FOCUS – Ce dimanche 4 novembre, le mathématicien grenoblois Vincent Lafforgue a reçu le prix Breakthrough 2019 de mathématiques au Ames Research Center de la Nasa, dans la Silicon Valley. Le directeur de recherche de l’Institut Fourier est récompensé pour son parcours et ses recherches sur le programme dit de Langlands.
Ce dimanche 4 novembre, le chercheur grenoblois Vincent Lafforgue, directeur de recherche à l’Institut Fourier*, a reçu le prix Breakthrough (percée en français) 2019 dans la catégorie mathématiques au Ames Research Center de l’Administration nationale américaine de l’aéronautique et de l’espace (Nasa) dans la Silicon Valley.
C’est la cinquième fois qu’un Français a l’honneur de recevoir ce trophée d’estampille américaine créé en 2012 par de riches entrepreneurs du pôle des industries de pointe. Dont Sergey Brin, cofondateur avec Larry Page de la société Google, et Mark Zuckerberg, le médiatique fondateur et PDG de Facebook**. Lors de cette 7e édition, les neuf gagnants – six en sciences de la vie, deux en physique et un en mathématiques*** – se sont partagés pas moins de 22 millions de dollars.
Deux fois récompensé pour l’excellence de ses travaux
Le programme de Langlands, vous connaissez ? Voilà ce sur quoi le français Vincent Lafforgue s’est distingué en contribuant à paramétrer le vaste ensemble de conjectures en arithmétique sur « les corps globaux de caractéristique positive ». Comment ? Au moyen de constructions originales mettant en jeu la géométrie des « chtoucas de Drinfeld ». Les mathématiciens chevronnés comprendront.
Pour l’excellence de ses travaux ayant fait l’objet d’une publication majeure en 2013, le chercheur a déjà été honoré en France par une médaille d’argent du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 2015.
Les Américains n’ont, pour leur part, pas peur de s’inspirer des codes connus du grand public quand ils veulent soutenir une cause. D’où l’idée de cet évènement dédié à la célébration des chercheurs en science fondamentale.
« La science appliquée est soutenue d’une manière ou d’une autre. La science fondamentale, elle, est très fragile et nécessite le soutien des gouvernements du monde entier. Sans la reconnaissance publique et la compréhension de ce que les scientifiques font, il est très difficile de compter sur la poursuite de ce soutien », justifiait Yuri Milner dans l’émission de télévision américaine Bloomberg technology.
Ce dernier, fondateur de la société 23andMe d’analyse du code génétique de ses clients, figure parmi les autres soutiens financiers des prix Breakthrough, remis chaque année lors d’une cérémonie aux allures « d’Oscars de la science », retransmise en direct.
Un show présidé par l’un des célèbres interprètes de James Bond
C’est ainsi que le mathématicien Vincent Lafforgue s’est vu remettre son prix Breakthrough sous les applaudissements nourris d’un parterre d’invités recrutés parmi le gratin des stars d’Hollywood et des géants des technologies****.
Ce, lors d’un show animé par l’un des célèbres interprètes de James Bond, Pierce Brosnan.
Autant qu’il célèbre la recherche scientifique, le prix Breakthrough vise aussi à inspirer la prochaine génération de scientifiques.
Et le français Vincent Lafforgue, déjà remarqué en août dernier à Rio parmi les conférenciers du prestigieux congrès international quadriennal des mathématiciens où sont attribuées les célèbres médailles Fields, est tout à fait de cette trempe-là. Ne serait-ce que par le regard qu’il porte sur son parcours qui, contrairement à ce dont on pourrait s’attendre, n’est pas parfaitement linéaire.
« Quand on cherche à résoudre un problème difficile, on va échouer neuf fois sur dix. Il faut savoir changer de sujet et passer à un autre problème », revendique-t-il. Un conseil qu’il s’est appliqué à lui-même tout au long de sa jeune mais non moins déjà riche carrière.
« Un poste permanent permet à un chercheur d’avoir une vraie tranquillité d’esprit »
Entré à l’École normale supérieure de Paris (ENS), Vincent Lafforgue soutient, en 1999, sa thèse, portant sur la conjecture de Baum-Connes où il se démarque déjà de ses coreligionnaires. « Il introduit des méthodes originales d’algèbres de Banach pour résoudre de nouveaux cas de cette conjecture », vante ainsi l’université Grenoble-Alpes (UGA) dans un communiqué.
Recruté dans la foulée au CNRS à l’Institut de Mathématiques de Jussieu Paris rive gauche (IMJ-PRG), il creuse encore pendant plusieurs années ce thème jusqu’à réussir à montrer cette conjecture à coefficients pour tout un nouvel ensemble de cas. À savoir, les « groupes hyperboliques » au sens du célèbre mathématicien Mikhaïl Gromov.
Pour ce virtuose de l’abstraction, il est dorénavant temps de quitter Baum-Connes. Il s’adonne alors à un autre sujet, le programme de Langlands, qui lui vaut cette nouvelle distinction. L’occasion pour le mathématicien de souligner l’importance de la titularisation pour travailler en science fondamentale.
« Un poste permanent permet à un chercheur d’avoir une vraie tranquillité d’esprit. Nos recherches et projets sont difficiles et nous pouvons mettre une dizaine d’années avant d’avoir des résultats importants. De plus, nous ne pouvons pas prévoir ce que nous allons trouver », explique-t-il.
« J’aimais beaucoup mes cours de mathématiques à l’école »
Une chose est sûre, il faut cent fois remettre l’ouvrage sur le métier, selon le célèbre adage de Boileau. Et commencer tôt, conseille Vincent Lafforgue. « C’est très bien de commencer à faire des mathématiques jeune. J’aimais beaucoup mes cours de mathématiques à l’école, spécialement le calcul mental puis la géométrie et l’arithmétique, et aussi les activités extrascolaires, notamment la lecture de livres écrits par des mathématiciens pour les enfants et les adolescents », tient-il à faire savoir aux jeunes générations.
À quoi aspire-t-il désormais ? À apporter son concours dans des recherches déjà très développées au CNRS mais d’utilité environnementale irréfutable selon lui. « Les économistes disent qu’il y a un sous-investissement global dans la recherche pour les énergies propres et l’écologie (0,01 % du PIB mondial alors que notre avenir en dépend). Cela m’a convaincu de m’y mettre », conclut le lauréat.
Véronique Magnin
* Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – Université Grenoble Alpes (UGA)
** Les trois prix Breakthrough, qui récompensent des travaux en physique fondamentale, sciences de la vie et mathématique, sont sponsorisés par Sergey Brin (Google), Priscilla Chan et Mark Zuckerberg (Facebook). Mais également, Ma Huateng (Tencent), Yuri et Julia Milner, et Anne Wojcicki (23andMe).
*** Prix Breakthrough en sciences de la vie : C. Frank Bennett et Adrian R. Krainer, Angelika Amon, Xiaowei Zhuang, et Zhijian “James” Chen.
Prix Breakthrough en physique fondamentale : Charles Kane et Eugene Mele.
Prix Breakthrough en mathématiques : Vincent Lafforgue.
**** Dont Morgan Freeman, Mila Kunis, Ashton Kutcher, les patrons de Spotify, YouTube ou encore Virgin Galactic, pour n’en citer que quelques-uns.