REPORTAGE – Depuis novembre 2017, la Ville de Grenoble développe des Chantiers ouverts au public (Cop) réunissant des agents de la Ville, des bénévoles et des habitants autour d’un projet commun sur l’espace public. Les objectifs poursuivis ? Faire évoluer les usages des espaces communs en se les réappropriant et en les embellissant, tout autant qu’en développant les rencontres entre usagers et services de la Ville.
Ce vendredi 3 août, un concert de perceuses, visseuses et scies sauteuses accueille le visiteur qui pénètre dans la petite arrière-cour de La Chaufferie transformée en terrasse. Quatre jeunes du quartier Abbaye-Jouhaux encadrés par un agent de la Ville de Grenoble et des permanents de l’espace jeunesse qu’est devenu cet équipement municipal, s’affairent.
Tous, visiblement très concentrés, participent à la réalisation d’une nouvelle enseigne à partir du bois récupéré sur quelques palettes stockées dans un coin de la terrasse. Ce n’est d’ailleurs pas le premier chantier qui se déroule à La Chaufferie puisque, le 3 juillet, trois autres jeunes de 19 ans ont fabriqué eux-mêmes – ils n’en sont pas peu fiers – le mobilier de la terrasse qu’ils utilisent.
Des travaux effectués dans le cadre des Chantiers ouverts au public (Cop), le dispositif pédagogique et citoyen initié par la Ville de Grenoble en novembre 2017 dans une logique « d’intelligence collective ». Sa finalité ? Permettre aux habitants – surtout des jeunes – et associations de quartiers appuyés par des agents municipaux de « réenchanter et de transformer leur cadre de vie, depuis la conception jusqu’à la réalisation, le tout à moindres coûts ».
Budget participatif, jardins partagés versus chantiers ouverts au public ?
Les Cop ne sont que la suite logique des chantiers participatifs qui se sont déroulés de l’automne 2017 jusqu’au mois de mars 2018 et dont l’appellation a ensuite changé. Depuis mars, on recense déjà quelques réalisations concrétisant des demandes des habitants.
On peut citer la création de mobilier dans le jardin partagé de l’Amitié, la remise en état des bancs de la place des Géants ou encore la création d’une aire de jeux au Bastion, situé quartier Mutualité. Et si le dispositif est encore bien trop jeune pour tenter d’en tirer un tout premier bilan, il a le mérite d’exister, estime Maud Tavel, adjointe au personnel et à l’administration générale.
Le budget participatif ou encore les jardins partagés ne suffisent-ils toutefois pas à répondre aux demandes spécifiques des habitants ? « Le budget participatif et les jardins partagés ne touchent pas obligatoirement la même population que les Cop, explique Maud Tavel. Il touchent des gens déjà bien impliqués dans la vie associative tandis que, là, nous venons plutôt chercher des jeunes peut-être moins impliqués. Ces trois dispositifs sont complémentaires. »
Une bonne collaboration entre différents services de la Ville
Quid de ce nouveau et éphémère chantier à La Chaufferie ? « L’idée était d’expérimenter quelque chose d’un peu artistique. Là, ce n’est pas terminé, il va falloir encore poncer puis peindre les lettres, bref tout préparer », décrit Toufik Masmoudi, correspondant jeunesse sur le secteur 5.
Autant de tâches, bien réparties, qui permettent aux jeunes volontaires de mieux appréhender les matériaux et d’apprendre à se servir de l’outillage en toute sécurité. Du moins pour les plus âgés d’entre eux. « On ne laissera jamais les plus petits s’en servir », précise promptement le correspondant.
Pour cela, l’équipe est accompagnée par Jean-Louis Cipri, « un amoureux du bois » animateur technique à la Direction d’action territoriale de la Ville. « C’est intéressant de travailler avec quelqu’un de passionné, qui a un bon ressenti avec les jeunes, ils apprennent beaucoup », assure Toufik Masmoudi. « C’est une bonne collaboration entre nos services qui n’ont pas l’habitude de bosser ensemble », apprécie-t-il.
Quant aux parents, ils sont bien sûr ravis de voir leurs enfants pratiquer des activités plus manuelles et enrichissantes qui les sortent un peu du cadre de leurs loisirs habituels ou, pour certains, du désœuvrement, rapporte le correspondant jeunesse. Et, qui sait, peut-être pourraient-elles faire naître chez eux des vocations ?
« Nous sommes dans l’échange »
« J’ai un œil technique sur tous les chantiers ouverts au public et sur les différents ateliers que nous organisons. J’interviens en aval pour la faisabilité des projets et pour que le jour J tout soit prêt et qu’il n’y ait pas de mauvaises surprises », expose Jean-Louis Cipri. Mais pas seulement, puisque durant les chantiers le technicien prend en charge tous ses aspects techniques. Et tout particulièrement ceux touchant à la sécurité lors du maniement des machines.
« Durant les travaux, je reste en retrait, je ne suis pas là pour faire mais pour les amener à faire, eux », appuie le menuisier de métier. De bons clients ? « Ils sont tous demandeurs et volontaires, ce qui est très agréable », se réjouit Jean-Louis Cipri. Un constat qui ne s’applique pas qu’aux jeunes présents mais bien à l’ensemble des personnes qui participent aux Cop. « Nous sommes dans l’échange, je ne suis pas là pour donner des directives », affirme-t-il.
