À l’occasion de son rendez-vous annuel sur l’État du mal-logement en Isère, l’association Un toit pour tous et sa “filiale” l’Observatoire de l’hébergement et du logement (OHL) dressent les thématiques fortes pour cette année 2019. Avec un accent porté sur la Nuit de la solidarité, le dispositif Logement d’abord… et une inquiétude sur certaines institutions qui mettent ou remettent indirectement des personnes à la rue.
Quel état des lieux du mal-logement en Isère pour cette année 2019 ? Comme chaque année, l’association Un toit pour tous s’est livré au difficile exercice, à l’occasion d’un colloque organisé le mardi 9 avril au Musée de Grenoble. Une réunion associant collectivités, associations et acteurs de terrain. Le tout avec la participation de la Fondation Abbé Pierre à laquelle Un toit pour tous est historiquement rattachée.
De gauche à droite : Andrée Demon, présidente d’Un toit pour tous – René Baillain, président de l’OHL – Anissa Ghiouame, responsable de l’OHL © Florent Mathieu – Place Gre’net
Les points importants abordés cette année ? En premier lieu, la Nuit de la solidarité, initiative organisée mercredi 30 janvier par Un toit pour tous en lien avec Grenoble Alpes Métropole. La première édition métropolitaine visait ainsi à recenser, autant que faire se peut, le nombre de personnes en situation de mal-logement sur le territoire. Mais aussi à leur faire remplir un questionnaire pour dessiner les profils de ces publics.
Quel bilan pour la Nuit de la solidarité ?
Rendu public au mois de février, le bilan de la Nuit de la solidarité donne le chiffre de 1 757 personnes en situation de mal-logement. « C’est un chiffre que nous estimons sous-évalué » insiste toutefois la présidente d’Un toit pour tous Andrée Demon. Un sentiment partagée par nombre d’acteurs associatifs lors de la soirée de restitution de l’opération, mardi 19 mars.
Soirée de restitution de la Nuit de la solidarité 19 mars 2019 © Florent Mathieu – Place Gre’net
Les limites de l’exercice ? Le chiffre correspond à un instant T, rappelle Andrée Demon. Et ne peut, par exemple, prendre en compte les personnes logées chez un tiers, en nombre conséquent en période hivernale.
Françoise Cloteau vice-présidente de la Métro en charge de l’Hébergement, reconnaissait alors les limites de l’exercice. « Concernant une deuxième édition on y pense, et notamment à une autre saison. Si on le fait à une période plus clémente, on sait tous qu’il y aura beaucoup plus de personnes à la rue. »
Le président de l’OHL (Observatoire de l’hébergement et du logement), l’une des branches d’Un toit pour tous, n’en juge pas moins le chiffre précieux. « C’est important d’avoir un chiffre reconnu par l’ensemble des acteurs. Si nous apportions des solutions à ces 1757 personnes, nous ferions un énorme progrès ! », note ainsi René Ballain. En dépit de son caractère minoré, cet indicateur reste donc à ses yeux « une bonne base de départ ».
Une Nuit qui fait grincer des dents
La Nuit de la solidarité avait encore fait grincer des dents d’autres associations avant même sa tenue. Dans un communiqué, les organisateurs de l’espace d’échange entre précaires Parlons-en n’avaient pas manqué de fustiger une « action ponctuelle et médiatique », selon eux sans lendemain. Et de se demander si l’argent consacré à cette opération n’aurait pas été plus utile en renfort des initiatives déjà existantes.
Le jour de la tenue de l’État du mal-logement en Isère, le Dal 38 occupait les anciens locaux du Crédit agricole à Grenoble. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Existe-t-il une « scission » entre une association comme Un toit pour tous, qui travaille aux côtés des institutions, et des groupes plus militants comme, par exemple le Dal ou l’Assemblée des mal-logés ? Tout un symbole : au moment où se tenait le colloque sur l’état du mal-logement en Isère, les militants du Dal 38 « ouvraient » les anciens locaux du Crédit agricole de Grenoble, désormais propriété de la Ville, pour y loger migrants et sans-abris. Une occupation suivie d’une expulsion musclée le lendemain même.
Pas question pour Un toit pour tous de s’opposer au Dal. « C’est une démarche respectable, ce sont les grands héritiers des associations de la fin du 19ème siècle », souligne René Ballain. Andrée Demon abonde. « Ce sont des actions différentes des nôtres, mais complémentaires », estime-t-elle. Tout en assumant le choix d’Un toit pour tous d’avancer en lien avec les institutions, « pour voir comment améliorer les choses et expérimenter nous-mêmes ».
Logement d’abord sur la Métropole
Expérimenter ? C’est le cas avec le dispositif gouvernemental Logement d’abord, pour lequel Grenoble Alpes Métropole a été désigné territoire “cobaye” en avril 2018. Né en Amérique du nord, le concept du Logement d’abord (« Housing First » à l’origine) était réclamé depuis longtemps par Un toit pour tous, comme par de nombreux autres acteurs du logement.
Sans surprise, l’association suit de près sa mise en place sur le territoire métropolitain. Le principe du Logement d’abord ? En finir, lorsque c’est possible, avec le parcours hébergement, logement d’insertion puis accession à la location.
« Ce système fonctionne de façon insatisfaisante parce que tout le monde ne suit pas cette trajectoire », juge René Ballain. Qui voit dans le Logement d’abord « une vraie révolution » en faisant du logement un préalable, dans un environnement sécurisé et sécurisant pour le locataire comme pour les bailleurs.
Une révolution qui ne va sans inquiétudes. « Le logement d’abord, c’est d’abord du logement ! », résume Andrée Demon. En somme, pour que l’objectif de l’initiative soit rempli, l’offre de logement disponible se doit d’être importante. Ce qui suppose la production de logements à bas prix. « Et peut-être aussi d’être plus offensif sur le parc privé, pour que des propriétaires acceptent de baisser le montant de leurs loyers », ajoute la présidente d’Un toit pour tous.
De l’Ase… à la rue
Autre motif d’inquiétude, souligné par Un toit pour tous durant l’État du mal-logement : la remise, ou la mise à la rue, de personnes au sortir de diverses institutions. En cause, principalement ? Les prisons, les hôpitaux psychiatriques ou l’Aide sociale à l’enfance (Ase). Dans ce dernier cas, les chiffres parlent d’eux-mêmes. « Au niveau national, 26 % des sans-abris sont des anciens de l’Ase, et 36 % pour les moins de 25 ans », rappelle Anissa Ghiouame, responsable de l’OHL.
« La dimension de préparation à la sortie est tellement peu prise en compte que l’on ne sait pas combien de jeunes sortent de l’Ase sans solution de logement ! », déplore René Ballain. ll en va de même pour les sorties de prison. Une situation d’autant plus regrettable, estime le président de l’OHL, que des solutions pourraient être mises en œuvre. D’où la volonté d’Un toit pour tous de mettre l’accent sur cette problématique.
Quelles solutions ? « Il faut sortir d’un fonctionnement en silo, sans coopération », plaide encore René Ballain. En recoupant les compétences des travailleurs sociaux ou en continuant un accompagnement des jeunes au-delà de leur majorité dans certains cas, les sorties “à la rue” pourraient diminuer drastiquement. « On va sans doute trouver des solutions, au moins pour les sorties de l’Ase en Isère », conclut René Ballain avec optimisme.