EN BREF – Le tribunal de grande instance de Grenoble a reporté au 19 décembre l’audience chargée d’étudier la demande d’évacuation du camp Courtade, à Fontaine. Jouxtant le Géant Casino, ce terrain, occupé depuis trois ans par une cinquantaine de Roms, suscite une vive polémique depuis plusieurs mois. D’un côté, le maire de Fontaine Jean-Paul Trovero qui invoque des troubles à l’ordre public. De l’autre, plusieurs associations.
Les familles Roms et la vingtaine de militants associatifs venus les soutenir, ce mercredi 5 décembre au matin, devant le palais de justice, ont accueilli avec la nouvelle avec soulagement. Le tribunal de grand instance de Grenoble, saisi par l’Établissement public foncier local (EPFL) du Dauphiné, propriétaire du terrain Courtade, a en effet annoncé un report de l’audience au 19 décembre prochain. Pas d’expulsion imminente en vue donc.
Un renvoi prononcé à la demande des défenseurs de l’EPFL, explique Me Alban Costa, avocat des habitants de Courtade : « Ils n’étaient pas prêts et avaient besoin d’un délai pour répondre à nos conclusions. Notre argument, c’est que l’EPFL ne justifie pas la réalité d’une situation d’urgence, faute d’un projet concret sur le terrain. »
Le tableau dressé par Jean-Paul Trovero est apocalyptique
De fait, estime l’avocat, « le projet n’est pas suffisamment avancé pour justifier une atteinte aux droits de ces personnes ». Occupé depuis trois ans par une cinquantaine de Roms d’origine roumaine, le terrain Courtade, situé entre le parking du Géant Casino et le McDo, se trouve en effet sur le périmètre de la future opération Portes du Vercors, dont le coup d’envoi est sans cesse différé.
Les associations de soutien aux Roms avaient ainsi pu négocier avec la Métropole, l’EPFL et la Ville de Fontaine un accord permettant aux familles de rester sur les lieux jusqu’à l’été 2019. Arrangement devenu caduc après la volte-face du maire de Fontaine Jean-Paul Trovero, qui demande depuis septembre l’évacuation du camp et a sommé l’EPFL de saisir le tribunal en ce sens.
L’édile justifie sa décision en invoquant les « troubles à l’ordre public » et une « délinquance lourde » perpétrée par des « réseaux mafieux » depuis l’arrivée, l’été dernier, de nouvelles personnes sur le camp. Vols, bagarres, bruit, saleté, incendie, prostitution, trafic de chiens, trafic de drogue, et même trafic d’armes… Le tableau dressé par Jean-Paul Trovero est apocalyptique !
« Les élus ne viennent jamais sur le terrain »
« Il ne manque que le vol d’enfants et de poules et le trafic d’organes et on a la collection complète des pires clichés sur les Roms », ironisent les militants. Réunis ce mercredi matin dans un café jouxtant le palais de justice, ces derniers élaborent la riposte. Dans leur viseur, le maire de Fontaine, accusé de « faire des amalgames discriminatoires et de colporter des rumeurs », d’après Yvon Sellier, de la Patate chaude.
« On conteste la réalité des allégations de troubles sur le voisinage », indique Me Alban Costa. « Jean-Paul Trovero et les élus n’ont aucune preuve et ne viennent jamais sur le terrain. Pourtant le maire se permet des accusations extrêmement fortes et criminelles alors qu’une trentaine de personnes, membres d’associations, vont régulièrement sur le terrain et n’ont jamais rien vu de tout ça », s’insurge Serge Huet, bénévole de Roms Action.
Celui-ci assure être à chaque fois « bien accueilli », preuve selon lui que « les gens n’ont pas grand-chose à cacher ». Dans un témoignage fourni à la justice, il apporte d’ailleurs une vision plus nuancée du camp Courtade : « Ces personnes sont dans une extrême précarité et vivent dans une sorte de ghetto. Cela n’empêche pas qu’ils scolarisent leurs enfants, suivent des formations professionnelles, ont un emploi pour certains et sont en recherche active pour d’autres. »
« Je vais demander la mise en œuvre d’une loi qui accorde des délais aux occupants »
Serge Huet mentionne également « les quatre jeunes Roms du terrain qui font partie d’une équipe de service civique depuis trois semaines pour une durée de neuf mois. Leur insertion sociale n’est pas facile mais nous sommes témoins de ces actions positives de leur part », affirme-t-il.
Sur le volet juridique, Me Costa prépare quant à lui un plan de secours en cas de condamnation à titre principal par le tribunal : « De façon subsidiaire, je vais demander la mise en œuvre d’une loi de 2017 qui accorde des délais aux occupants de terrain. »
Pour le large réseau de soutien aux Roms de Courtade formé ces derniers mois, mêlant habitants de Fontaine et diverses associations (Roms Action, La Patate chaude, la paroisse, le Secours catholique, Unis-Cité, RESF, le Dal 38), l’obtention d’un délai signifie surtout « du temps pour continuer à mobiliser ». Une vaste opération est ainsi dans les tuyaux pour installer des toilettes sèches avec les habitants du camp et le concours d’Unis-Cité et de deux jeunes architectes.
« Si on y arrive à Grenoble, on devrait pouvoir y arriver à Fontaine »
Fiers du travail d’insertion mené depuis trois ans sur le camp, les collectifs déplorent que la Ville de Fontaine « se défausse sur les associations et les militants, qui n’ont ni les mêmes moyens ni les mêmes obligations ». Ils comparent aussi le cas fontainois avec un exemple de collaboration fructueuse – une fois n’est pas coutume – entre associations et municipalité, en l’occurrence celle de Grenoble.
« À Grenoble, après deux ans et demi d’occupation rue Jay, on a réussi à signer une convention renouvelable tous les ans pendant trois ans, avec la mairie, se félicite Roseline Vachetta, présidente du CIIP (Centre d’information inter-peuples). Sur vingt familles, une douzaine ont trouvé des solutions : tous les enfants sont scolarisés et soignés. Si on y arrive à Grenoble, on devrait pouvoir y arriver à Fontaine. »
Manuel Pavard