BLOG JURIDIQUE – Après l’adoption de la délibération de Charvieu-Chavagneux actant la volonté de la commune de n’accueillir que des réfugiés chrétiens, des juristes engagés, apprentis ou confirmés, demandent officiellement à la préfecture de mettre en œuvre une procédure de déféré préfectoral.
Chers lecteurs,
Dans un précédent billet, j’indiquais à quel point la décision de la commune de Charvieu-Chavagneux semblait contraire à la légalité…
Samedi 19 septembre, une demande tendant à la mise en œuvre d’un déféré préfectoral, c’est-à-dire tendant à ce que le préfet saisisse le tribunal administratif de Grenoble aux fins d’obtenir la suspension puis l’annulation de cette délibération, a été envoyée à la sous-préfecture de Vienne et à la préfecture de l’Isère.
Elle a été rédigée et signée par Clara Durand, Alicia Goncalves, Leïla Ismailil, Prisca Keo, Océane Locqué, Marie Mazenot, Emilie Naton, Romain Rambaud, Reyman Remtola et Marine Roche.
La demande de déféré préfectoral en question :
Monsieur le préfet, Madame le sous-préfet,
Le 8 septembre 2015, le conseil municipal de la commune de Charvieu-Chavagneux a adopté une délibération, à l’unanimité, concernant l’accueil de familles de réfugiés, délibération qui laisse apparaître un doute sérieux quant à sa légalité. Les médias s’en sont d’ailleurs fait l’écho. Cette délibération, qui doit vous être transmise afin d’être exécutoire, devrait être normalement reçue en préfecture dans les jours qui viennent, si ce n’est pas déjà le cas. À défaut, nous vous prions de bien vouloir demander aux services de la commune de vous la transmettre immédiatement (article L. 2131 – 1 CGCT).
Il conviendra, en vertu de l’article 72 de la Constitution et de la loi n° 82 – 213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, d’exercer votre mission en appréciant la légalité de cet acte, puis d’utiliser la procédure de déféré afin que ce dernier soit suspendu par le tribunal administratif.
Nous vous demandons de faire application en urgence de l’article L. 2131 – 6 CGCT, en vertu duquel « Le représentant de l’État dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l’article L. 2131 – 2 qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission […] Le représentant de l’État peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois ».
Nous souhaitons plus précisément encore nous prévaloir de l’alinéa de cet article en vertu duquel « Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures ».
En effet, il se trouve que cette délibération du conseil municipal de la commune de Charvieu-Chavagneux est illégale en de nombreux points :
1. La délibération en cause viole le principe d’égalité
Tout d’abord, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dispose que « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». L’article 10 de cette même déclaration affirme que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ».
Cette déclaration fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité (Conseil constitutionnel, Liberté d’association, 1971 ; Conseil constitutionnel, Taxation d’office, 1973). En outre, l’article 1er de la Constitution dispose « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
S’agissant de Grenoble en particulier et d’une circulaire discriminatoire visant les Roms, le juge administratif a déjà jugé que « si le ministre soutient qu’elle a été édictée dans le but d’assurer le respect du droit de propriété et de prévenir les atteintes à la salubrité, la sécurité et la tranquillité publiques, cette circonstance ne l’autorisait pas à mettre en œuvre, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, une politique d’évacuation des campements illicites désignant spécialement certains de leurs occupants en raison de leur l’origine ethnique » (Conseil d’État, SOS Racisme, 7 avril 2011, n° 343387).
De plus, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, ratifiée par la France, contient trois articles principaux concernant la discrimination. En premier lieu, l’article 14 dispose que « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion… », l’article 26 reprenant les mêmes termes. Enfin, l’article 9 affirme que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».
En l’espèce, la commune de Charvieu-Chavagneux entend accueillir une famille de réfugiés, « à la condition expresse » que ce soit une famille de culture et de religion chrétienne (voir corps du texte et article 2 du dispositif de la délibération, selon lequel « Ledit accueil est réservé à une famille de culture et de religion chrétienne »).
