DÉBAT – L’hiver arrive et les budgets consacrés à l’hébergement d’urgence demeurent limités. Comment, dans ces conditions, assurer la mise à l’abri des populations en difficulté ? C’est la question qui a été discutée à l’occasion du débat sur le thème Hébergement d’urgence : quelles issues au fatalisme ?, organisé par Place Gre’net ce jeudi 27 novembre 2014, à la Maison des associations de Grenoble. Retour sur une soirée animée.
Environ 150 personnes ont pu écouter et échanger avec les sept participants invités. © Nils Louna – placegrenet.fr
Environ 150 personnes avaient pris place, ce jeudi soir, dans la salle de conférence de la Maison des associations de Grenoble, à l’occasion de ce cinquième débat organisé par Place Gre’net. Avant que la parole ne soit laissée aux élus, le public et les intervenants ont pu entendre le témoignage de Marcello, ancien SDF qui a connu les difficultés de la rue pendant trois ans dans l’agglomération grenobloise. Un témoignage simple et poignant, écouté attentivement par toutes les personnes présentes ce soir-là.
« La rue laisse des cicatrices »
Témoignage de Marcello, passé par la rue. © Nils Louna – placegrenet.fr
« Le 115, soit on l’appelle toutes les heures, soit on se lasse ». Interrogé sur l’utilité du numéro d’urgence pour les sans-abris, Marcello a ainsi fait part de sa rapide désillusion face aux contraintes d’horaires pour réserver une place dans un centre.
C’est notamment pour supporter cette lassitude que certains sans abris trouvent, selon lui, un réconfort éphémère dans l’alcool ou la drogue. « Surtout l’alcool, car c’est ce qu’il y a de plus abordable et de plus légal. » A propos de la rue et de « la galère » qu’elle engendrait, Marcello, ému, a résumé : « la rue laisse des cicatrices ».
Évoquant ensuite son chien, « compagnon de misère », Marcello a montré à quel point la position de l’animal restait ambigüe dans la vie d’un sans-abri. C’est à la fois « un fardeau » car les centres d’hébergement ne les acceptent pas et un protecteur irremplaçable. D’une part, pour garder le peu de biens que l’on possède lorsque l’on vit dans la rue ; d’autre part, pour lutter contre la solitude. Même s’il est sorti de cette vie où la débrouille est la solution de survie, Marcello a rappelé avec une grande lucidité que l’avenir restait incertain.
« On ne fait plus du social mais de l’humanitaire »
© Nils Louna – placegrenet.fr
Prenant la parole, Stéphane Gemmani, président-fondateur de Vinci-Codex, Samu social de Grenoble, a évoqué une lassitude similaire à celle de Marcello chez les 140 bénévoles de l’association. Un sentiment engendré par les situations éprouvantes qu’ils vivent au quotidien. « Les bénévoles veulent sauver le monde mais se trouvent confrontés à la réalité de devoir continuellement recommencer l’ouvrage réalisé la veille. »
« Le Samu social est très bien entendu mais il n’y a pas de volonté de relayer et de soutenir son action au quotidien » a déploré l’ancien conseiller municipal sous le dernier mandat de Michel Destot. Avant de conclure que Vinci-Codex ne faisait plus du social mais de l’humanitaire.
De son côté, Francis Silvente, directeur du relais Ozanam de Grenoble, a estimé que même si le budget dédié à l’aide sociale et à l’urgence avait augmenté de 50 % en dix ans au niveau national, « le système d’urgence ne fonctionnait plus et ne permettait pas de sortir durablement de la situation d’urgence ». Et ce dernier de pointer du doigt le problème récurrent d’anticipation et les coûts élevés de l’hébergement.
© Nils Louna – placegrenet.fr
Un engorgement des demandes d’asile
Françoise Cloteau, vice-présidente de la Métro en charge de l’hébergement, est pour sa part intervenue pour apporter quelques précisions en matière d’accueil des demandeurs d’asile en Région-Alpes. L’élue a indiqué que le nombre de demandes d’asile était passé de 4 901 en 2011 à 6 657 en 2012 et 7 154 en 2013.
La régionalisation des demandes d’asile est en partie responsable de « l’engorgement », selon Françoise Cloteau. © Nils Louna – placegrenet.fr
Une augmentation et « un engorgement » qu’elle a expliqués par l’organisation actuelle de la prise en charge des demandeurs d’asiles. « En Rhône-Alpes, il n’y a que deux préfectures où les gens peuvent établir leur demandes : à Grenoble, pour les demandes qui concernent la Savoie, la Haute-Savoie, l’Isère et la Drôme, et à Lyon pour le Rhône, l’Ardèche et la Loire ».
Françoise Cloteau a également insisté sur le fait qu’il était nécessaire de trouver une solution d’hébergement plus « pérenne ».
Pour Jo Briant, représentant de la Cisem, Coordination iséroise de solidarité avec les étrangers migrants, la solution passe par une politique volontariste : « S’il y a un fatalisme, il n’y a pas d’issue ». Et de préciser qu’entre 75 et 80 % des demandeurs d’asile étaient déboutés de leur demande. De quoi expliquer l’impossibilité des sans-papiers à être autonomes.
