EN BREF – Après avoir été supprimé par le Sénat, l’amendement assouplissant le « délit de solidarité » défendu par Olivier Véran vient d’obtenir l’onction des Sages. En consacrant le principe de fraternité, le Conseil constitutionnel ouvre la possibilité d’élargir le champ des exemptions. Mais la portée de cet amendement reste limitée. En France, la majorité des condamnations porte sur l’aide à l’entrée sur le territoire qui, elle, reste condamnable.
Voté en première lecture à l’Assemblée nationale, supprimé lors de son passage devant le Sénat, l’amendement élargissant le champ des exemptions pénales au « délit de solidarité »*, présenté par le gouvernement et défendu par le député de l’Isère Olivier Véran (LREM, ex-PS), refait parler de lui. Cette fois par le biais du Conseil constitutionnel.
Saisis par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité présentée par l’agriculteur Cédric Herrou – condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir transporté des migrants de la frontière italienne jusqu’à chez lui et organisé un camp d’accueil –, les Sages ont jugé que le principe de fraternité devait s’appliquer à tous les étrangers. « Il découle de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national », souligne le Conseil constitutionnel.
Retour devant l’assemblée nationale en seconde lecture cet été
Alors que la loi asile et immigration doit repasser en seconde lecture devant l’Assemblée nationale pour être votée, l’amendement porté par le groupe LREM devrait revenir dans l’hémicycle, tel qu’il avait été voté en première lecture.
« L’amendement que j’ai défendu et fait adopter proposait précisément de supprimer le délit d’aide à la circulation sur le territoire national dans les mêmes conditions que pour le délit d’aide au séjour, à savoir qu’un tel geste à visée altruiste ne saurait être condamné s’il n’a pas donné lieu à contreparties, souligne Olivier Véran. L’amendement maintenait en l’état le délit d’aide à l’entrée irrégulière. Ce sont précisément les décisions du Conseil constitutionnel. Si des ajustements à la marge s’avéraient nécessaires, j’en tiendrais évidemment compte. »
En avril dernier, le député de l’Isère avait convenu des limites de la portée de l’amendement gouvernemental. « L’aide au séjour doit être élargie à divers services rendus à titre gratuit comme des cours de français ou des conseils juridiques », avait alors défendu le député de l’Isère.
Mais si l’aide à la circulation sur le territoire français pourrait être également exemptée de poursuites pénales, l’aide à l’entrée sur le territoire reste condamnable. Bref, pas question d’abroger le « délit de solidarité ».
Plus d’exemptions au délit de solidarité ? L’amendement devrait rester tel quel…
Un point repris, avec quelques précautions toutefois, par le Conseil constitutionnel. Pour les Sages, « l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public […]. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public […] ; l’exemption ne doit pas nécessairement être étendue à l’aide à l’entrée irrégulière, qui, à la différence de l’aide au séjour ou à la circulation, fait naître par principe une situation illicite. »
La fraternité érigée en principe constitutionnel ? Ce faisant, la liste des actions humanitaires prévues dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et exemptées de poursuites pénales pourrait être étendue. Sans toucher toutefois à l’aide à l’entrée sur le territoire qui, elle, restera punie, rappelle la députée européenne Sylvie Guillaume.
« S’il faut saluer cette décision, il est nécessaire de rappeler que la majorité des condamnations en France portent sur l’aide à l’entrée au séjour, pointe la vice-présidente du Parlement européen**. Néanmoins, dans le climat actuel, nous ne pouvons que nous réjouir de la portée symbolique d’une telle décision. Aider son prochain ne devrait jamais être un crime. »
Gérard Collomb satisfait de la décision du Conseil constitutionnel…
Les écologistes isérois taclent quant à eux les députés Olivier Véran et Émilie Chalas, accusés d’utiliser « cet assouplissement factice pour tenter de cacher cette tache indélébile dans leur bilan : une loi restreignant le droit d’asile, la plus extrême jamais votée, dont certaines mesures ont été saluées par le FN, portée par un ministre qui reprend les mots destructeurs de l’extrême droite ».
Plus étonnamment, Gérard Collomb, avec qui les députés LREM ont ferraillé pour faire passer au forceps cet amendement, se dit lui satisfait de la décision du Conseil constitutionnel… Tout comme bien sûr le principal intéressé, qui reste toutefois dubitatif. « Je constate avec un peu d’amusement que ceux qui, hier, estimaient que nous n’avions en rien supprimé le « délit de solidarité » se félicitent, voire se glorifient de la décision du conseil constitutionnel, quand ils ne vont pas jusqu’à écrire des communiqués estimant qu’ils avaient raison et que j’avais tort, commente ainsi Olivier Véran. Je dis avec amusement, mais en réalité je ne m’habituerais jamais à tant de mauvaise foi. »
Patricia Cerinsek
- *Le « délit de solidarité » n’existe pas juridiquement parlant mais fait référence à l’article L 622 – 1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) datant de 1945.
** Le Parlement européen s’est dans une résolution votée jeudi 5 juillet en plénière prononcé sur les lignes directrices destinées aux États membres pour empêcher que l’aide humanitaire ne soit érigée en infraction pénale.