REPORTAGE – Le conseiller municipal ex-Front national fontainois Franck Sinisi comparaissait devant les juges du tribunal correctionnel de Grenoble ce mardi 24 octobre. Le chef d’inculpation ? Incitation à la haine raciale. L’élu avait en effet tenu des propos jugés stigmatisants pour les Roms, lors du conseil municipal de la ville de Fontaine, le 27 février 2017. L’élu encourt de deux à trois mois de prison avec sursis, 2 000 euros d’amende et deux à trois ans d’inéligibilité.
La salle d’audience du tribunal correctionnel de Grenoble où se déroule ce mardi 24 octobre le procès de l’élu fontainois Franck Sinisi est pleine à craquer. À l’extérieur, une grosse centaine de militants de diverses associations ou collectifs antiracistes et antifascistes, de syndicats et de quelques partis politiques se sont mobilisés pour marquer leur indignation.
Pour ces derniers, il était primordial d’être là et « de ne pas rester indifférents à la tenue de propos stigmatisants et violents ». Franck Sinisi, conseiller municipal du groupe Front national, avait en effet suggéré, lors du conseil municipal de Fontaine le 27 février dernier, de récupérer les dents en or des Roms pour financer leur logement. Une déclaration publique qui avait suscité une forte polémique et l’indignation de citoyens, d’associations antifascistes et antiracistes tout autant que celle d’autres élus.
Des conseils municipaux houleux
Ces propos, jugés inacceptables, ont par ailleurs été condamnés par trois des groupes municipaux de la ville de Fontaine (PC, PS et LR) qui ont exigé, tout comme le maire, Jean-Paul Trovéro, que l’élu s’excuse. Ce qu’il n’a pas fait. Le 18 juillet dernier, la commission de discipline du Front national a pour sa part exclu Franck Sinisi qui, depuis, a officiellement rejoint les rangs de Civitas, le parti d’extrême droite ultra-catholique.
Suite à une série de conseils municipaux houleux, Jean-Paul Trovéro, le maire de Fontaine, a quant à lui finalement décidé de porter plainte pour le compte de la Ville qui s’est constituée partie civile. Avant que plusieurs associations ne lui emboîtent le pas.
Outre la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), plusieurs autres associations* et Édouard Schoene, un citoyen fontainois, se sont également portés parties civiles dans ce procès.
« J’ai servi de fusible ! »
Devant la cour, Franck Sinisi, 45 ans, a tenté de botter en touche en minimisant ses propos dont il estime candidement « qu’ils ont mal été interprétés », invoquant même un « manque de formation à l’expression orale des élus » pour expliquer ses écarts de langage. L’ancien encarté au Front national n’a en outre pas manqué de rappeler le contexte électoral.
« On s’est saisi de ces paroles et on est passé à travers moi pour faire s’effondrer le Front national à Fontaine, c’est politique. J’ai servi de fusible ! », explique-t-il.
Plaidant l’ignorance, Franck Sinisi s’étonne de l’amalgame fait avec les pratiques des nazis lors de la Seconde guerre mondiale. « Je n’avais pas connaissance de ce qui s’était passé pendant cette période avec les Juifs », déclare l’ancien frontiste.
« Je me suis laissé influencer par un humoriste »
Suit une maladroite justification qui semble bien peu convaincre la présidente. « Je me suis laissé influencer par la blague d’un humoriste, le Comte de Bouderbala », tente de se justifier Franck Sinisi. Et de citer ladite blague, dans laquelle l’humoriste imite une vieille femme roumaine en pleurs qui lui montre son enfant : « C’est bébé, pas d’argent ! », supplie-t-elle. « Mais vous avez des dents en or, Madame », rétorque l’humoriste.
À la présidente de la cour qui lui fait remarquer qu’il n’a pas accédé à la demande des élus fontainois de s’excuser, Franck Sinisi argue qu’il a bien produit des excuses publiques lors d’une interview accordée à France 3 Alpes, le 30 mars.
« J’ai bien tenté également de le faire lors du conseil municipal du 27 mars mais les antifascistes m’empêchaient de parler », déplore Franck Sinisi.