« Toucher à tout, savoir tout faire »
Et les jeunes qui se sont portés volontaires pour participer à ce chantier, comment leur est venue l’idée ? « C’est avec mon collègue. Au début, on jouait dehors et il m’a dit “viens, on va au chantier voir comment c’est“ et après je me suis intéressé », se souvient le jeune Hadj. Khabidja, l’une des deux représentantes de la gent féminine participant au chantier, est une habituée de La Chaufferie. « Je n’étais pas au courant, c’est Toufik qui m’a appelée. Je lui ai dit que je venais », relate la jeune fille.
Ce qui l’intéresse ? « Toucher à tout, savoir tout faire. Si un jour je me retrouve toute seule à la maison confrontée à un problème pratique, je saurai m’en tirer. C’est toujours ça d’acquis », anticipe-t-elle. Élargissant le sujet, Khabidja estime que « franchement pour les jeunes, à La Chaufferie, il y a tout. Si les jeunes du quartier veulent passer une soirée à jouer à la Playstation entre copains ou organiser un repas ou autre chose, ils le peuvent », résume-t-elle.
De quoi encourager Toufik Masmoudi qui s’efforce, c’est en partie son travail, de fédérer les acteurs jeunesse du quartier, notamment en travaillant en symbiose avec les éducateurs. « On sent qu’il y a quand même des prés carrés, des chasses gardées… Je vais y arriver mais tout doucement. Il faut que tout cela décante et que nous apprenions à travailler ensemble », conclut-il.
Joël Kermabon
OÙ EN EST LA CHAUFFERIE APRÈS LA LIQUIDATION DE LA RÉGIE 2C ?
La Ville de Grenoble avait annoncé, début février 2016, le nouveau souffle qu’elle souhaitait insuffler à La Chaufferie, gérée jusque-là par feu la Régie 2C, liquidée la même année. Une dissolution récemment annulée par le tribunal administratif de Grenoble et sur laquelle la Ville a annoncé son intention de faire appel.
Reste que, depuis septembre 2016, l’équipement fonctionne et est dédié à la jeunesse du secteur 5 de la ville. Une zone qui regroupe les quartiers Abbaye, Jouhaux, Châtelet, Teisseire et Malherbe.
À l’occasion du chantier ouvert au public qui s’y déroulait ce vendredi 3 août, nous avons pu rencontrer Salim Messaoudi, le responsable des deux équipements jeunesse du secteur 5, ceux des Baladins et de La Chaufferie.
Un accueil pour les 12 – 25 ans
« Le projet c’est d’avoir un accueil jeunesse 12 – 25 ans avec un centre de loisirs pour les plus jeunes et un accompagnement pour les 16 – 25 ans sur leurs initiatives, leurs parcours, l’orientation, l’emploi, le logement… Bref, tout ce qu’ils peuvent traverser comme difficultés », explique Salim Messaoudi.
La vocation du lieu est aussi de les mettre en mouvement et de les conduire vers une visibilité positive du quartier.
« Ça passe par monter des projets citoyens, organiser des débats avec eux, travailler l’aspect loisirs différemment, c’est-à-dire avec une condition de projet », complète le responsable de l’équipement.
« Bien référencer les jeunes et être identifié comme ressource »
Qu’est-ce qui a changé en deux ans ? « Avant, nous étions sur un équipement uniquement culturel. Nous avons conservé certains des équipements techniques comme le studio d’enregistrement, qui permet à la section musiques actuelles du Conservatoire de Grenoble – partie intégrante du nouveau projet – de proposer des cours et des accompagnements à ses élèves », décrit Salim Messaoudi. L’autre composante qui existait auparavant c’était la salle polyvalente qui servait aux familles pour les mariages et les aspects culturels. « C’est cette partie-là qui a beaucoup évolué », souligne le responsable de La Chaufferie.
« Le but sur un équipement de ce genre qui a un rayonnement assez large c’est de bien référencer les jeunes et d’être identifié pour être une ressource à un moment où ils en ont besoin, et pas forcément un temps d’occupation de loisirs », explique Salim Messaoudi.
La bonne implantation du service jeunesse a été un sérieux atout pour faciliter les choses. De plus, la Chaufferie située à un endroit stratégique du quartier, en face du lycée André Argouges, était un peu en friches par manque de propositions. Sa mue a ainsi pu générer des réponses positives immédiates, à en croire le correspondant.
« Ça a posé les choses et apaisé les tensions avec les jeunes »
« Ça a posé les choses et apaisé les tensions avec les jeunes, les conflits qu’ils peuvent avoir entre eux, que de pouvoir les accueillir dans un endroit digne. C’est un bénéfice pour tout le monde », assure Salim Messaoudi. Ce dernier ne met pas pour autant la tête dans le sable. Il en convient, les questions sociales des habitants du quartier, tout comme dans les autres quartiers sud sont très difficiles. Les difficultés financières à accompagner les enfants dans la complexité du monde, l’identité, la relation au travail ou à l’école peuvent parfois faire perdre pied.
« Tout tourne autour de l’éducation sur ces quartiers en politique de la ville. Il faut que le dialogue entre institutions, associations et services de la ville reste permanent pour que le fossé ne se creuse pas plus encore », met en garde Salim Messaoudi.