ENQUÊTE – Les salariés de la société Vencorex, située sur la plate-forme chimique de Pont-de-Claix en Isère, craignent pour leur avenir depuis que la direction a annoncé, fin novembre, la suppression de centaines d’emplois d’ici à 2016. Si les organisations syndicales, l’État, les collectivités locales et le maire de Pont-de-Claix restent mobilisés pour préserver l’avenir de la filière en Rhône-Alpes, le dossier s’avère complexe.
L’inquiétude ne faiblit pas chez Vencorex. Et pour cause : des centaines d’emplois sont toujours menacés au sein de la société implantée au cœur de la plate-forme chimique de Pont-de-Claix qui produit et commercialise des Isocyanates destinés à l’industrie des polyuréthanes. Malgré un mouvement de grève particulièrement bien suivi fin novembre, à l’appel de l’intersyndicale CGT-CFDT-CGC, la situation n’a pas évolué en ce début d’année. Depuis le comité d’entreprise du 28 novembre dernier, le sort des salariés est ainsi suspendu à la décision de la direction de Vencorex de réorganiser sa production. Pour le moment, la société étudie plusieurs pistes mais une des options envisagées a fait bondir les salariés et les organisations syndicales : l’arrêt de la production de toluène diisocyanate (TDI), utilisé pour fabriquer des mousses dans l’automobile ou l’ameublement, pour le remplacer par l’hexaméthylène diisocyanate (HDI), employé dans la fabrication de vernis et de peinture. Un changement de cap lourd de conséquences. Le TDI représentant plus des deux tiers de l’activité de la plate-forme, 300 emplois pourraient en effet disparaître. Soit la moitié des effectifs de Vencorex.Des investissements en baisse
En mai 2012, l’aventure Vencorex avait pourtant bien débuté, fruit de l’association de Perstorp, groupe chimique suédois (actionnaire à 49 %) et de PTT Global Chemical, groupe pétrochimique thaïlandais (actionnaire à 51 %). Une enveloppe d’investissements de 280 millions d’euros sur cinq ans était alors évoquée, essentiellement destinée au site de Pont-de-Claix. Mais peu à peu la situation s’est compliquée.
En avril 2013, la société Vencorex a ainsi annoncé qu’elle voulait revoir sa stratégie et ses investissements à la baisse. « Un coup des actionnaires du groupe PPT », selon Jean-Yves Cesaroni, secrétaire de la Confédération générale du travail (CGT) de la plate-forme de Pont-de-Claix.
« Le TDI ne se porte pas bien aujourd’hui sur le marché. La direction souhaite recentrer l’entreprise sur des produits à forte valeur ajoutée », explique pour sa part Patrick Pouchot, porte-parole de l’entreprise Vencorex sur le site de Pont-de-Claix. Et ce dernier d’insister pour rassurer les salariés : « Il n’est pas du tout question de fermer le site. Nous voulons le maintenir et le rendre plus compétitif mais nous ne savons pas encore comment cela va se concrétiser ».
Réaction en chaîne
Autre son de cloche du côté de la CGT : « L’abandon de la production du TDI signifie clairement la fermeture de Vencorex mais aussi une menace pour les emplois d’autres usines qui dépendent de notre activité », assure Jean-Yves Cesaroni. La liste est longue : Isochem (suppression de l’activité de raffinage de TDI), Solvay (diminution de la production de vapeur liée à l’arrêt des productions soude et TDI), Novacid (suppression de la fourniture d’acide chlorhydrique par Vencorex en cas d’arrêt du TDI)…
Soit 120 emplois supprimés en plus sur le site de Pont-de-Claix selon la CGT. Auxquels s’ajoutent quelques centaines d’autres, si l’on prend en compte les sociétés extérieures, comme Arkema (production de chlore) sur la commune de Jarrie et d’autres aux alentours de Lyon, tels que Nickel de Raney (production d’acide nitrique) sur la plate-forme chimique de Roussillon en Isère. Et ceci sans compter les sociétés sous-traitantes de maintenance, de service, fournisseurs et autres transporteurs.
