DÉCRYPTAGE – Le conseil municipal de Grenoble a débattu, le 5 novembre dernier deux heures durant, du plan d’action détaillé de la municipalité en matière de tranquillité publique et de prévention de la délinquance. Malgré des échanges « de grande tenue dans la forme comme sur le fond » selon Eric Piolle, les oppositions municipales sont restées sur leur faim. Elles soulignent notamment l’absence de perspectives dans un plan municipal reposant pour l’essentiel sur les nuisances sonores et le trafic de stupéfiants.
Conseil municipal de la ville de Grenoble consacré notamment au vote sur le plan d’action de la Ville en matière de tranquillité publique et de prévention de la délinquance le 5 novembre 2018. © Joël Kermabon – Placegrenet.fr
« Je ne laisserai pas le territoire être caricaturé et sacrifié pour quelques ambitions personnelles et pour faire le buzz. » Éric Piolle, maire de Grenoble, a tenté de couper l’herbe sous le pied à ses opposants, lors du conseil municipal du 5 novembre dernier. De fait, la première délibération portait sur le thème, ô combien sensible, de la sécurité…
Le débat « de grande tenue sur la forme comme sur le fond », selon le maire, aura duré deux heures pleines. Sans pour autant satisfaire les oppositions municipales qui attendaient une telle discussion depuis fort longtemps. Et sont, pour le coup, restées sur leur faim.
Ces dernières dénoncent l’absence de perspectives d’un plan axé pour l’essentiel sur les « deux problèmes majeurs » que sont les nuisances sonores et le trafic de stupéfiants. Autant qu’elles regrettent l’absence des partenaires privilégiés – État et Justice – dans ce débat sur la sécurité grenobloise.
Le plan d’action, un engagement de la Ville
De fait, la Ville s’était engagée, lors d’une assemblée antérieure, à présenter en conseil municipal un plan d’action détaillé de son intervention en matière de tranquillité publique et de prévention de la délinquance. Une présentation qui s’inscrit dans le contexte des annonces, faites par le ministre de l’Intérieur lors de sa venue à Grenoble, de la hausse des effectifs et de l’amélioration des équipements.
Gérard Collomb, ex-ministre de l’Intérieur lors de sa visite à Grenoble. © Manuel Pavard – Place Gre’net
« Ces avancées vont dans le bon sens, même si elles n’annulent pas complètement la casse des effectifs », concède le maire. Qui se félicite que la mobilisation groupée d’Échirolles, de Grenoble et de Saint-Martin-d’Hères ait « porté ses fruits ».
« La mobilisation de la Ville est totale, à la fois sur le territoire et au contact des partenaires : Métropole, Département, bailleurs sociaux et État », a conclu Éric Piolle. Une mobilisation qu’Élisa Martin, première adjointe à la tranquillité publique, a tenté d’illustrer à travers une longue énumération des action passées de la Ville. Avant d’en arriver au plan d’action proprement dit.
Les nuisances sonores et les conséquences du trafic de stupéfiants
« Tout ce qui préoccupe les Grenoblois nous préoccupe », réaffirme Élisa Martin. Si la formule de l’élue n’est pas nouvelle, la première adjointe ne veut pas « laisser circuler une image dégradée de la ville » qui ne se résume pas qu’aux questions de violence, selon elle.
« Dénigrer l’image de la ville de façon systématique n’est pas, bien évidemment, sans conséquences », regrette amèrement Élisa Martin. Mais il faut, estime-t-elle, regarder les choses en face. « Cela n’empêche pas la lucidité, bien au contraire. L’objectivation en matière de police est nécessaire pour agir efficacement », appuie-t-elle.
« Quel est notre constat, qu’est-ce qui empoisonne la vie des gens ? », questionne l’élue. Essentiellement les nuisances sonores et les conséquences du trafic de stupéfiants, qui ne pourront se régler, selon elle, qu’en « fai[sant] le pari de la présence humaine ».
Et celle-ci de préciser : « Avec une structuration très forte de la police municipale, notamment à travers des équipements, des locaux, de l’enseignement aux gestes professionnels, de l’attention et de la rigueur de la part de l’encadrement et enfin de bonnes conditions de travail », énumère Élisa Martin. « Nous envisageons la police comme une police du quotidien, au milieu et en lien avec les habitants, qui assure une disponibilité et une présence rassurante. »
Vers un recours accru aux pouvoirs de police administrative du maire ?
