FOCUS – Près de 300 personnes se sont réunies devant les urgences du CHU Grenoble-Alpes, mardi 7 juin, pour dénoncer le malaise au sein de l’hôpital et réclamer plus de moyens. Un rassemblement qui a mobilisé au-delà des professionnels de santé, non sans prendre une teinte politique très marquée, à quelques jours du premier tour des législatives.
« On est aujourd’hui en train d’assister à l’effondrement de l’hôpital public français. » Ainsi s’exprime au micro un syndicaliste CGT du Centre hospitalier Alpes-Isère de Saint-Égrève, à l’occasion d’un rassemblement devant le CHU Grenoble-Alpes mardi 7 juin. Un mouvement très suivi avec près de 300 personnes présentes, parmi lesquelles des professionnels de santé, des syndicats, des politiques, ou encore des Gilets jaunes.
Rassemblement devant les urgences du CHU Grenoble-Alpes le mardi 7 juin. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Le mot d’ordre ? L’hôpital a besoin de moyens. Autrement dit, de personnels… et de lits. « On en a fermé beaucoup trop. Les urgences ne trouvent plus de lits pour accueillir les malades. On les a fermés juste pour faire des économies, c’est juste une histoire de pognon ! », poursuit le syndicaliste. Des fermetures qui ne datent pas d’hier : « Depuis trente ans, on est mobilisés pour prévenir que fermer des lits, ça rend les choses compliquées, difficiles, dangereuses. »
Un malaise généralisé au sein de l’hôpital
Pierre, infirmier aux urgences de Grenoble, ne dit pas autre chose. « On est en pleine crise à l’hôpital. On a de moins en moins de moyens. Les patients stagnent des jours entiers aux urgences, dans une maltraitance institutionnelle qu’on ne supporte plus », confie-t-il à Place Gre’net. Lui n’est pas syndicaliste, ou syndiqué, mais a tenu à participer au mouvement de grève et de mobilisation, comme nombre de ses collègues.
Rassemblement devant les urgences du CHU Grenoble-Alpes le mardi 7 juin pour réclamer plus de moyens pour l’hôpital public. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Attend-il une rencontre avec la direction du CHU Grenoble-Alpes ? Pierre hausse les épaules. « Des rencontres, on en a déjà eues. Mais malheureusement, il n’y a pas de solutions à leurs yeux avant le mois de septembre », répond-il. Autrement dit, avant la sortie de formation de nouveaux professionnels. Et d’alerter : « Il est certain qu’une grande partie du personnel ne tiendra pas, ne restera pas en poste, ni même dans le métier d’ici septembre ! ».
Le malaise est général, confirme Isabelle Guiga, secrétaire CGT du Centre hospitalier de Saint-Égrève. « Il manque beaucoup de monde, on n’arrive plus à fonctionner dans les établissements. Les médecins partent tous, il n’y a plus d’attractivité », décrit-elle. Là encore, les places sont chères. « La pression est mise pour que les patients sortent le plus vite possible », abonde Marine Azzopardi, infirmière en centre médicopsychologique (CMP).
Christiane Mars (aide-soignante), Isabelle Guiga (secrétaire médicale) et Marine Azzopardi (infirmière en CMP) relatent les difficultés du centre hospitalier psychiatrique de Saint-Égrève. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Des CMP eux aussi saturés, poursuit la praticienne. « Ils ne peuvent plus prendre de nouvelles demandes. Il y a une liste d’attente de plusieurs années. Cinq ans en pédopsychiatrie pour des enfants. Ce n’est pas possible pour les familles ! », s’indigne-t-elle. En fustigeant une stratégie tournée vers l’ambulatoire sans, une fois encore, que les moyens suivent.
« Tout le monde sait ce qu’il faut faire »
Face aux difficultés, faut-il redouter une fermeture (partielle) des urgences de Grenoble, à l’image de celles de Voiron ? « Le risque de fermeture est là, mais il n’est pas acté au niveau institutionnel. L’ARS et la direction ne veulent absolument pas fermer le service des urgences », explique Pierre. Qui indique toutefois qu’à ce jour, « le planning des médecins n’est pas acté pour cet été, et celui des infirmiers est de plus en plus problématique ».
