ENTRETIEN - Pour installer la tranquillité publique à Grenoble, suffit-il d'avoir de l'énergie à revendre ? Certainement non. Élisa Martin, première adjointe de la ville de Grenoble qui en a fait son cheval de bataille, revient sur les objectifs, cadre ses actions et plaide avec feu pour défendre les choix de la municipalité.
Celle qui, après Éric Piolle, est aux commandes de la Ville, n'a nul besoin de forcer sa nature pour endosser le costume de femme politique empressée. Montant les escaliers de l'hôtel de ville, elle échange au passage avec un collègue. S'excusant du léger retard, elle ouvre rapidement son bureau. Puis, dans l'attente du début de l'interview, elle observe franchement, les avant-bras posés sur le bureau, le corps penché en avant. Déjà concentrée.
![]()
Élisa Martin, première adjointe chargée du parcours éducatif et de la tranquillité publique, dans son bureau de l'hôtel de ville de Grenoble. © Paul Turenne - placegrenet.fr
Au fond de son bureau, une maquette du quartier Mistral et un large plan sur le mur derrière la porte rappellent qu'Élisa Martin est chef d'orchestre à Mistral. Ses autres casquettes ? Déléguée à la tranquillité publique et au parcours éducatif. C'est apparemment insuffisant pour cette femme dotée d'un fort dynamisme : « On a les responsabilités qu'on se confère un peu soi-même. J'essaie aussi de veiller sur le groupe, sur les autres élus, pour que chacun soit à peu près bien, là où il est. »
D'emblée, elle met les choses au clair. Elle apprécie qu'on lui pose une question à la fois et y répond souvent en trois points, dans la pure tradition de l’Éducation nationale. Rien d'étonnant pour cette ancienne professeur de français qui, après des études de philosophie, exerça plusieurs années dans les quartiers populaires, au collège Lucie Aubrac et au collège olympique de Grenoble.
![]()
« Écoutez-moi ! », coupe Élisa Martin en reprenant la parole. © Paul Turenne - placegrenet.fr
La meilleure défense étant l'attaque, quand la question est potentiellement sensible, Élisa Martin vous la retourne comme une crêpe, se donnant le temps de la réflexion : « Et vous, qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que vous feriez, hein ? »
Bien qu'ancienne adjointe au maire de Saint-Martin-d'Hères et conseillère régionale Rhône-Alpes, elle était inconnue de la plupart des Grenoblois jusqu'au 30 mars 2014.
Ce soir-là, face à la presse locale et nationale, devant une foule compacte réunie au pied du musée de Grenoble, alors qu'Éric Piolle termine son discours, elle se démarque à ses côtés, le poing levé.
"Née le 15 mai 1973, à Nancy, en Lorraine. Révoltée". Le terme sur la fiche de l'élue Front de Gauche surprend. Révoltée, mais par quoi donc ? Les inégalités, les injustices, “les violences du modèle de société libérale”. Rendre l'action possible dans la droite ligne de ses convictions, c'est tout ce qui compte pour cette femme politique qui a glissé du Parti socialiste au Front de Gauche par fidélité à ses idéaux. A l'esprit de combat, Élisa Martin ajoute une passion de l'action collective, inaltérée depuis ses jeunes années militantes.
Une femme de certitudes ? Elle paraît, en tout cas, sûre de sa capacité à lire les situations sociales. D'où une grande confiance dans ses choix et les actions mises en œuvre. Lui arrive-t-il de douter ? « Bien plus que vous ne le croyez mais la presse ne le voit pas. » De fait, elle se gardera bien de douter devant nous. Place donc aux questions et aux réponses du tac au tac sur la tranquillité publique.
Dès votre arrivée, vous avez recadré les missions de la police municipale. Pourquoi ?
Nous avons clarifié les missions de la police municipale pour les mettre en cohérence avec notre projet politique, notre vision, qui dit que la compétence communale s'articule autour de la notion de tranquillité publique et pas de sécurité. La sécurité, tout comme le maintien de l'ordre, est une mission régalienne qui relève de la police nationale et des fonctions de justice. Nous avons voulu faire clairement cette distinction. C'est le premier point. D'autant que les policiers municipaux ne sont pas officiers de police judiciaire. Rendez-vous compte qu'en dehors de situations très pointues, lors des contrôles routiers par exemple, ils ne peuvent même pas vous imposer de décliner votre identité !
Maquette du quartier Mistral dans le bureau d'Élisa Martin à l'hôtel de ville de Grenoble. © Paul Turenne - placegrenet.fr
Nous avons aussi redéfini les missions de la police municipale, en indiquant bien que nous voulions une police au milieu des habitants. Nous n'avons pas à pallier le peu de moyens de la police nationale à cause des logiques gouvernementales de Nicolas Sarkozy et maintenant de François Hollande. La police municipale ne doit pas devenir une police d'intervention sur demande. Ce n'est pas police secours !
Et puis, évidemment, il y a toute la partie respect des arrêtés municipaux qui sont, de toute évidence, des outils de la tranquillité publique efficaces et que, sans nulle doute, nous utilisons davantage que nos prédécesseurs.
L'image de la police municipale est-elle brouillée, selon vous ?
Ce qui est sûr, c'est que la loi Chevènement de 1999 a créé de l’ambiguïté en imposant des sérigraphies et des uniformes identiques pour les polices nationale et municipale. Ensuite, il y a deux effets qui se croisent : une demande sociale de sécurité assez forte et l'austérité du côté de la police nationale. Du coup, qu'on le veuille ou non, les habitants, la population, les citoyens investissent aujourd'hui de manière un peu faussée les polices municipales. Enfin, le pays, la République, a besoin d'avoir un temps de réflexion sur ses polices – police nationale, gendarmerie et polices municipales – pour clarifier les cadres d'intervention et redéfinir les missions de chacun.
© Paul Turenne - placegrenet.fr
La police municipale s'occupe donc de la tranquillité publique et la police nationale de la sécurité. Est-ce à dire que la coopération entre ces deux corps de métier est moindre aujourd'hui ?
Non, nous coopérons très fortement avec la police nationale, quasi-quotidiennement et aussi au travers de rendez-vous réguliers où l'on échange nos points de vue, des informations et où l'on prend des décisions ensemble. Par exemple à Mistral, nous avions repéré sous la barre Anatole France des locaux qui n'étaient plus exploités par des commerçants mais par les dealers du quartiers. Avec la préfecture, la police nationale et le bailleur Actis principalement, on s'est tous mis autour de la table et avons décidé de détruire les locaux. Se pose aussi la question de qui va payer parce que les politiques menées par le gouvernement ont rendu l'argent public tellement rare que tout le monde est un peu en difficulté.
Actuellement, la Ville dispose d'un policier municipal pour 7 500 habitants, ce qui correspond à une patrouille de quatre agents pour 30 000 habitants. La police municipale peut-elle assurer l'ensemble de ses missions avec un ratio si faible ?
Poursuivez votre lecture
Il vous reste 74 % de l’article à lire. Obtenez un accès illimité.
Vous êtes déjà abonné.e ? Connectez-vous