De ce fait, les familles ayant une confession différente ne pourront pas prétendre à un accueil de cette commune. Par ailleurs, le conseil municipal explique sa volonté d’accueillir une famille chrétienne en vertu d’un raisonnement qui repose sur un amalgame entre les musulmans et le terrorisme, alors que les familles chrétiennes sont supposées différentes : « Considérant, en premier lieu, que les chrétiens ne mettent pas en danger la sécurité d’autrui ; qu’ils n’attaquent pas les trains armés de kalachnikov, qu’ils n’abattent pas des journalistes réunis au sein de leur rédaction et qu’ils ne procèdent pas à la décapitation de leur patron comme nous l’avons vu à quelques kilomètres de notre commune ». Une telle différence de traitement est totalement illégale.
2. La délibération viole le principe de laïcité
Les articles précités de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et l’article 1er de la Constitution posent également le principe de laïcité. Le conseil constitutionnel en a dégagé les notions de « neutralité de l’État », de « respect de toutes les croyances » et d’« égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion » (Conseil constitutionnel, association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, n° 2012-297 QPC, 21 février 2013).
Or, la délibération en cause méconnaît frontalement ce principe. En premier lieu, en se fondant sur l’appel du Pape puisqu’elle s’ouvre sur le considérant suivant : « Considérant que le dimanche 6 septembre, le Pape François a invité les paroisses catholiques d’Europe à accueillir chacune une famille de réfugiés, en réponse à la situation humanitaire insoutenable des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ».
En deuxième lieu, en s’appuyant sur une ordonnance de Saint-Louis du 24 mai 1250 selon laquelle « Pour nous et nos successeurs sur le trône de France, nous promettons de vous donner à vous et à tout votre peuple notre protection spéciale comme nous la donnons aux Français eux-mêmes », interprétée par la commune de Charvieu-Chavagneux de la manière suivante : « cette promesse a traversé les siècles, faisant de la France une fidèle protectrice des chrétiens d’Orient, et ce jusqu’à l’indépendance du Liban en passant par les « Capitulations » de François Ier ou encore la protection accordée par Napoléon III aux chrétiens maronites ; qu’il en résulte que la France se doit d’agir, aujourd’hui et spécialement dans ce contexte de crise humanitaire, en faveur des chrétiens d’Orient ».
Cette promesse est évidemment devenue obsolète, la France étant désormais un État laïc. En troisième lieu, cette délibération méconnaît le principe de laïcité en tant qu’elle introduit une discrimination fondée sur la religion (voir ci-dessus).
3. La délibération en cause est frappée d’incompétence
Enfin, la délibération est frappée d’incompétence pour deux raisons.
D’une part, celle-ci intervient dans le domaine de la police administrative définie à l’article L. 2212 – 2 CGCT. La police administrative relève uniquement de la compétence du maire et le conseil municipal n’est pas compétent pour adopter une mesure de police.
L’arrêt Abbé Couvenhes du 16 juillet 1915 a jugé que le conseil municipal avait empiété sur les pouvoirs du maire en délibérant sur un sujet relevant du domaine de la police administrative, la délibération ayant alors été considérée comme nulle. Par ailleurs, l’arrêté du préfet de Charentes du 30 janvier 1913, par lequel il refusait de déclarer la nullité de la délibération en cause, avait été annulé également. La même solution a été rendue dans un arrêt Sieur Souillac de 1934.
Or, la présente délibération viole ce principe en estimant « qu’eu égard à ces considérations, il y a lieu de faire application du principe de précaution en matière de sécurité, mission essentielle du maire en tant que garant de l’ordre public ».
D’autre part, aucun article du code général des collectivités territoriales ne confie au conseil municipal la compétence pour déterminer quelle doit être l’organisation de la répartition des réfugiés sur le territoire français, qui ne relève pas des affaires locales mais bien des affaires nationales, d’après le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).
Or, en l’espèce, nous pouvons observer que le conseil municipal de Charvieu-Chavagneux manifeste la volonté d’empiéter sur les compétences de l’État en affirmant « qu’il conviendrait, à notre tour et à la mesure de notre commune, de pallier la politique étrangère irresponsable de l’État en accueillant une famille de réfugiés ».
4. L’inaction de la préfecture pourrait engager sa responsabilité
Enfin, nous nous permettons de vous rappeler que vous engagez votre responsabilité pour faute lourde si vous prenez la décision de ne pas déférer un acte dont l’illégalité ressort avec évidence (CE, 6 oct. 2000, ministre de l’Intérieur contre commune de Saint-Florent et autres n° 205959).
Nous vous demandons donc de déférer cette décision au tribunal administratif afin qu’elle soit suspendue puis annulée dans les plus brefs délais.
Romain Rambaud