DÉCRYPTAGE – Le Musée dauphinois et, dans une moindre mesure, la Maison Bergès – Musée de la Houille blanche refont actuellement vivre l’histoire de la tour Perret. Ou, plus largement, de l’Exposition internationale de la houille blanche et du tourisme de 1925, à l’origine de son érection. L’occasion de faire le point sur l’avenir de la célèbre tour grenobloise avec Martine Jullian, conseillère municipale déléguée au Patrimoine historique et à la Mémoire. Un plan de restauration serait “dans les tuyaux”…
1925 est à l’honneur cette année à Grenoble ! Le Musée dauphinois et la Maison Bergès – Musée de la houille blanche ont ouvert au public deux expositions complémentaires autour de cette année charnière dans l’évolution de la ville. Il y a 90 ans se tint en effet, de mai à octobre, l’Exposition internationale de la houille blanche et du tourisme. Un événement conçu pour faire de Grenoble la capitale incontestée des Alpes françaises.
Il faut dire que débutait l’expérience des régions économiques. Dans ces conditions, pourquoi ne pas être au centre de celle alors appelée à s’étendre de « Nice au Léman » ?
La fée électricité et la houille blanche : véritables stars de l’exposition
Pour mettre en branle un projet aux dimensions aussi colossales que l’Exposition internationale de la houille blanche et du tourisme, le maire socialiste Paul Mistral s’associe aux élites économiques et industrielles du bassin local. Une façon d’accélérer encore l’essor de la ville. Laquelle compte bien tirer profit d’une nouvelle manne économique, le tourisme, tout en jouissant déjà de beaux succès techniques et industriels. Parmi eux, l’exploitation de la houille blanche a le vent en poupe.
C’est l’industriel papetier et ingénieur Aristide Bergès – à l’origine du nom du Musée de la houille blanche de Villard-Bonnot – qui baptisa ainsi cette énergie issue de la force des torrents, des ruisseaux et des chutes d’eau, en opposition à la noirceur du charbon.
La blancheur de la périphrase, houille blanche, permet d’asseoir cette industrie hydraulique sur une allégorie de pureté qui s’associe fort bien à celle de la fée électricité. Condition sine qua non du progrès, pensait-on alors. En témoignent les affiches dévoilées au Musée de la houille blanche, dont l’exposition assume le versant « moderniste » de cette aventure. Le Musée dauphinois, lui, s’attache plutôt à explorer les mutations de tous ordres que l’évènement a imprimées sur la ville.
L’Exposition internationale : une manœuvre pour étendre la ville ?
Au début des années 1920, Grenoble est encore ceinte de remparts militaires, ce qui freine considérablement son développement. En 1923, Paul Mistral commande à l’architecte-urbaniste parisien Léon Jaussely un plan d’expansion et d’embellissement de la ville. Le « corset de pierre », comme le maire appelle alors les fortifications, ne fait pas partie du tableau.
Certains historiens suggèrent ainsi que l’emplacement de l’Exposition n’est pas dû au hasard. On était forcé de détruire un pan de la forteresse pour jouir des 20 hectares nécessaires à l’érection des palais, stands, villages et fontaines (sur l’emplacement de l’actuel Parc Paul Mistral)… Commode.
L’Exposition internationale a donc accompagné le considérable changement de physionomie qu’a connu la ville à cette époque. De fait, Léon Jaussely, responsable du plan d’expansion et d’embellissement, fut aussi l’ordonnateur de l’Exposition et l’architecte de certains pavillons.
Jadis, la tour Perret
L’édifice qui, aujourd’hui, symbolise le mieux ce délire de grandeur reste la tour Perret, seul vestige de l’Exposition internationale de 1925. Afin de parfaire la mise en scène que la ville donnait d’elle-même, il fallait s’élever jusqu’aux nues.
