. Ce qui, selon moi, prive Réalité de cette per­fec­tion c’est l’absence de Mr Oizo aux com­mandes de la bande ori­gi­nale. Dupieux et Oizo, en plus d’être une seule et même per­sonne, c’est aussi une alchi­mie. Les sépa­rer est un crime. Les dis­so­cier, une héré­sie. Dans Réalité, c’est Phillip Glass avec Music With Changing Parts qui rythme l’ac­tion. Une seule et même musique pour tout un film, croyez-le ou non. Phillip Glass a beau demeu­rer parmi les plus grands com­po­si­teurs de musique contem­po­raine mini­ma­liste, jamais il ne rem­pla­cera dans mon cœur ce bon vieux vola­tile jaune en peluche avec lequel je sou­hai­te­rais jouer des heures, par­fois, comme un enfant. Un petit enfant rêveur. Mais rêvant au cinéma.

En conclu­sion, je n’au­rai que très peu à vous dire : s’il est un film à voir en ce moment au cinéma, il s’a­git sans conteste de Réalité. Son ori­gi­na­lité, sa folie, vous détour­ne­ront un ins­tant des marais nau­séa­bonds dans les­quels s’embourbent la plu­part des pro­duc­tions audio­vi­suelles fran­çaises ces der­nières années. Vous y contem­ple­rez l’im­pro­bable, l’ab­surde, ce qui ne peut arri­ver qu’au cinéma : l’Art dans toute son expres­sion. Dupieux est de ces cinéastes qui consi­dèrent la réa­lité comme un rêve. Peut-être ont-ils rai­son. À méditer.

Maxime Ducret

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Un film de Quentin Dupieux, avec Alain Chabat, Jonathan Lambert, Élodie Bouchez et Eric Wareheim (France, Belgique)

Genre : comédie

Durée : 1 h 27 min
Sortie en salles le 18 février 2015

Séances : cinéma Le Club, 9 bis rue du Phalanstère à Grenoble.

Tél. : 04 76 87 46 21

M. Ducret

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