REPORTAGE – Une soixantaine de personnes se sont réunies sur le campus de Saint-Martin-d’Hères, le 6 décembre. Le motif de leur colère ? L’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants extra-européens. En effet, ceux-ci devront payer 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat dès la rentrée 2019. À cette occasion, des étudiants sénégalais de Grenoble ont partagé leurs craintes et leurs revendications.
« Nous voulons seulement avoir l’opportunité d’étudier et de réussir notre vie », témoigne Ngagne Fall, doctorant en communication à l’université Grenoble-Alpes. Arrivé en France en 2015, ce jeune Sénégalais s’inquiète désormais pour la poursuite de ses études. En effet, les frais de scolarité vont beaucoup augmenter pour les étudiants extracommunautaires, suite à une réforme annoncée par le gouvernement le 19 novembre dernier. Mesure qui vise notamment à financer davantage de bourses et à améliorer l’accueil des étudiants étrangers, a indiqué le Premier ministre. Des aides pour un quart des étudiants
Actuellement, les non-ressortissants de l’Union européenne paient les mêmes droits que les étudiants français, soit 170 euros en licence, 243 euros en master et 380 euros en doctorat. À partir de septembre 2019, ils devront payer 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat. Soit « un tiers du coût réel » d’un étudiant étranger pour les finances publiques, selon le gouvernement.
Une manifestation contre une réforme « discriminatoire et inégalitaire »
« Abrogation de toutes les lois racistes ! Frais d’inscription c’est l’exclusion ! », scandaient les manifestants, le 6 décembre sur le campus de Grenoble. Une soixantaine de personnes se sont ainsi réunies pour exprimer leur opposition à cette mesure. Parmi eux, de nombreux étudiants, quelques gilets jaunes, mais aussi des membres d’associations et des lycéens préoccupés par les réformes en cours.
« Cette réforme est injuste !, juge Marjorie, élève en seconde. Si le gouvernement veut augmenter les frais de scolarité, qu’il le fasse pour tout le monde, pas seulement pour les minorités », estime-t-elle.
Cette mesure serait donc « discriminatoire », selon les manifestants, voire « xénophobe » pour certains. « On voit bien que l’objectif du gouvernement Macron est de créer une université élitiste, dans la continuité de la politique menée », regrette Antonin, membre du syndicat étudiant Unef Grenoble et militant pour le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA 38). « Elle augmente les problématiques de classe et renforce l’exclusion », poursuit-il.
« Augmenter les inscriptions, c’est nous dire de plier bagages »
« Augmenter les inscriptions, c’est nous demander de plier bagages et de rentrer chez nous », s’indigne Ngagne dans le mégaphone. Les manifestants s’étonnent surtout de cette hausse « exponentielle » et « soudaine » des frais de scolarité. « Ils sont multipliés par dix ou quinze ! », s’offusquent-ils.
Des membres de l’association des étudiants et stagiaires sénégalais de Grenoble (AESSG) présents sur place témoignent aussi des difficultés financières des étudiants étrangers. « Le coût de la vie est très cher en France. Avec le loyer, la nourriture et les autres frais, c’est déjà très compliqué », explique Khalifa Ababacar Ndiaye, président de l’AESSG.
« Si le gouvernement augmente le prix de nos études à mi-parcours, il va tuer tous nos espoirs », poursuit-il. « Aucune famille africaine ne peut payer une telle somme, même si les parents travaillent dur », ajoute Ngagne. Qui signale que la durée légale du travail est limitée pour les étudiants étrangers. « Je ne pourrai sûrement pas payer ces frais en 2019. Nous voulons seulement finir nos études », confie-t-il.
France – Sénégal : « une histoire commune »
Ngagne, Khalifa Ababacar et leurs compatriotes soulignent le fait qu’une grande partie de l’Afrique partage la francophonie et une histoire commune avec la France.
Le Sénégal, colonie française jusqu’en 1946, entretient donc selon eux une relation particulière avec l’Hexagone. « Nous avons choisi la France pour les liens étroits qui nous unissent », témoigne Ngagne.
À l’école au Sénégal, « on parle et on apprend le français. Nous connaissons les grands écrivains et l’histoire de France. Nous avons une culture et une éducation française. Les plus grands noms africains sont passés par la France », explique Khalifa Ababacar. « Quand tu grandis dans cet environnement, c’est normal de vouloir venir en France car c’est ici qu’on nous a toujours orientés », ajoute-t-il.
Étudier en France et développer l’Afrique
Khalifa Ababacar est arrivé en France il y a trois ans pour suivre une licence en mathématiques à l’université de Grenoble. Il ambitionne de devenir développeur informatique. « La France m’a donné cette chance », commente-t-il. À la fin de ses études, il espère pouvoir créer sa propre entreprise au Sénégal.
Ngagne souhaite, lui aussi, bénéficier de « l’expertise » et des « connaissances françaises » pour les transmettre ensuite à la « jeunesse africaine et sénégalaise ».
Pour ces étudiants de Grenoble, cette réforme serait donc paradoxale. « Nous voulons faire des études pour développer notre pays. Et pour que le Sénégal prenne son indépendance économique vis-à-vis de la France », explique Khalifa Ababacar. Les échanges de savoirs permettraient ainsi, selon eux, de limiter les flux migratoires, à long terme : « Si on aide l’Afrique, on aide aussi la France ! », estiment-ils.
« Si nous ne faisons rien, il n’y aura plus d’étudiants africains »
Pour ces étudiants, la déception est immense : « Je suis arrivé en France en 2017 et je dois déjà rentrer chez moi en 2018 à cause de cette réforme ? », affirme un manifestant, visiblement ému. « Où sont passées les grandes valeurs humanistes de la France ? », interroge-t-il. Ces jeunes appellent donc à la mobilisation générale : « C’est notre combat mais c’est aussi votre combat. »
Ils soulignent également l’importance de la mixité et du brassage culturel au sein des universités. « Nous partageons les amphithéâtres, nous faisons tout ensemble. Vous apprenez de nous, tout comme nous apprenons de vous […] Si nous ne faisons rien, il n’y aura plus d’étudiants africains sur le campus ! », clame Ngagne, affecté par cette situation.
Une perspective toutefois peu probable, dans la mesure où 14 000 bourses d’exemption de frais vont voir le jour, principalement destinées aux étudiants de pays en développement. Celles-ci seront en outre accompagnées d’autres accords d’exemptions. « Un étudiant international sur quatre pourra bénéficier d’une exonération ou d’une bourse », assure ainsi le gouvernement.
Anaïs Mariotti