« Une réaction en chaîne » qui inquiète particulièrement Christophe Ferrari, maire socialiste de Pont-de-Claix et quatrième vice-président chargé des finances, du budget et de l’évaluation des politiques publiques à la Métro : « Vencorex doit comprendre que ce n’est pas seulement une affaire qui lui est propre. C’est toute la filière de la chimie qui est menacée sur la région Rhône-Alpes ».
Et le maire d’insister sur la dimension nationale de ce dossier : « Tous les acteurs sont mobilisés : l’État par l’intermédiaire du cabinet du ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, Jean-François Carenco, le préfet de région qui a convoqué une réunion avec les industriels le 13 décembre dernier et Marie-Noëlle Battistel, la député PS de l’Isère, avec qui nous nous sommes vus régulièrement ».
L’enjeu des mises aux normes
Depuis le 28 novembre, l’affaire Vencorex a aussi pris une dimension écologique. Dans un communiqué daté du 10 décembre dernier, les élus écologistes à Grenoble n’ont ainsi pas manqué de pointer du doigt la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise.
Au-delà des 300 emplois qui pourraient être supprimés, ceux-ci voient dans le désengagement de Vencorex une volonté de ne pas assumer le Plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Ce dernier vise à remettre aux normes le site de Pont-de-Claix, tant pour protéger les salariés que les populations alentours et l’environnement. Un projet de près de 87 millions d’euros, pour lequel l’État, la Métro et la région ont voté leur soutien financier fin 2011, à hauteur de 40%.
Et les écologistes de reprocher à la Métro d’avoir déjà versé une partie des 6,5 millions d’euros d’apport à la société Vencorex. Geste que n’a pas encore effectué la région qui devait de son côté apporter 3,5 millions d’euros. Celle-ci a, en effet, estimé que la préservation des emplois était une condition à son soutien financier.
« On a voté un plan de soutien à la filière chimie et, finalement, on se retrouve avec une menace de licenciements », explique Gilles Kuntz, qui mène cette bataille. « La Métro aurait dû être plus vigilante en amont », souligne l’élu “hors groupe” à la Métro et membre du groupe politique Écologie et solidarité à la ville de Grenoble.
Des critiques que rejette en bloc Christophe Ferrari, par ailleurs président du groupe Pour une Agglomération solidaire, écologique et citoyenne à la Métro : « La convention signée entre la Métro et Vencorex devrait être relue par certains. La Métro n’a pas donné de l’argent sans se méfier. Si Vencorex revoit son projet à la baisse, nous pourrons aussi revoter l’apport financier ».
Et Jean-Luc Benoît, responsable de la communication à la Métro, d’abonder : « C’est une position de principe de la part des écologistes qui estiment que ce soutien à la chimie est une mauvaise chose pour l’écologie ».
Réduire les risques et augmenter le rentabilité
De son côté, le porte-parole de Vencorex tient à rappeler que le PPRT est une “disposition réglementaire“. « Nous sommes obligés de l’appliquer d’ici à 2016 », souligne ainsi Patrick Pouchot, tout en reconnaissant que cette remise aux normes « ne garantit pas des gains de productivité suffisants par la suite pour faire face à la concurrence internationale. Nos concurrents n’ont pas forcément ces normes industrielles et environnementales ».
En attendant la décision de la direction de Vencorex sur l’avenir du TDI lors d’une réunion fin février 2014, Jean-Yves Cesaroni, secrétaire syndical de la CGT, souligne que son syndicat est « favorable à l’application de ce PPRT car il permet de réduire les risques et d’augmenter la rentabilité de l’outil de production ». L’essentiel étant, pour lui, l’engagement de Vencorex à conserver les 300 emplois menacés.
Xavier Bonnehorgne
Production principale : chlore
Sociétés sur le site : Vencorex, Air Liquide, Isochem, Novacid, Solvay Energy Services, Teris
Salariés : 850 et 3000 emplois indirects
La plate-forme chimique en bref :