Des chercheurs grenoblois du Leca ont découvert que le syndrome de domestication de la chèvre et du mouton obéissait à des mécanismes génétiques différents.

Domestication de la chèvre et du mou­ton : une évo­lu­tion simi­laire aux méca­nismes géné­tiques différents

Domestication de la chèvre et du mou­ton : une évo­lu­tion simi­laire aux méca­nismes géné­tiques différents

EN BREF – Des cher­cheurs gre­no­blois ont com­paré les modi­fi­ca­tions du génome de la chèvre et du mou­ton lors de deux pro­ces­sus de domes­ti­ca­tion indé­pen­dants. Si leurs che­mins évo­lu­tifs sont simi­laires, les méca­nismes géné­tiques induits par la sélec­tion des carac­té­ris­tiques d’in­té­rêt par les éle­veurs s’avèrent dif­fé­rents dans plu­sieurs cas. Tel est le résul­tat sur­pre­nant de l’étude pilo­tée par les géné­ti­ciens gre­no­blois et publiée ce 6 mars dans la revue Nature Communications.

Il est acquis que des pro­ces­sus sélec­tifs s’opèrent au niveau du génome [l’en­semble des gènes, ndlr] lors de la domes­ti­ca­tion des ani­maux. On les croyait limi­tés à un ensemble res­treint de gènes et uni­formes d’une espèce domes­ti­quée à l’autre. Il n’en est rien ! Ce résul­tat inat­tendu obtenu à par­tir de l’é­tude de la chèvre et du mou­ton a été publié* dans la revue Nature Communications le 6 mars 2018 par le consor­tium euro­péen Nextgen, piloté par le Laboratoire d’é­co­lo­gie alpine (Leca)** avec, entre autres, la par­ti­ci­pa­tion du Commissariat à l’éner­gie ato­mique et aux éner­gies alter­na­tives (CEA) par le tru­che­ment de l’Institut François Jacob et du Genoscope.

Troupeau mixte de chèvres et moutons élevés dans un environnement austère (plateau au pied de l'Atlas, Maroc) © F. Pompanon

Troupeau mixte de chèvres et mou­tons éle­vés dans un envi­ron­ne­ment aus­tère (pla­teau au pied de l’Atlas, Maroc) © F. Pompanon

Dans la ligne de mire, le syn­drome de domestication

Fruit de la sélec­tion par l’homme de « carac­té­ris­tiques d’in­té­rêt », les ani­maux d’é­le­vage sont plus dociles, ont une crois­sance plus rapide et une meilleure pro­duc­tion, notam­ment de viande ou de lait, que les ani­maux sau­vages dont ils sont issus.

Cette sélec­tion volon­taire de carac­té­ris­tiques utiles pro­voque paral­lè­le­ment l’é­mer­gence invo­lon­taire d’autres spé­ci­fi­ci­tés, telles l’ap­pa­ri­tion de colo­ra­tions par­ti­cu­lières (robe pie), ou encore la modi­fi­ca­tion de la taille et du cycle repro­duc­tif des bêtes. Ce mode­lage de l’animal par l’homme et ses effets de bord dont l’en­semble est appelé syn­drome de domes­ti­ca­tion, s’ap­puie sur des bases géné­tiques encore mal connues.

Une qua­ran­taine de régions sur l’ADN dif­fé­ren­cie les espèces sau­vages et domestiques

Qu’ont décou­vert les cher­cheurs ? Que pas moins d’une qua­ran­taine de régions géno­miques [régions sur l’ADN, ndlr] dif­fé­ren­cient les génomes domes­tiques des génomes sau­vages. Ces régions contiennent des gènes impli­qués dans le fonc­tion­ne­ment du sys­tème ner­veux, de la réponse immu­ni­taire [acti­va­tion du sys­tème immu­ni­taire, ndlr] ou sont liées à des carac­tères d’in­té­rêt agro­no­miques : la qua­lité du pelage, de la viande, du lait ou encore de la repro­duc­tion. En cela, les résul­tats de cette étude cor­ro­borent les récentes recherches menées sur le pou­let, le cochon, le lapin et le che­val afin d’i­den­ti­fier les gènes impli­qués dans le pro­ces­sus de domestication.