Réalisation JK Production.
« L’hébergement d’urgence n’existe pas »
© Nils Louna – placegrenet.fr
Dans le public, les réactions n’ont pas tardé à se faire entendre, avant même le temps des questions. À la remarque d’une éducatrice spécialisée qui estimait que la notion d’urgence n’existait pas, Stéphane Gemmani a acquiescé et ajouté : « l’urgence, c’est lorsque l’on prend une personne et qu’on la met dans un dispositif ». Avant de préconiser, pour ce faire, le développement d’unités d’accueil sur l’ensemble de l’agglomération grenobloise afin d’être en mesure « de commencer à réaliser un travail social ».
Stéphane Gemmani a, par ailleurs, rappelé qu’il « ne fallait pas se cacher derrière son petit doigt et accuser l’État. ». Un point de vue partagé par Michel Savin, le sénateur-maire de Domène. L’élu, dont la commune est dotée d’un centre d’accueil, a ainsi fait part d’un projet de débat sur l’agglomération concernant le maintien de la compétence d’accueil et de son pressentiment d’une réponse négative. Ayant évoqué « un risque d’appels d’air » à propos des politiques en faveur des migrants, le sénateur a essuyé des remarques virulentes de la part de militants présents dans le public.
Pour José Arias : « il ne faut pas opposer les publics mais travailler en concertation ». © Nils Louna – placegrenet.fr
José Arias, vice-président du Conseil général de l’Isère à l’action sociale, a pour sa part précisé que l’hébergement d’urgence était une compétence régionale et déploré le manque de coordination dans le corps politique en raison d’opinions divergentes. Une situation d’autant plus préoccupante, selon l’élu que « la mondialisation provoque des séismes d’immigration ».
Alain Denoyelle, adjoint au maire et vice-président du CCAS de Grenoble a, quant à lui, rappelé les actions de salubrité bénéfiques aux réfugiés roumains récemment menées : travaux d’évacuation des ordures, accès à l’eau courante et campagne de vaccination infantiles. Des propos tempérés par un membre du public, lui-même issu de cette communauté, qui a indiqué que tous n’avaient pas été pris en charge.
Un débat sous haute tension
Thème complexe, présence d’un public impliqué et parfois très militant… Le débat ne s’est pas déroulé sans accrocs, avec parfois même des interventions agressives dans la salle. Quelques membres de l’auditoire ont ainsi interpellé avec véhémence les intervenants, leur reprochant de ne pas mettre rapidement en œuvre tous les moyens disponibles en faveur de l’hébergement d’urgence.
Réalisation JK Production.
Se justifiant sur la lenteur de certaines procédures, Françoise Cloteau a précisé que la mise place de solutions prenait du temps : « On ne peut pas faire n’importe quoi : c’est à cela que l’on différencie la démocratie de la dictature ».
Interrogé au sujet de la capacité d’accueil et de suivi, Michel Savin a estimé que tant que l’État ne prendrait pas ses responsabilités concernant les demandeurs d’asile, le problème persisterait.
Marie-Thérèse Lloret au micro. © Nils Louna – placegrenet.fr
Des propos qui ont suscité des interventions dans le public, comme celle de Marie-Thérèse Lloret, membre du comité de soutien aux réfugiés politiques algériens. Celle-ci a fait part de son exaspération, en revenant sur les propos de Michel Savin : « Cela fait vingt ans que l’on entend parler d’appel d’air ».
Et celle-ci de signifier aux intervenants que « la France est le quatrième pays d’Europe après l’Allemagne, le Royaume-Unis et l’Italie à accueillir des demandeurs d’asile ».
Maïlys Medjadj, avec Jessica Loiodice et Corentin Cormons
Exclus : des initiatives innovantes pour un avenir meilleur
Ce débat Place Gre’net a aussi été l’occasion de présenter deux initiatives innovantes dans le domaine architectural.
La première a été mise en place par l’association Arpenteurs. Intitulée Parlons-en, elle entend laisser la parole aux personnes en situation de précarité afin qu’elles puissent faire part de leurs difficultés et de leurs attentes. L’association organise ainsi une réunion par mois avec, à chaque fois, un thème différent. Des rendez-vous qui sont l’occasion de débattre et de mettre en commun des idées. L’objectif ? Retrouver de l’autonomie et lutter contre l’idée que les personnes en situation de précarité sont seulement source de problèmes.
Containers aménagés : une solution à l’exclusion ? DR
Expérimentations et innovations dans l’hébergement d’urgence, seconde initiative, a été présentée par Véronique Decroix et Noémie Paperin, architectes. Ce projet, intitulé Toi mon toit, propose un réaménagement de l’espace urbain et un système d’hébergement mobile. Autrement dit, l’aménagement de bus en espaces d’habitation et l’installation de façon temporaire d’habitations sur des parcelles de terrain non exploitées. Des habitations mobiles qui peuvent ainsi être démontées pour être réinstallées ailleurs.
En conclusion, Thibaut Defrance, de l’association Esca, qui prône une architecture du réemploi et du détournement, a fait un retour d’expérience sur le dispositif de container aménagé. Des réponses intéressantes, mais bien évidemment complémentaires d’une démarche active sur le terrain.