Un rôle que viendrait compléter la mise en place de référents géographiques. « Par exemple, à Hoche, qui est un secteur complexe ou sur des lieux ou règne la prostitution », propose l’élue. Thématique sur laquelle la Ville est très active, affirme-t-elle.
Elle liste ainsi, pêle-mêle, l’interpellation de la commission préfectorale d’analyse du système prostitutionnel, la sensibilisation du public à la « réalité sordide » de la prostitution, et la réalisation d’affiches avec les habitants, en lien avec le service de la prévention de la délinquance (SPD). Sans oublier les contrôles routiers communs police nationale – municipale.
Le corollaire de tout cela ? Le recours accru au pouvoir de police du maire. Notamment en matière de restriction des horaires d’ouverture de commerces de l’hyper-centre, facteurs de nuisances nocturnes. « C’est ce qui a été fait rue Auguste Gaché avec les établissements de nuit dont les activités nuisaient particulièrement au quotidien des habitants », illustre Élisa Martin. Le tout adossé à l’extension de la médiation de nuit « à la satisfaction des habitants ».
« Le cannabis banalisé ? Le système mafieux qui le soutient non ! »
« Nous voulons jouer sur un éventail de moyens et d’outils de fermeté », déclare Élisa Martin. Notamment, en matière de troubles à l’ordre public, avec un partenariat sur le travail mené auprès des mineurs. Prévention spécialisée, service de protection de l’enfance du Département, acteurs éducatifs seront ainsi réunis pour améliorer la prévention de la récidive.
« L’année 2019 sera, je l’espère, celle où nous augmenterons fortement les moyens pour prévenir l’entrée dans le trafic de stupéfiants, annonce Élisa Martin. Autant nous n’avons pas les moyens de démanteler les réseaux, autant nous avons le devoir d’agir sur les stups qui font basculer nombre de jeunes dans la délinquance et dans des univers extrêmement violents », explique la première adjointe.
D’où, estime-t-elle, la nécessité d’un engagement plus fort de l’ensemble des acteurs éducatifs, quels qu’ils soient. Quant aux clients des points de vente sur l’espace public, ils doivent être avertis eux aussi du système violent qu’ils soutiennent, considère Élisa Martin.
« Le cannabis banalisé ? Le système mafieux qui le soutient non ! », s’exclame-t-elle. Avant d’interroger sur les limites de la prohibition « qui empêche la prévention et les politiques de santé publique, permettant ainsi à une économie parallèle de se développer ». Sur ce point, l’élue ne manque pas de se féliciter de l’annonce de moyens de police nationale dédiés à la lutte contre les stupéfiants, tout comme c’est le cas à Marseille.
« Entre l’aveuglement et l’excès, il existe un chemin de fermeté »
Matthieu Chamussy, du groupe d’opposition de droite Réussir Grenoble, n’a pas manqué de tacler tout aussi bien la municipalité que les politiques à sa droite… « Il y a ceux qui sont dans l’excès, dans la caricature, dans l’outrance, qui décrivent une situation apocalyptique où la ville serait une vaste zone de non-droit généralisé, abandonnée aux bandes. Parce qu’il faut nourrir les instincts les plus bas, les démagogues, les populistes sont à la manœuvre », expose l’élu.
« Et puis, il y a les autres, poursuit-il, qui portent l’humanisme en bandoulière. “Ça ne va pas si mal, ce n’est pas pire qu’ailleurs et de toute façon ce n’est pas de notre responsabilité…” C’est ce discours-là que vous avez tenu pendant quatre ans déjà », ironise Matthieu Chamussy. Qui, reconnaissant que la période est à l’outrance, estime « qu’entre l’aveuglement et l’excès, il existe un chemin de fermeté ».
« Vous venez, ce soir, avec une délibération qui est en réalité une dissertation, une énumération de ce que vous faites […] Dont acte, il y a bien des points que nous pouvons partager, mais vous êtes hors sujet ! », lance Matthieu Chamussy du groupe de droite Réussir Grenoble. Pour l’élu, qui juge que c’est une occasion ratée, le sujet « c’est ce qu’il faut faire en plus », en se posant la question « de savoir si la situation actuelle est satisfaisante ».
