Vue Grenoble avec les trois tours et le massif de Belledonne en arrière plan Crédit photo Patricia Cerinsek

La terre tremble, Grenoble sursaute

La terre tremble, Grenoble sursaute

ENQUÊTE – La terre tremble, Grenoble bouge à peine. Jusqu’à quand ? Les sis­mo­logues sont for­mels : un séisme de magni­tude 6 voire 7 frap­pera un jour cette par­tie des Alpes. Alors que la régle­men­ta­tion natio­nale se met dou­ce­ment en place, boos­tée par la catas­trophe de Fukushima, Grenoble, métro­pole de 400 000 habi­tants à la conver­gence de risques tech­no­lo­giques et natu­rels majeurs, ne semble pas avoir pris la mesure des impacts poten­tiels d’une telle secousse. 

Crédit Sismalp/ISTerre

Les Alpes est une des régions les plus sis­miques en France métro­po­li­taine. © Crédit BCSF

Les sis­mo­logues en sont convain­cus : un séisme majeur, 6 voire 7 degrés sur l’échelle de Richter, sur­vien­dra dans cette par­tie des Alpes.
Où ? Quand ? Viendra-t-il de la faille du Vuache, celle-là même qui a déclen­ché le séisme d’Epagny, dans la région d’Annecy en 1996 ? De la faille de Belledonne, qui génère chaque année son lot de secousses ?
Et sur­tout, avec quel impact alors que l’on sait que la cuvette gre­no­bloise agit comme une immense caisse de résonance ?
A la lumière de la catas­trophe de Fukushima, où le séisme cou­plé d’un tsu­nami a été plus violent que prévu, ren­dant caduque toute ten­ta­tive de pré­voir la puis­sance d’un évé­ne­ment futur sur une base his­to­rique, autant s’y préparer.
C’est peut-être là où le bât blesse. Car, si la loi est lim­pide pour les construc­tions nou­velles, qui n’ont d’autres choix depuis le milieu des années quatre-vingt dix, que de se mettre aux normes para­sis­miques, l’existant a toutes les chances de pas­ser entre les mailles du filet*…
Aucune carte des risques liés au bâti à Grenoble
« Un retard consi­dé­rable existe à Grenoble concer­nant la prise en compte de la vul­né­ra­bi­lité sis­mique du bâti cou­rant », écri­vait déjà en 2003 le sis­mo­logue Philippe Guéguen dans son pro­jet Vulnéralp
Les plus fra­giles ? Les immeubles construits dans les années 50 – 60 mais aussi le centre-ville ancien, où les maçon­ne­ries et les che­mi­nées en équi­libre sur les toits ne résis­te­ront pas à un séisme, ne serait-ce que de magni­tude 5. Les quar­tiers Championnet et Berriat-Chorier ne sont pas non plus des modèles de sta­bi­lité. Pas plus que celui de la pré­fec­ture, ou celui de la gare.
Photo Patricia Cerinsek

Le centre-ville ancien ris­que­rait de payer un lourd tribu si un séisme majeur venait secouer Grenoble. © Patricia Cerinsek

En cas de séisme majeur sur Grenoble, quels bâti­ments résis­te­raient ? Le Palais de jus­tice mais aussi la MC2, un modèle du genre.
Mais dif­fi­cile de dres­ser une carte des risques liés au bâti… tout sim­ple­ment parce qu’elle n’existe pas. On connaît la nature du sol gre­no­blois, grâce aux tra­vaux des sis­mo­logues, mais ce qui y est posé des­sus n’a pas la prio­rité des auto­ri­tés. « Le résul­tat des recherches n’a jamais été valo­risé dans une volonté de réduc­tion des risques », dénonce ainsi un chercheur.
Seul un micro-zonage per­met­trait de connaître cette vul­né­ra­bi­lité, de l’affiner pour adap­ter une norme géné­rale à un contexte local. A Nice, à Lourdes, à Annecy, ce tra­vail a été mené et s’est tra­duit dans un PPRS, plan de pré­ven­tion du risque sismique.
« Le PPRS n’est pas une baguette magique »
A Grenoble, pas de PPRS en vue… « Le PPRS n’est pas une baguette magique, répond Yves Picoche, chef du ser­vice Prévention des risques à la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (Dreal Rhône-Alpes). Cet outil ne fait rien de mieux que le code de la construc­tion : il ne va pas plus loin en matière de régle­men­ta­tion et il est inopé­rant pour l’existant. Car quel est le bon niveau de ren­for­ce­ment ? Le diag­nos­tic n’est pas simple. Le micro-zonage consiste, en fait, à aller zoo­mer sur des points de détails alors que l’on n’a pas réglé la ques­tion d’ensemble ». Ceux qui habitent les points de détails apprécieront…
De fait, « la ques­tion d’ensemble » est vaste. Car l’agglomération gre­no­bloise et ses 400 000 habi­tants est cer­née. Risques nucléaires et chi­miques laissent pla­ner la menace d’une conjonc­tion d’événements aux effets démul­ti­pli­ca­teurs. Le fameux effet domino.

lac chambon

Le bar­rage du Chambon, comme tous les bar­rages, va faire l’ob­jet d’é­tudes de confor­mité afin de s’as­su­rer de sa résis­tance aux séismes © Wikipedia

