REPORTAGE – Entre 1 200 et 3 000 personnes ont manifesté contre le pass sanitaire ce samedi 11 septembre 2021, à Grenoble, pour la neuvième semaine consécutive. Un défilé revendicatif et le plus souvent festif, mais avec une tension parfois palpable, suite aux incidents ayant émaillé la précédente manifestation1Syndicats et partis de gauche avaient en effet dénoncé une violente agression perpétrée par des militants d’extrême droite.. Un temps camouflée derrière l’opposition commune au pass sanitaire, la polarisation des revendications devient, du reste, de plus en plus visible au sein du cortège.
Les anti-pass ne désarment pas. Pour la neuvième semaine consécutive, une manifestation réunissant ces opposants au pass sanitaire avait lieu à Grenoble, ce samedi 11 septembre 2021. Partis de la place de Verdun, ceux-ci ont battu le pavé trois heures durant pour rallier la place Victor-Hugo. Le parcours : une boucle passée par la rue Lesdiguières, la rue de Turenne, le cours Jean-Jaurès, le boulevard Joseph-Vallier, la rue Ampère et le cours Berriat.
Côté affluence, ils étaient près de 1 200 selon la police et un peu plus de 3 000 selon les organisateurs. Si le véritable chiffre se situe sans doute entre ces deux extrémités, la mobilisation, note la préfecture, reste « plus ou moins du même ordre » que celle de la manifestation précédente du samedi 4 septembre.
Manifestation anti pass sanitaire à Grenoble, samedi 11 septembre 2021. © Manuel Pavard – Place Gre’net
Le cortège s’élance au son des désormais traditionnels « liberté » et « résistance », scandés à pleins poumons par une partie de la foule. Beaucoup de primo-manifestants, comme Adeline, 21 ans, qui n’avait encore « jamais manifesté avant cette année ». Mais elle « s’inquiète des dérives autoritaires du gouvernement et de toutes ces libertés qu’on nous enlève petit à petit ».
« Ce n’est pas un mouvement antivax », assure l’étudiante. « La preuve, moi, je suis vaccinée avec Pfizer. Mais je considère que la vaccination doit relever d’un choix personnel. Le gouvernement n’a pas à l’imposer aux gens. »
« Je suis atterré quand je vois des gens qui associent la vaccination à la Shoah »
Il n’est cependant pas difficile de tomber sur des « antivax ». Amaury, ainsi, « assume l’étiquette sans problème », peut-être avec une part de provocation car il admet « ne pas être foncièrement contre les vaccins traditionnels ». « Mais pour le covid, je préfère renforcer mes défenses immunitaires avec une alimentation saine et des compléments en zinc, vitamine D et vitamine C », ajoute le quadragénaire. Il s’emporte aussi contre « ces thérapies géniques, sans aucun recul sur les effets secondaires, menées par les gouvernements pour maximiser les profits de Big Pharma ».
Un discours complotiste assez typique, qui navre Camille2Le prénom a été modifié, militant libertaire et antifasciste. « Je suis atterré quand je vois des gens qui associent la vaccination à la Shoah ou qui brandissent des pancartes antisémites dans des manifs », déplore-t-il.
« Déjà, me retrouver à défiler à quelques mètres d’un mec avec un drapeau de Civitas, ça me met vraiment mal à l’aise ! Mais j’essaye de me dire que je lutte contre la politique autoritaire du gouvernement et qu’on ne doit pas laisser la rue à l’extrême droite. »
Une brève échauffourée suivie d’un mouvement de foule et de tirs de gaz lacrymogènes
Lui, comme ses amis, reste sur ses gardes. La tension dans l’air est en effet palpable. Tous ont en tête les incidents de la dernière manifestation grenobloise lorsque « l’extrême droite est sortie du bois en passant à tabac, en rouant de coups deux camarades », dénonce la CGT Isère dans un communiqué. « On a vu un mec tomber et trois ou quatre fachos qui le frappaient par terre en lui donnant des coups de pied à la tête, mais on était trop loin pour réagir », raconte Camille.
