BLOG GEEK – Pour ou contre la loi Renseignement ? Après la loi Macron, voici que la gauche au pouvoir joue de nouveau à contre-emploi tout en essayant de se draper dans un « esprit Charlie » qui, entre sa récupération sauvage par la classe politique et les délires d’Emmanuel Todd, n’en demandait pas tant. Pour autant, la surveillance est-elle si nouvelle que cela au sein du continent Geek ?
La « loi sur le renseignement » qui fait couler tellement d’encre marque, pour certains, une véritable rupture dans l’histoire de la justice. Pour d’autres, elle apparaît comme une série de dispositions nécessaires pour assurer la protection des Français. Et l’idée qu’il est préférable de renoncer à un peu de liberté pour plus de sécurité a fait son chemin dans bien des esprits, à commencer par celui de Patrick Pelloux.
Sécurité, j’écris ton nom
Si la comparaison avec le Patriot Act voté aux État-Unis suite aux attentats du 11 septembre est difficile à établir, on retrouvera dans les arguments visant à défendre les deux textes les mêmes fondements rhétoriques. Premier argument : les libertés individuelles ne peuvent supplanter le droit de chacun de vivre en sécurité. Second argument : celui qui n’a rien à se reprocher n’a aucune raison de craindre d’être surveillé.
Argument pratique au demeurant, qui permet de considérer comme suspecte toute personne émettant des doutes ou des critiques vis-à-vis de ces dispositions sécuritaires. Si je suis contre la criminalisation de l’adultère, c’est probablement que je trompe mon conjoint. Si je m’oppose à la pénalisation du cannabis, c’est évidemment que je consomme des substances illicites. Et si je refuse de rendre public mon patrimoine de député, c’est certainement que je suis, soudainement, très attaché au respect de ma vie privée…
Ironie facile, naturellement, mais on constate que les politiques ont tendance à détester les pratiques qu’ils souhaitent faire inscrire dans la loi pour les autres.
Alors premier flic de France, pour reprendre l’expression consacrée, Brice Hortefeux avait été surpris en flagrant délit de propos racistes à l’égard d’un militant UMP trop bronzé à son goût.
Malgré les dénégations maladroites du ministre et l’obligation pour le militant en question – qui a depuis rendu sa carte – de garder profil bas, la Justice a considéré l’infraction établie et condamné comme il se doit l’ancien ministre. Et tout cela à cause de l’indiscrète caméra d’un téléphone…
Allô Tonton, pourquoi tu tousses ?
Nicolas Sarkozy lui-même, partisan de la manière forte en matière de sécurité, n’a pas apprécié de subir le même sort que les citoyens scrutés par les caméras de surveillance dont il a toujours fait l’apologie. Espionné par son conseiller « très spécial » Patrick Buisson, écouté par les policiers jusque dans ses conversations avec son avocat, il n’hésite jamais à dénoncer ou faire dénoncer des méthodes qu’il encourage pourtant politiquement. Naturellement, Nicolas Sarkozy n’est pas un djihadiste. À moins que ses conférences au Qatar ne l’aient, encore une fois, beaucoup changé.
Reste à poser une question fondamentale : les dispositions prévues par la fameuse loi sur la surveillance sont-elles efficaces ? Renoncer à quelques pans de nos libertés pour le bien de tous peut sans doute s’envisager si le retour sur investissement est quantifiable. Mais, en l’occurrence, nombre de voix mettent en doute ses qualités supposées. Et cela pour une raison très simple : pas un seul des attentats perpétrés récemment en France n’aurait été évité si cette loi avait été en vigueur.
Mohammed Merah avait été identifié par les services de sécurité français, de même que les frères Kouachi, Amedy Coulibaly ou Sid Ahmed Ghlam. Ils étaient connus, dûment fichés, et avaient tous été suivis durant un temps. Cela n’a pas empêché le massacre d’enfants, de journalistes, de policiers ou de militaires. Et seules la chance et la stupidité du candidat terroriste de Villejuif ont fait échouer son attentat programmé contre des églises. Même si une jeune femme a tout de même trouvé la mort dans l’histoire…
Sur ce dernier cas, et bien que le premier communiqué des forces de l’ordre mentionnait que Sid Ahmed Ghlam avait pu être appréhendé grâce au « hasard », le ministre de l’Intérieur ne manqua pas de saluer l’excellence de leur travail. Elles avaient pourtant choisi de cesser de suivre l’individu, faisant preuve d’une exceptionnelle sagacité d’esprit.
Rappelons-nous ce syndicat de policiers demandant, quelques mois avant la tuerie de Charlie-Hebdo, que la surveillance rapprochée de Charb soit levée, estimant que le dessinateur ne courait aucun danger…
Poulets hors-normes
Notre propos est-il de moquer les services de police français ? Certainement pas. Leur dévouement à l’égard de la population est indéniable, et leur mission ne s’accomplit pas sans des pertes de vies humaines aussi tristes qu’insupportables. Mais avant d’étendre le champ des procédures, avant d’accorder encore plus de libertés à ces agents, ne convient-il pas de leur donner les moyens de suivre les dispositions déjà existantes d’une manière convenable ?
