ENTRETIEN – Lira-t-on un jour dans les livres d’histoire : « le 23 novembre 2014, la ville de Grenoble bannissait la publicité de son espace public » ? Gilles Lipovetsky, essayiste grenoblois et observateur de la société, nous donne son point de vue dans une interview à brûle-pourpoint.
Ancien membre du Conseil d’analyse de la société auprès du Premier ministre, Gilles Lipovetsky intervient comme expert à l’Association progrès du management (APM). Professeur agrégé de philosophie à l’Université de Grenoble, sociologue philosophe, observateur de la société postmoderne, il a rédigé de nombreux ouvrages. Le premier qui l’a rendu célèbre, L’ère du vide : Essais sur l’individualisme contemporain a été publié en 1989.
Selon Gilles Lipovetsky, la consommation a acquis une dimension proprement existentielle. Contribuant à approfondir le mouvement d’autonomisation de l’individu, la consommation est également mise au service de la quête du bonheur de chacun. En ce sens, si la contribution de la consommation au bien-vivre s’avère souvent déceptive, toute volonté de réforme de la société de consommation implique de développer les alternatives à la consommation dans la construction de l’identité individuelle. Que pense-t-il des thèses antipublicitaires et de la mesure prise par le maire de Grenoble ?
Les antipub considèrent la publicité comme un procédé manipulatoire dont il faut protéger les personnes. Qu’en pensez-vous ?
Guy Debord disait effectivement, en son temps, que le consommateur est un être aliéné par la publicité. On lui fait acheter ce qu’il ne veut pas, parce qu’il est manipulé. Une manipulation en grand, systématique. Et donc du coup, lutter contre la publicité, c’est redonner le vrai pouvoir au consommateur, c’est le désaliéner etc. Mais je n’en crois pas un mot !
Le consommateur n’est pas un débile mental, façonné comme un pantin par la publicité. Les gens ne sont pas des idiots complets qui, parce qu’ils voient une affiche, vont acheter le produit. Je pense que c’est une vision extraordinairement réductrice, mécaniste de l’acte de consommation. Et surtout dépassée.
Elle pouvait être valable à la rigueur dans les années 50 parce que c’était nouveau. Mais aujourd’hui, franchement, quand on observe le comportement des consommateurs, ils s’informent, vont sur Internet, comparent les prix. Et force est de constater pour l’instant que les consommateurs français sont plutôt fourmis que cigales. J’aimerais que l’on m’explique la manipulation par la publicité alors que les Français épargnent en moyenne 16 % de leurs revenus !
S’en référant au modèle de São Paulo, la municipalité de Grenoble a décidé de supprimer la publicité dans l’espace public. Elle a d’ailleurs largement communiqué dans les médias nationaux sur cette décision que l’équipe municipale considère très importante. Que vous inspire cette mesure ?
Grenoble n’est pas São Paulo ! Je ne vois pas beaucoup d’affiches publicitaires dans les rues. La publicité n’est ni envahissante, ni agressive à Grenoble… Je pense que la bannir de l’espace public est une mesurette qui n’a rien d’une action capable de transformer la vie des habitants. Il faut être d’une naïveté incroyable d’ailleurs pour penser que cette décision va changer la qualité de vie à Grenoble !
Franchement, si c’est ça qui va marquer la municipalité, c’est double zéro ! On attend d’une municipalité autre chose ! Qu’elle fasse l’animation, la mobilité, l’école, la propreté. La lutte contre le bruit, aussi, qui est beaucoup plus agressif que les panneaux publicitaires ! Une telle mesure irait vraiment dans le sens de l’intérêt collectif. Ça changerait réellement la qualité de vie des habitants. Et là, ils ne font rien…
Certains voient de l’idéologie dans cette mesure. Quel est votre point de vue ?
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