Le béton armé permettait cela, sans entraîner de trop grands frais. Ce qui tombait bien puisque Grenoble souhaitait promouvoir ce nouvel “or gris” en vue de l’urbanisation des faubourgs.
Aussi Auguste Perret fut-il chargé de la construction d’une tour d’orientation située à l’entrée du site. Sa seule prescription : aller le plus haut possible. Ce qu’il fit en érigeant alors la tour la plus haute d’Europe : 90 mètres.
Depuis la table d’orientation, culminant à 60 mètres, le visiteur pouvait embrasser du regard les trois chaînes de montagnes qui sanglent la ville. Une manière de rappeler la situation géographiquement idéale de la “capitale des Alpes françaises”.
La tour Perret, bientôt restaurée ?
Du faste de l’Exposition internationale de 1925, il ne reste plus que cette tour dont le béton armé a finalement assez mal vieilli. Pour cette raison, l’édifice est fermé au public depuis 1960, ce qui soulève régulièrement des critiques. En 2013, la précédente municipalité sous le mandat de Michel Destot avait d’ailleurs annoncé un plan de restauration pour 2014. Avorté.
Martine Jullian, conseillère municipale déléguée au Patrimoine historique et à la Mémoire, rappelle que « la restauration de la tour Perret était un des engagements de la campagne municipale de 2014 [dans la liste Grenoble, une ville pour tous menée par le maire actuel Éric Piolle, ndlr]. »
Avant de concéder néanmoins que « le problème [a été laissé] de côté jusqu’à maintenant parce qu’il y avait d’autres urgences, comme le plan école, extrêmement ambitieux ».
Quid de ce projet de restauration ? « Ce n’est pas encore officiel mais le maire Éric Piolle a donné son accord, nous confie Martine Jullian. Nous avons donc la volonté de travailler sur ce chantier-là, qui sera sans doute long. Mais l’important, c’est que ça se fasse. »
« La question financière est cruciale »
Au départ, la double exposition consacrée à l’Exposition internationale de la houille blanche et du tourisme devait être « un marqueur pour faire démarrer, non pas les travaux, mais le point de départ d’une réflexion puis d’une action concernant la tour Perret », confie Martine Jullian. De fait, l’exposition du Musée dauphinois a été pensée en collaboration avec la Ville et le département de l’Isère.
Ce qui a freiné le début de la réflexion ? La question financière bien sûr. D’après Martine Jullian, « les travaux se monteraient, à la louche, à 8 millions d’euros ». Elle rappelle cependant que la tour étant classée « monument historique » depuis 1998, sa réhabilitation serait également prise en charge par l’État, à hauteur de 40 %.
« Et puis le Département nous a dit être prêt à financer une partie des travaux. À quelle hauteur ? Je n’en sais rien encore, mais ce sera à discuter.
Par ailleurs, deux autres sources de financement existent. Le mécénat, d’abord. D’ores et déjà, les ciments Vicat sont d’accord pour participer. Et puis, on voudrait monter une souscription à l’échelle de la ville de Grenoble mais pas seulement. Il y a une association nationale Perret basée à Paris. La ville du Havre, via Perret, a été classée à l’Unesco. On voit que le projet dépasse la limite de la ville », déclare Martine Jullian, confiante.
Les travaux ne sont donc pas pour demain mais la réflexion est amorcée. « Il n’y a rien d’acté pour l’instant mais j’espère qu’il y aura bientôt une délibération et que ça passera au budget l’année prochaine ; enfin, au moins en partie. Il faudra ensuite qu’on fasse les premières études techniques pour évaluer le prix que ça coûtera exactement avant de lancer les appels d’offres. » Affaire à suivre, donc.
Adèle Duminy
Infos pratiques
La Grande Mutation
Au Musée dauphinois, à Grenoble
Du 18 décembre 2015 au 19 septembre 2016
Éloge de la modernité
Maison Bergès – Musée de la houille blanche à Lancey – Villard-Bonnot
Du 21 janvier au 25 septembre 2016