Et si elle ne l’est pas, « comment la Ville peut-elle agir ? Que va-t-elle faire de plus demain ? », questionne le président du groupe d’opposition. Pour Matthieu Chamussy, il faut renouer le fil. « Il est important de montrer aux Grenoblois que leurs élus ne sont pas dans le déni de réalité, qu’ils voient la situation en face et qu’ils prennent leur part de responsabilité pour améliorer leur vie quotidienne », conclut-il.
« Quatre ans et sept mois pour débattre enfin de la prévention et de la sécurité ! »
« Quatre ans et sept mois… C’est le temps qu’il aura fallu pour que nous débattions enfin de la politique de prévention et de sécurité de la Ville », enchaîne, quant à lui, Jérôme Safar, le président du groupe Rassemblement de gauche et de progrès.
Évoquant longuement plusieurs faits violents survenus sur l’agglomération, l’élu ne manque pas de souligner que « cette violence ne date pas d’aujourd’hui et qu’elle est bien inhérente à une évolution de la société qu’il faut affronter collectivement ». Ce qui n’empêche pas Jérôme Safar de regretter « l’absence des partenaires essentiels que sont le préfet et le procureur de la République ». Une occasion manquée, donc.
Jérôme Safar lors du conseil municipal de la ville de Grenoble, le 5 novembre 2018 © Joël Kermabon – Place Gre’net
Et le conseiller municipal d’évoquer son « malaise dû à la forme de la délibération ». Pour ce dernier, elle ne donne aucune idée du contexte et du diagnostic initial permettant d’évaluer et bien comprendre en quoi la politique de prévention et de sécurité de la Ville répond à des objectifs clairs.
« C’est dommage, parce que sans jouer le jeu de la défausse et de la patate chaude, cela aurait permis de développer quelques points essentiels », juge l’élu. Qui déplore au passage l’absence de données chiffrées sur les cambriolages, les vols avec violence, les atteintes aux personnes…
« Nous devons refuser le populisme ambiant, Non, Grenoble n’est pas Chicago, non, Grenoble n’est pas une ville où l’on se fait tabasser et tirer dessus à tous les coins de rue ! », appuie Jérôme Safar. « Ce débat ne peut pas et ne doit pas être un débat qui alimente les surenchères et inquiète encore un peu plus nos concitoyens », affirme-t-il.
« La délinquance a pris le pouvoir à Grenoble ! »
S’emparant de la perche tendue par Matthieu Chamussy et Jérôme Safar, Mireille d’Ornano, présidente du groupe Rassemblement des patriotes, les remercie d’avoir parlé des populistes. « Ces populistes, dit-elle, ont alerté le maire depuis le début de la mandature sur les problèmes d’insécurité à Grenoble. Ce ne sont pas eux qui disent “Grenoble, un Chicago français ?”, mais les journaux », se défend-elle.
Et d’alerter sur la gravité de la situation. « Agressions quasi quotidiennes, incivilités récurrentes… La délinquance a pris le pouvoir à Grenoble ! Alors stop au bla-bla-bla, hein, et agissons une bonne fois pour toutes ! »
L’élue relève tout de même quelques points positifs dans la copie de la municipalité.
Notamment « l’étude que vous comptez mener sur les conduites addictives et les substances psychoactives, [qui] permettra d’ouvrir enfin les yeux sur un des problèmes majeurs de Grenoble : la drogue ».
« Tolérance zéro ! Voilà ce qu’il faut faire à Grenoble »
Sans surprise, Mireille d’Ornano se dit extrêmement déçue de ce plan d’action. « On tourne autour du pot mais les solutions ne vont jamais assez loin », critique-t-elle. Avant d’enchaîner sur le déploiement de la vidéosurveillance, l’armement de la police municipale, puis d’évoquer la politique inflexible menée par Rudy Giuliani, l’un des anciens maires de New-York. « Moi, je dis tolérance zéro ! Voilà ce qu’il faut faire à Grenoble ! »
Conseil municipal de la ville de Grenoble consacré notamment au vote du débat d’orientations budgétaires le 5 novembre 2018. © Joël Kermabon
« Le problème c’est que nous ne pouvons pas approuver un plan d’action si aucun bilan n’est produit. Or, là, vous n’en proposez aucun ! », regrette pour sa part Guy Tusher du groupe “dissident” Ensemble à gauche.
Au final, le plan d’action a été approuvé par la majorité, les groupes Rassemblement de gauche et de progrès et Ensemble à gauche se sont abstenus, tandis que celui de Matthieu Chamussy et de Mireille d’Ornano ont voté contre.
Joël Kermabon