REPORTAGE – Travailleurs sociaux du CCAS, membres d’associations… Autant d’acteurs qui interviennent régulièrement auprès des habitants du camp installé avenue Esmonin. Parmi eux, les bénévoles de l’École ici et maintenant viennent à la rencontre des enfants, essentiellement pour du soutien scolaire. Confrontés à des niveaux disparates, des conditions d’intervention et d’organisation difficiles, ils doivent faire preuve de grandes qualités d’adaptation.
Jeudi, en fin d’après midi. Vincent, étudiant à Sciences Po, emboîte le pas d’Anita* et de sa famille pour les suivre à l’intérieur de leur tente, située sur le camp d’hébergement du CCAS, à Grenoble. « En général, c’est le moment où les familles rentrent au camp », nous avait-il précisé un peu avant, alors que Stefane*, un des fils d’Anita âgé d’environ 11 ans, nous faisait comprendre dans un français timide que sa mère allait bientôt arriver.
Vincent est l’un des bénévoles membres de l’association École ici et maintenant qui se relaient pour faire du soutien scolaire ou de l’animation auprès des enfants qui le désirent. Ce soir-là, ils sont quatre étudiants à s’être dispatchés sur le camp. C’est peu. Parfois, jusqu’à dix personnes se donnent rendez-vous sur le site.
Quid de l’organisation ? « Rien n’est établi à l’avance. Chaque fois, c’est différent, en fonction des familles présentes. On arrive, on voit qui veut participer et on s’organise sur le tas », explique Vincent. Depuis plusieurs mois qu’ils interviennent, les bénévoles ont ainsi pu observer que le degré d’implication variait fortement d’une famille à l’autre.
Un matelas en guise de bureau
Sous la grande tente marabout, réchaud et frigidaire sont installés à l’entrée et des petites tentes de camping concentrées plus au fond. Couvertures, valises et autres objets s’entassent dans certaines. Nous prenons place dans l’une d’elles tandis que le père de famille allume deux petits chauffages soufflants pour l’occasion.
Il fait alors vite très chaud au sein de cet espace confiné où deux grands matelas sont disposés de chaque côté, ne laissant qu’un espace central réduit. Tout juste de quoi installer un meuble d’appoint sur lequel brancher un petit poste de télévision et un lecteur DVD pour occuper le temps. Cela fait plus de sept mois qu’Anita vit ici avec son mari et ses six enfants. Cette jeune mère de famille de 24 ans, dont le visage pourrait en trahir dix de plus, nous accueille chaleureusement.
Additions et soustractions avec des boulettes de papier
Assis sur un matelas, Vincent sort de son sac feuilles blanches et stylos. Cinq des six enfants d’Anita sont présents. L’aîné n’est pas là, le père est parti. Anita reste avec nous, discrète et attentive.
Son plus jeune enfant, âgé d’un peu plus d’un an, n’a pas lâché le sein de sa mère depuis son arrivée. Voilà 15 jours qu’il est malade avec de la fièvre, nous explique-t-elle dans un français assez compréhensible. Il a vu un médecin et il est soigné, mais la fièvre persiste. A nos pieds, entre les deux matelas, Pablo*, environ 3 ans et deux grands yeux malicieux, nous demande « feuille » et entreprend de dessiner avec un large sourire. Le gros rhume qui lui mange la moitié du visage ne semble pas entamer sa bonne humeur.
Vincent commence à expliquer quelques notions de calcul à Stefane. Additions et soustractions sont illustrées concrètement par des boulettes de papier. Assise sur le matelas entre Vincent et son élève, une de ses sœurs griffonne, elle aussi. Stefane fera donc ses additions à moitié allongé sur le matelas, dans le dos de sa petite sœur. Cette dernière ne va pas à l’école. Il n’y a pas encore de place pour elle, explique sa maman.
Deux jeunes préadolescentes font irruption dans la tente. Après avoir mis fin à une conversation téléphonique dans sa langue maternelle, l’une d’elles demande : « Madame, donne des feuilles ! », puis « et les stylos ? ». Avant de s’en retourner à l’extérieur.
Une concentration difficile
Pendant ce temps, Gabriel, un autre frère installé sur le matelas d’en face, essaie tant bien que mal d’écrire son prénom. Il nous dit qu’il est en CE1 mais, timide, ne parle pas beaucoup. Ses mots sont ses sourires. Après quelques minutes d’efforts difficiles d’écriture, il s’empare de son classeur rempli d’une collection de vignettes de personnages musclés.
Plus tard, il attrape une boîte de conserve posée à côté de la télévision qu’il décide de tenter d’ouvrir très maladroitement au couteau. Voyant notre inquiétude, sa mère l’envoie à l’extérieur de la petite tente finir son entreprise dans de meilleures conditions.
Va-et-vient fréquents dans la tente, matelas en guise de bureau… La concentration de Stefane, le grand frère, est difficile et finira par se dissiper rapidement à l’abord de quelques notions de français.
Patience et humilité
Voilà maintenant une petite heure que Vincent s’attelle patiemment à aider comme il peut. Plus que du soutien scolaire, c’est un véritable lien social que lui et ses comparses apportent aux familles. C’est alors qu’une étudiante venue ce soir-là rejoint notre tente pour sonner l’heure du départ. Alors que nous sortons, Stefane nous indique que son papa repart en Roumanie.
Tout en traversant le camp du CCAS et le bidonville installé autour, nous débriefons l’heure passée. L’ambiance est calme. Des odeurs de plastique brûlé provenant de cheminées de fortune embaument l’atmosphère. Un rat furette à quelques mètres de nous. Vincent est content : « Ce soir, c’était les meilleures conditions depuis que je viens. J’ai eu l’impression d’avoir été utile et d’avoir appris quelque chose à Stefane ».
Delphine Chappaz
* Pour préserver l’intimité de la famille, les prénoms ont été modifiés.
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