FOCUS – Le Défenseur des droits Jacques Toubon était présent à Grenoble lundi 12 mars pour apporter son soutien aux “équipes juridiques mobiles”, dispositif de lutte contre le non-recours prochainement mis en place par la Ville de Grenoble. En partenariat notamment avec la Faculté de droit de l’Université-Grenoble-Alpes, dans le cadre de sa “clinique juridique” en activité depuis le 1er janvier.
Les “équipes juridiques mobiles” figuraient en bonne place dans le Plan d’action pour l’accès aux droits et contre le non-recours présenté par la Ville de Grenoble en fin d’année 2017. Elles seront une réalité d’ici quelques semaines, dans le cadre d’un partenariat inédit entre la municipalité grenobloise et la Faculté de droit de l’Université-Grenoble-Alpes (UGA). Une initiative que le Défenseur des droits Jacques Toubon est venu saluer en personne.
Le principe de ces équipes juridiques mobiles ? Aller à la rencontre des publics les plus en difficulté, à l’occasion par exemple de maraudes, pour les sensibiliser à leur accès aux droits et notamment au Dalo (Droit au logement opposable) et Daho (Droit à l’hébergement opposable). En lien avec la Ville et le CCAS, les équipes seront constituées d’étudiants du Master II Contentieux des droits fondamentaux, d’un travailleur pair, d’un écrivain public et d’un travailleur social.
La « bénédiction » du Défenseur des droits
Alors que les premières équipes juridiques mobiles doivent se mettre en place au mois d’avril, les étudiants recevaient ce lundi 12 mars leurs premières heures de formation spécifiques. À ce titre, la présence de Jacques Toubon fait figure de parrainage ou, comme il s’en amuse lui-même, de « bénédiction ». « Nous sommes favorables à toutes les initiatives qui s’efforcent d’aller vers la réalisation des droits », explique ainsi le Défenseur des droits.
Pour le maire de Grenoble Éric Piolle, les équipes juridiques mobiles répondent à quatre objectifs politiques : refuser l’exclusion, créer un réseau faisant de Grenoble « une ville qui rassemble », permettre aux plus vulnérables « d’être acteurs de leur vie » et « intégrer que tout le monde est contributeur de l’Histoire commune ». « On ne laisse personne en marge de la démocratie et de la République », insiste Éric Piolle.
Jacques Toubon souligne de son côté un état des lieux difficile, et la « distance entre la réalité que vivent les supposés bénéficiaires du droit et les droits qui leur sont proclamés ». Méconnaissance, complexité des démarches ou raréfaction des services publics sont décrits comme autant de facteurs éloignant les plus fragiles des droits qui leur reviennent. Ce qui génère encore plus d’inégalités entre les personnes les plus défavorisées et la majorité de la population.
Pour le Défenseur des droits, l’une des priorités réside dans la lutte contre ce qu’il appelle « l’aquoibonisme ». Une réaction – consistant à se dire « à quoi bon ? » devant la difficulté à faire valoir ses droits – qu’il n’hésite pas à présenter comme « un phénomène sociologique majeur ». Et pourtant, les quelque 500 délégués du Défenseur des droits présents sur le territoire règlent 75 % des cas qui leur sont soumis. « Encore faut-il qu’on leur soumette ! », déplore encore Jacques Toubon.
Une “clinique juridique” au sein de la Faculté de droit
Le déplacement de Jacques Toubon à Grenoble était aussi l’occasion de saluer un autre dispositif, directement lié à celui des équipes juridiques mobiles : la “clinique juridique” mise en place par la Faculté de droit de l’UGA à compter du 1er janvier 2018. Ce sont en effet certains des étudiants de cette clinique d’un genre particulier qui participeront aux maraudes des équipes juridiques.
Responsable du projet, la professeur de droit public Anca Ailincai décrit un dispositif inspiré des universités de droit du monde anglo-saxon qui s’implante de plus en plus en France. Le but ? Assurer une professionnalisation des étudiants à travers le traitement de cas concrets qui leur sont soumis par des partenaires, tels que l’Institut des droits de l’Homme du Barreau de Grenoble (IDH) ou l’Alliance des avocats pour les droits de l’Homme (AADH).
Pas de service “Urgences” dans cette clinique qui n’assure pas de permanence, quand bien même Anca Ailincai n’exclut pas une évolution du dispositif dans ce sens. Dûment encadrés par une équipe d’universitaires, les étudiants n’en ont pas moins la possibilité de travailler sur l’aspect théorique autant que pratique du droit autour de plusieurs projets. Par exemple, les droits des enfants et adolescents transgenres, ou le Dalo et Daho à travers, donc, les équipes juridiques mobiles.
Jacques Toubon se réjouit de voir des cliniques juridiques apparaître dans différentes universités de France, comme à Caen, Montpellier, Bordeaux ou encore Tours. « Les cliniques du droit ont naturellement un objectif pédagogique, mais elles ont aussi un effet social puisqu’elles s’ouvrent vers la population », salue-t-il. Un avis partagé par le président de l’UGA Patrick Lévy, qui dépeint une université et des étudiants « ancrés dans la réalité sociale ».
Le droit au logement… sans logements
La réalité sociale est pourtant bien complexe, surtout lorsque les questions de logement sont sur la table. Également invité en cette journée du 12 mars, le secrétaire général du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) rappelle une crise du logement dont les ravages « humains, sociaux et économiques » sont accueillis selon lui par un « silence assourdissant » des politiques.
Et René Dutrey de décrire la fâcheuse tendance « à ne pas faire des dispositifs qui correspondent aux personnes, mais à essayer de faire rentrer de force des personnes dans des dispositifs ». Si la loi Dalo a permis, estime-t-il, de remettre l’individu plutôt que les moyens au centre de l’équation, les difficultés perdurent avec la crise du logement. Au point que des commissions d’attribution débordent des cadres fixés par la loi, quitte à appliquer des critères qui n’ont pas lieu d’être.
Jacques Toubon le dit lui-même : le Défenseur des droits ne trouvera pas de logements aux personnes, mais peut faire appliquer les mesures Dalo. « Il faut construire des logements, sur la ville de Grenoble et sur la Métropole », juge-t-il, avant de rappeler que le droit au logement opposable n’a de véritable sens que s’il peut être matériellement exécuté. Et si René Dutrey n’a pas manqué de mentionner avec enthousiasme les initiatives de Grenoble en la matière, les progrès à faire demeurent criants selon lui.
Apprendre le droit dès le plus jeune âge ?
Tout aussi criants sont les besoins en matière de pédagogie. Un élément sur lequel le Défenseur des droits a insisté à plusieurs reprises, plaidant pour une sensibilisation dès le plus jeune âge. « Il est indispensable que les droits fondamentaux soient instillés dès le plus jeune âge. Il faut aller là où les stéréotypes se créent et peuvent être détruits. Là où les mythologies sont installées, et où l’on peut les remettre en cause », martèle ainsi Jacques Toubon.
Et le Défenseur des droits de regretter pour conclure que le droit ne soit enseigné qu’à ceux qui ont la chance de faire des études supérieures. Quitte à fustiger ces « agrégés de droit » qui ne veulent pas enseigner au collège ou au lycée.
Une déclaration courageuse face à un public composé de personnels et d’étudiants de la Faculté de droit. « Cela vaut aussi pour les Maîtres de conférence ! », a‑t-il ajouté avec un certain sens de la provocation. Car l’ironie, elle aussi, est un droit.