Il est coutumier, en politique, de voter des lois sans voter les moyens de leur application. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, c’est aussi absurde que dangereux. Et c’est inclure dans les textes des procédés qui n’en sortiront plus, mais feront le bonheur des mains mal intentionnées qui pourraient un jour tomber dessus…
En faisant de chacun un suspect potentiel, la loi de surveillance va élargir le champ des possibles sans élargir celui des probables. L’excellente animation que Libération propose aux internautes est à ce titre très instructive. Quant à la surveillance de nos activités sur la Toile par le biais d’algorithmes borgnes, elle risque de générer de merveilleux malentendus.
Si les recherches Google sont utilisées pour dresser des profils de dangerosité, les cellules d’écoute ne vont plus désemplir. Et le blogueur qui, par malheur, a pris pour habitude d’utiliser son moteur de recherche comme vérificateur orthographique risque dès demain de se voir accusé d’être un djihadiste spécialisé en pyrotechnie, amoureux des films de Schwarzenegger malgré ses tendances onychophages…
Les murs Facebook ont des oreilles
Cependant, n’y a‑t-il pas une part de naïveté dans les cris d’orfraie que poussent certains face à cette loi sur la surveillance ? Notre activité sur Internet pourrait donc être suivie à la trace, espionnée, analysée, décortiquée par des « amis qui nous veulent du bien » ? La seule différence entre demain et aujourd’hui serait pourtant – et encore ! – la couleur de l’uniforme. Si uniforme il y a.
Avez-vous constaté comment Facebook délivre ses publicités en cherchant à affiner votre profil, s’intéressant tout autant aux annonces que vous rejetez qu’à celles que vous choisissez d’ignorer ?
Ne vous êtes-vous jamais demandé comment telle bannière commerciale vous propose précisément le genre de films ou de musique que vous aimez, quelque temps après que vous avez consulté des offres sur Amazon ou n’importe quel autre site marchand ?
Tout clic, toute attitude, toute recherche est un renseignement, et les réseaux sociaux s’en repaissent. Les « données » sont un Eldorado à venir et les grands pontes du World Wide Web préparent leurs caravelles. Les méthodes n’en sont encore qu’à leurs balbutiements.
Et la manière dont certains exposent leur vie sur l’Internet sert volontiers leurs affaires. En 2009, le bimestriel Le Tigre proposa à ses lecteurs un « portrait Google ». En suivant à la trace ses activités sur différents réseaux sociaux, le journal avait pu reconstituer un portrait saisissant d’un internaute choisi au hasard : vie sentimentale et professionnelle, voyages et passions, tout était décrit à partir d’informations libres d’accès. Le sujet en question n’a pas bien vécu l’expérience. Combien ont été victimes de la même procédure sans en être informés ?
Bien entendu, de plus en plus d’internautes savent qu’il ne faut pas laisser traîner des données trop personnelles ou potentiellement compromettantes sur le Net. Il n’est presque plus besoin aujourd’hui de leur rappeler qu’on ne poste pas les photos de sa dernière beuverie sur son compte Facebook la veille d’un entretien d’embauche. La prévention a fait des progrès, mais elle doit s’adapter aux nouveaux outils de communication. Et lutter contre le chant des sirènes.
Tous à poil sur la Toile
De plus en plus populaire, en passe de supplanter Facebook dans le cœur des jeunes générations, l’application Snapchat séduit ainsi en permettant de poster des clichés qui disparaissent automatiquement. L’utilisateur a ainsi l’impression de ne pas laisser perdurer sur la Toile des clichés quelquefois personnels. Les fuites récentes de photos de stars dénudées ont de quoi les inquiéter.
Le fameux Fappening – élégant jeu de mot entre « happening », événement, et le verbe argotique « to fap », qui désigne par onomatopée la masturbation masculine – a consisté dans la mise en ligne d’images intimes de nombreuses célébrités, parmi lesquelles Kirsten Dunst ou Jennifer Lawrence.
Prises via Snapchat et adressées à un seul destinataire, ces photographies étaient censées disparaître et ne pas pouvoir être rendues publiques. Un hacker a pourtant su les retrouver et les diffuser, produisant un véritable électrochoc outre-Atlantique.
En surfant sur Internet, en jouant avec des consoles reliées à notre box, en utilisant des appareils connectés, nous offrons chaque jour à de parfaits inconnus de nombreuses informations sur nous-mêmes. Certaines sont banales, d’autres le sont moins. En matière de surveillance, la Toile est un véritable territoire zombie : le danger est partout, la menace est constante, et seule la paranoïa vous permettra d’y survivre. Un peu.
Aussi, et même s’il convient de s’intéresser en tant que citoyen à la loi Renseignement, mieux vaut ne pas oublier que nous sommes d’ores et déjà l’objet de nombreux regards et de nombreuses convoitises. Et que, contrairement aux djihadistes et autres criminels endurcis et organisés, nous ne disposons pas des outils ou des connaissances nous permettant de nous en prémunir.
Voici donc que le Web réinvente la roue en nous rappelant que tout ce que nous montrons est susceptible d’être regardé.
Florent Mathieu