Manifestation anti pass sanitaire à Grenoble, samedi 11 septembre 2021. © Manuel Pavard – Place Gre’net
Ses craintes semblent d’abord se justifier, ce samedi, quand le défilé arrive au croisement de la rue de Turenne et du cours Jean-Jaurès. Une brève échauffourée éclate, suivie d’un mouvement de foule, et de tirs de gaz lacrymogènes. Affrontement entre « fafs » et « antifas » ? Intervention de la police ? Dans la cohue et à distance, difficile d’y voir plus clair, les versions se contredisant sur la nature des événements. Heureusement, la situation revient vite à la normale. Il n’y aura plus d’autres incidents sur le parcours.
Fin de la pseudo-unité de façade du mouvement anti-pass sanitaire dans la manifestation
Durant le reste de la manifestations, militants de gauche radicale et d’extrême droite de l’autre, s’observeront à distance en chiens de faïence, en s’évitant soigneusement. Seules les quelques Marseillaises entonnées par les seconds seront couvertes par les huées des premiers, tout comme les slogans lancés au mégaphone par François-Marie Périer, fondateur du collectif anti-vaccin GreLive.
Ces quelques altercations, qu’elles soient physiques ou verbales, auront en tout cas mis en lumière un phénomène. La pseudo-unité de façade du mouvement anti-pass, qui ne tenait que par l’opposition commune au pass sanitaire, a vite volé en éclats. Laissant apparaître au grand jour les divergences entre les différentes composantes de la contestation. « On le savait déjà mais ça confirme que l’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami », souligne Camille.
Un assemblage totalement hétéroclite que rien ne semble rassembler
Preuve en est la composition du défilé. Outre les manifestants « lambda », on y trouve successivement les soignants, les bibliothécaires, le collectif de syndicats, associations, partis de gauche et d’extrême gauche (de la FSU et Solidaires au NPA et à la CNT, en passant par La France Insoumise et l’Unef), des membres de GreLive et plutôt en queue de cortège, les quelques militants identifiables des Patriotes, d’Égalité et Réconciliation et de Civitas. Un assemblage totalement hétéroclite que rien ne semble rassembler.
Les slogans, pancartes et banderoles l’illustrent aussi parfaitement. Le collectif, par exemple, s’affiche clairement « contre l’extrême droite et le pass sanitaire, pour nos droits sociaux et les services publics ». « On se positionne contre les complotistes mais aussi contre l’extrême droite, qui n’est là que par opportunisme », explique l’un d’entre eux. « Les voir s’opposer à des mesures liberticides alors qu’ils feraient encore pire s’ils étaient au gouvernement, ça serait presque comique s’il n’y avait pas des gens pour y croire. »
« On lutte contre les licenciements et les sanctions à l’égard des salariés dans le cadre du pass sanitaire, pas contre le vaccin », ajoute Camille. « D’ailleurs, on demande la levée des brevets. »
En partant, tous les manifestants ont déjà pris date pour le prochain défilé
En déambulant dans le cortège, autre ambiance et autre son de cloche. Deux hommes discutent, chacun une pancarte à la main : la première compare la vaccination à un « génocide » tandis que la seconde proclame fièrement, « les médias sont le virus ». Sans surprise, tous deux ne sont pas très fans des journalistes et affirment que « la presse est à la botte de la finance, de Bill Gates, Soros et des Rothschild ».
Plus loin, en quittant la manifestation à l’arrivée place Victor-Hugo, des bibliothécaires grenoblois, en grève contre le contrôle du pass sanitaire dans les bibliothèques municipales ont pris la parole. Et en partant, tous les manifestants ont déjà pris date pour le prochain défilé. Samedi 18 septembre, ils seront encore là, fidèles au poste.