TRIBUNE LIBRE – Professeure des écoles et mère de deux enfants, Juliette Bartczak souhaite « exprimer sa colère face à l’ignorance dans laquelle sont plongés nos enfants pour tout ce qui a trait aux problèmes écologiques actuels. Un constat du présent que nous éludons volontiers pour ne pas leur faire peur et auquel nous préférons peut-être aussi ne pas trop penser. » Cette tribune ne se veut pas catastrophiste mais réaliste : « un état des lieux pour laisser place à la pensée, à la réflexion et à la créativité » parce qu’il semble inadmissible à son auteur de « laisser le monde dans l’état où il se trouve sans rien tenter ».
On leur dit quand à nos enfants ?
Ben oui c’est vrai, on leur dit quand à nos enfants ? Quand est-ce qu’on fait, avec eux, l’inventaire et l’état des lieux ?
Quand est-ce qu’on leur annonce qu’ils vivent dans un monde dans lequel 60 % des insectes ont disparu en quelques années, dans lequel 60% des animaux ont disparu en quelques décennies et, pour finir, dans lequel 60% des arbres ont disparu en quelques millénaires ?
On leur balance quand que la calotte glaciaire du Groenland est définitivement perdue ?
On leur explique quand que 800 000 personnes meurent chaque année, en Europe, pas du terrorisme, mais de la pollution ?
On leur dévoile quand, que nous, les êtres humains, qui ne représentons que 0,01 % des vivants, sommes à l’origine de la mort de 85% des vivants qui peuplent notre planète ?
Et on leur raconte quand, qu’ils vivent la sixième extinction massive, qu’Aurélien Barrau nomme – de manière peut-être un peu trop brutale et effrayante pour une histoire avant d’aller dormir – la « première extermination délibérée » ?
Parce que c’est vrai que ça va peut-être les empêcher de dormir mais ça devrait tous nous empêcher de dormir.
Un problème éthique et non un problème scientifique
Et ensuite, parce qu’il ne faudrait pas croire qu’on pourra y couper, on leur révèle quand « le fameux pourquoi » du comment on en est arrivé là ?
En bref, on leur divulgue quand que c’est de notre faute, que ce sont nos comportements de prédateurs insatiables qui les envoient dans le mur ?
On prêche, on hurle quand, que notre principal problème est l’inconsidération de la vie ? De la vie sur terre, merde !
On leur expose quand à nos gamins qu’on a préféré changer de téléphone tous les six mois à la liberté de respirer un air pur. Un air tellement pollué qu’il pourra les faire crever ?
On dénonce quand, que le plus gros de nos problèmes est un problème éthique et non un problème scientifique ? Que ce problème c’est notre rapport à la liberté, celle de ne supporter aucune restriction, celle de vouloir continuer à nous gaver. Cette idée qu’on leur vend comme étant l’essence même de la liberté. Pour nous arroger le droit d’avancer avec eux tranquillement, sereinement, main dans la main, vers un suicide collectif.
On ose leur apprendre que ceux qui nous gouvernent croient dur comme fer qu’une croissance perpétuelle est encore possible ? Qu’ils n’ont pas les qualifications requises pour penser et agir et qu’ils se permettent d’ignorer les prévisions et préconisations des spécialistes en la matière ? Qu’ils se hasardent à des prophéties qui s’avèrent, au final, jouer avec nos vies, celles de nos gamins, celle du vivant tout entier ?
On leur signale, à nos bambins, que nos dirigeants n’ont absolument pas compris que les conventions économiques sont plus faciles à déconstruire que les réalités physiques, climatiques et médicales ?
On leur dévoile que le solutionnisme écologique donne bonne conscience, qu’il fait tourner le marché mais qu’il n’est en aucun cas une solution ?
Ne rien faire aujourd’hui, c’est être complice
Et pour finir, est-ce qu’on se donne le droit de changer ?
Est-ce que, quitte à passer pour des fous, on modifie notre manière d’être ? Avec eux, ceux avec qui on vit aujourd’hui et qui seront là, demain, quand notre finitude nous aura emportés ?
Parce que ne rien faire aujourd’hui c’est être complice d’une violence qui sera de plus en plus grande, d’inégalités qui seront de plus en plus folles.
Certes, le changement sera certainement douloureux et violent à bien des égards mais ne rien faire, ne rien tenter, maintenant, c’est approuver un système d’ultra violence comme il n’y en a jamais eu.
Et, si on réfléchit, la décroissance du PIB est-elle forcément corrélée à une décroissance de notre rapport à la vie ?
Et finalement, ma fille, ce soir, je te parle de l’Inde et des inégalités qui y font loi. Tu me réponds que tu veux que nous y allions. Tu prendras ta tirelire et, comme ça, tu pourras donner à manger à plein d’enfants. Quand je t’entends dire cela, mon cœur se serre, pris en étau entre l’espoir que je lis dans tes yeux et l’immense tâche qui nous attend : inventer des modes d’être au monde auxquels nous n’avons pas encore pensé.
Les chiffres relayés dans ce texte sont issus de l’ouvrage d’Aurélien Barrau, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, 2020, Michel Lafon.
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