Syndicalistes CGT et FO ont pris la parole durant le rassemblement. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Les solutions ? Prenant la suite de son collègue CGT, un représentant de Force ouvrière l’affirme sans ambages : « Tout le monde sait exactement ce qu’il faut faire. Il y a une liste de revendications très précises qu’il faudrait commencer à mettre en œuvre, et en même temps défaire un certain nombre de dispositions. » En somme, précise-t-il, « détricoter » les orientations prises depuis plusieurs années.
Parmi les revendications : des moyens supplémentaires alloués à l’hôpital, des revalorisations salariales et des embauches de personnels. Mais aussi, naturellement, l’arrêt des fermetures de lits et la réintégration des praticiens suspendus pour cause de refus de vaccination contre la Covid. Et pas question d’opposer la question économique : « Quand Macron dit qu’il n’y a pas d’argent magique, on a bien vu que pour les riches, il sait où en trouver ! »
Un rassemblement également très politique
Si la colère face à la situation de l’hôpital public prédomine au travers des prises de parole des professionnels, la dimension politique n’est pas absente du rassemblement. De l’aveu même du représentant Force ouvrière. « Il se trouve que l’on n’est pas très loin d’une élection. On a intérêt à se rassembler, y compris politiquement », déclare-t-il. Plusieurs élus et militants de gauche étaient d’ailleurs présents au rassemblement.
Dès lors, c’est avec beaucoup de bienveillance qu’a été accueillie au micro l’Insoumise Salomé Robin, candidate Nupes sur la première circonscription de l’Isère. Qui n’a pas manqué de rappeler qu’elle se présente contre le député sortant Olivier Véran. De quoi s’attirer encore plus la sympathie de l’assistance, qui a hué le nom de l’ancien ministre de la Santé du gouvernement Castex.
Elle aussi candidate sur la première circonscription, la Républicaine Brigitte Boer ne recevra pas le même accueil en prenant à son tour la parole (voir vidéo). « Que Les Républicains aient pu faire des erreurs, ça aurait pu être réparé depuis », a‑t-elle tenté. Avant de renoncer à poursuivre son propos sous les huées de l’assistance. « Si je suis élue, vous pouvez compter sur moi », a‑t-elle conclu avant de rendre le micro.
Les sénateurs interpellent Élisabeth Borne
« Cette crise des urgences n’est pas nouvelle, puisqu’elle a été à l’origine d’une grève débutée en juin 2019, suivie d’une mobilisation de l’ensemble des professionnels de santé au mois de novembre de cette même année. Crise qui n’a malheureusement pas été résolue par le Ségur de la santé ». Ainsi s’expriment une cinquantaine de sénateurs, parmi lesquels les isérois Michel Savin et Frédérique Puissat, dans une lettre adressée à la Première ministre Élisabeth Borne.
Constatant que près de 20 % des établissements de santé comptant des urgences, publics comme privés, sont concernés par des fermetures pour cause de manque de personnels, les parlementaires appellent Élisabeth Borne à « prendre en urgence des mesures pour garantir la permanence des soins et remédier à cette situation qui met en danger l’ensemble des habitants des territoires concernés ».
Les urgences de Voiron toujours perturbées
Le service des urgences du Centre hospitalier de Voiron continue de voir son fonctionnement perturbé face au « nombre insuffisant de professionnels urgentistes disponibles sur le marché du travail », indique le CHU Grenoble-Alpes, auquel l’établissement est rattaché. Sur l’ensemble du mois de juin, l’accueil aux urgences sera ainsi « adapté » les nuits des vendredis, samedis et dimanches, de 20 heures à 8 heures du matin.
L’adaptation en question ? « Les urgences continuent de fonctionner mais sans nouvelle admission de patient entre 20 h et 8 h, sauf : urgences régulées par le centre 15, urgences vitales, urgences pédiatriques hors traumatologie lourde [et] urgences maternité », décrit le CHU Grenoble-Alpes. Qui appelle chacun à se tourner vers son médecin traitant ou le 15 avant de se rendre aux urgences, pour ne pas engorger le service.