Des chercheurs grenoblois du Leca ont découvert que le syndrome de domestication de la chèvre et du mouton obéissait à des mécanismes génétiques différents.Elevage traditionnel de chèvres et moutons (Maroc) © B.Benjelloun

Élevage tra­di­tion­nel de chèvres et mou­tons (Maroc) © B.Benjelloun

Vingt régions iden­tiques chez la chèvre et le mou­ton mais un che­min géné­tique différent

En revanche, et c’est là la décou­verte majeure des géné­ti­ciens, bien que vingt de ces régions géno­miques soient com­munes aux deux espèces étu­diées – chèvre et mou­ton – les méca­nismes de leur dif­fé­ren­cia­tion s’avèrent dans plu­sieurs cas différents.

Comment expli­quer cette dif­fé­rence ? Le pro­chain défi pour les cher­cheurs sera de pré­ci­ser les cibles géné­tiques [régions sur l’ADN, ndlr] et les scé­na­rios évo­lu­tifs impli­qués dans le syn­drome de domes­ti­ca­tion en étu­diant un panel plus large d’espèces. Il s’a­gira donc d’ap­pro­fon­dir la com­pré­hen­sion des méca­nismes géné­tiques res­pon­sables de l’ap­pa­ri­tion de carac­tères simi­laires chez dif­fé­rentes espèces domestiques.

Comment ? Par exemple, « en dis­tin­guant les régions sélec­tion­nées invo­lon­tai­re­ment au début de la domes­ti­ca­tion de celles sélec­tion­nées ulté­rieu­re­ment pour amé­lio­rer inten­tion­nel­le­ment des carac­tères d’in­té­rêt », indique le com­mu­ni­qué de presse. À suivre…

Véronique Magnin

* Florian J. Alberto, Frédéric Boyer, Pablo Orozco-terWengel, Ian Streeter, Bertrand Servin, Pierre de Villemereuil, Badr Benjelloun, Pablo Librado, Filippo Biscarini, Licia Colli, Mario Barbato, Wahid Zamani, Adriana Alberti, Stefan Engelen, Alessandra Stella, Stéphane Joost, Paolo Ajmone-Marsan, Riccardo Negrini, Ludovic Orlando, Hamid Reza Rezaei, Saeid Naderi, Laura Clarke, Paul Flicek, Patrick Wincker, Eric Coissac, James Kijas, Gwenola Tosser-Klopp, Abdelkader Chikhi, Michael W. Bruford, Pierre Taberlet, François Pompanon (2018). Convergent geno­mic signa­tures of domes­ti­ca­tion in sheep and goats. Nature Communications.

** Le Leca com­prend des cher­cheurs des uni­ver­si­tés Grenoble-Alpes (UGA), Savoie Mont-Blanc (USMB) ainsi que du Centre natio­nal de la recherche scien­ti­fique (CNRS).

POURQUOI CE CHOIX DE LA CHÈVRE ET DU MOUTON ?

Deux rai­sons prin­ci­pales à cela. Les ancêtres sau­vages de la chèvre et du mou­ton existent tou­jours, res­pec­ti­ve­ment l’ae­gagre et le mou­flon asia­tique. Ces deux espèces ont été domes­ti­quées au Néolithique lors de l’émergence de l’agriculture, il y a envi­ron 10 500 ans, dans une zone du Moyen-Orient où nombre de spé­ci­mens vivent encore (Est de la Turquie et Ouest de l’Iran).

Parce que les humains ont pro­pagé les chèvres et les mou­tons à tra­vers le monde par-delà leur aire de répar­ti­tion natu­relle, cela a per­mis aux scien­ti­fiques d’é­tu­dier les chan­ge­ments géno­miques liés à la domes­ti­ca­tion dans dif­fé­rents envi­ron­ne­ments et sys­tèmes d’élevage.

Harde d'aegagres (Parc National du Golestan, Iran) © H. Rezaei

Harde d’ae­gagres (Parc natio­nal du Golestan, Iran) © H. Rezaei

C’est ainsi qu’au total les cher­cheurs ont séquencé le génome de plus de 140 indi­vi­dus sau­vages et domes­tiques issus de races locales, tra­di­tion­nelles et amé­lio­rées pour com­pa­rer les pro­ces­sus de domes­ti­ca­tion indé­pen­dants de la chèvre et du mouton.

Véronique Magnin

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