Quant aux motifs de son exclusion du Front national, Franck Sinisi dément que la teneur de ses propos sur les Roms en soit la cause. « Si l’on m’a exclu, c’est parce que j’ai osé contre-manifester en présence d’Alexandre Gabriac et de Civitas lors de la Marche des fiertés de Grenoble », explique-t-il. « Les dents en or ce n’était pas leur problème », tient à ajouter l’élu fontainois.
« Franck Sinisi n’est que le bouc émissaire de votre démocratie pourrie ! »
Autant d’explications qui ont bien peu convaincu le procureur de la République. Lequel, au terme d’un réquisitoire très détaillé, a requis contre Franck Sinisi deux à trois mois de prison avec sursis assortis d’une amende de 2 000 euros et de deux à trois ans d’inéligibilité.
Des réquisitions auxquelles a succédé la plaidoirie de Me Damien Viguier, le conseil de Franck Sinisi. L’avocat n’est du reste pas un inconnu dans la sphère de l’extrême droite puisqu’il est très présent aux côtés de Civitas et du sulfureux national-socialiste Alain Soral. Sans oublier qu’il fut le défenseur d’Ilich Ramírez Sánchez, dit “Carlos”…
Dans sa plaidoirie – plus proche d’une conférence militante que d’une plaidoirie – Damien Viguier n’a pas mâché ses mots : « Nous sommes en plein délire ! », s’exclame-t-il. « Vous êtes le dernier rempart de la raison. Tout n’est que contre-vérités. Nous n’avons qu’un espoir c’est que vous [la Cour] gardiez la tête sur les épaules. »
Puis, montrant successivement du doigt le banc des journalistes et le public, l’avocat s’épanche. « Les vrais coupables sont là, c’est la presse, avec les associations derrière et certains élus », fulmine-t-il.
Avant de se lancer dans une série d’arguties juridiques tendant à contester la légitimité des parties civiles. Revenant sur le fond, Damien Viguier terminera sa plaidoirie de manière hallucinante. « Franck Sinisi n’est que le bouc émissaire de votre démocratie pourrie ! », conclura-t-il rageusement, les yeux droits dans ceux de la présidente. Silence et stupéfaction dans la salle d’audience…
« Cela fera une leçon pour d’autres qui seraient tentés d’en faire autant »
Toujours est-il que ce procès, et tout particulièrement la ligne de défense suivie par Franck Sinisi, aura marqué les esprits. Me Alban Costa qui représentait l’une des parties civiles, l’association La voix des Roms, exprime toute la surprise que lui a inspirée cette audience.
Également abasourdi par le déroulement de ce procès, Jean-Paul Trovéro, maire de Fontaine, réagit sur la plaidoirie de Me Viguier.
« Ils ont intérêt à bien se tenir ! »
« Nous sommes très satisfaits des plaidoiries de tous les avocats [des parties civiles, ndlr] ainsi que du réquisitoire du procureur, qui demande des peines lourdes et qui a reconnu qu’il y avait eu provocation au racisme et incitation à la haine raciale par un élu de la République », commente, pour sa part, Roseline Vachetta, présidente du Centre d’information inter-peuples (CIIP).
De plus poursuit-elle, « si Franck Sinisi devient inéligible, cela fera une leçon pour d’autres qui seraient tentés d’en faire autant ». La présidente du CIIP salue également la direction des débats par la présidente de la cour.
« Elle paraissait par moment outrée des propos de ce triste sire et de son avocat du même acabit. Si nous obtenons cette première victoire politique, cela nous redonnera confiance et “ils” ont intérêt à bien se tenir », se réjouit Roseline Vachetta. En attendant, il faudra que Franck Sinisi et les parties impliquées patientent pour connaître l’épilogue de ce procès, le tribunal ayant décidé de ne rendre sa décision que le 28 novembre.
Joël Kermabon
- * Le Centre d’informations inter-peuples (CIIP), Ras’l’Front, La voix des Roms, Roms Actions,