En amont de Grenoble, on compte dix bar­rages, dont trois à moins de 70 kilo­mètres, tous construits dans « les règles de l’art », faute de régle­men­ta­tion en matière de séisme.
Un arrêté minis­té­riel, et donc des normes, est en cours de pré­pa­ra­tion, mais ne devrait concer­ner que les ins­tal­la­tions nou­velles. Pour l’existant, des véri­fi­ca­tions de confor­mité sont pré­vues. Mais ce sera long et cher… « La régle­men­ta­tion doit être pro­por­tion­née aux enjeux », résume Yves Picoche. 
Une régle­men­ta­tion qui arrive tard. La plu­part des ins­tal­la­tions indus­trielles, et notam­ment les plus à risques clas­sées Séveso seuil haut, ont été construites avant l’arrêté de 1993 qui édicte des contraintes de construc­tion. Et donc avant l’arrêté de mars 2011 qui fixe des valeurs à res­pec­ter en matière sis­mique, comme l’accélération du sol en cas de secousse. 
Ainsi, l’atelier de pro­duc­tion de chlore de Vencorex date-t-il des années soixante. Un exemple parmi d’autres.
Les indus­triels ont jusqu’à fin 2015 pour mener les études qui doivent prou­ver si leurs ins­tal­la­tions résistent au séisme. Puis jusqu’à fin 2021 pour se mettre aux normes. Mais les études s’annoncent déjà lourdes, les métho­do­lo­gies à déve­lop­per complexes…

“Ni moyens, ni volonté de contrô­ler les ins­tal­la­tions chimiques”

Raymond Avrillier

Raymond Avrillier : « pas de moyens ni de volonté de contrô­ler les ins­tal­la­tions chi­miques ».
© Nils Louna

Beaucoup pointent du doigt les carences de l’État. Réglementation tar­dive, effets de site pas pris en compte, « il n’y a ni moyens, ni volonté de contrô­ler les ins­tal­la­tions chi­miques », accuse Raymond Avrillier, l’ancien maire-adjoint de Grenoble qui, en 2010, avait inter­pellé les repré­sen­tants de l’État dans le département. 
« Les ser­vices de l’État se contentent des auto-contrôles et des auto-ana­lyses par les exploi­tants, sans moyens de contre-ana­lyse ! »
D’autant que l’investissement est de taille pour des indus­tries déjà fra­gi­li­sées. Auront-elles les reins suf­fi­sam­ment solides pour encais­ser un plan de réno­va­tion ou devoir arrê­ter une chaîne de fabrication ?
Un niveau de séisme extrême prévu par l’ILL
A l’Institut Laue-Langevin (ILL), la réponse aux risques sis­miques a déjà coûté 50 mil­lions d’euros. Après des pre­miers tra­vaux de ren­for­ce­ment du bâti­ment du réac­teur en 2006, les cal­culs ont été revus à la lumière du scé­na­rio catas­trophe : un séisme “mag 7” pro­vo­quant la rup­ture des quatre bar­rages sur le Drac. 

Credit ILL/Peter Ginter

© ILL – Peter Ginter

« Après Fukushima, la réfé­rence – le séisme majoré de sécu­rité (SMS)** qui était de 5,7 – était dépas­sée », sou­ligne Véronique Caillot, l’une des trois ingé­nieurs du ser­vice Sûreté nucléaire de l’ILL.
« La façon de déter­mi­ner le séisme majoré de sécu­rité était cri­ti­quable. Il y avait des niveaux de séisme supé­rieurs qui pou­vaient se pro­duire avec des pro­ba­bi­li­tés pas négli­geables ».
L’ILL a donc tra­vaillé, aux côtés de sis­mo­logues gre­no­blois, à des niveaux de sécu­rité supé­rieurs. Ainsi, une étude pro­ba­bi­liste a‑t-elle été réa­li­sée et a conduit à défi­nir un niveau de séisme extrême pour dimen­sion­ner les moyens de sau­ve­garde et de ges­tion de crise. Ce niveau est deux fois plus élevé que celui du SMS et a une période de retour de 20 000 ans. Quatre fois plus longue que pour les sites clas­sés Séveso…
Des cen­trales nucléaires en zone sismique
Mais tout le monde a‑t-il pris la mesure du risque sis­mique ? Avec quatre cen­trales et qua­torze réac­teurs, un quart du nucléaire en France est pro­duit en Rhône-Alpes. C’est éga­le­ment dans le quart sud-est que le risque de trem­ble­ment de terre est le plus élevé en métropole.
La marge de sécu­rité, pour­tant confor­table, prise en compte lors de la construc­tion des cen­trales il y a trente ans, est-elle suf­fi­sante ? A l’épreuve du temps et de l’évolution des connais­sances, les struc­tures de confi­ne­ment, les cuves en acier, les pis­cines de sto­ckage du com­bus­tible et les cir­cuits de refroi­dis­se­ment sont-ils encore à la hau­teur du risque ?
CNCruasDepuis Fukushima, les dis­po­si­tifs ont été ren­for­cés et les études d’aléa revues.
Centres de crise bun­ke­ri­sés pour pro­té­ger les élé­ments clés, mise en place d’une force d’action rapide nucléaire… les auto­ri­tés de contrôle du nucléaire bataillent ferme pour mettre au pli EDF. L’exploitant, qui ne voit pas d’un très bon œil les tra­vaux des sis­mo­logues et la rééva­lua­tion qui s’en suit, s’échine en effet à pon­dé­rer les pres­crip­tions mises en œuvre par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radio­pro­tec­tion et de sûreté nucléaire (IRSN).
De fait, le chan­tier de moder­ni­sa­tion des cen­trales coû­te­rait 55 mil­liards d’euros à EDF, d’après son PDG Henri Proglio, dont 10 mil­liards de tra­vaux impo­sés par l’ASN à la suite de Fukushima. 
Pour les auto­ri­tés de contrôle du nucléaire, les enjeux se posent pour­tant en termes de sécu­rité. « La pro­lon­ga­tion des réac­teurs nucléaires au-delà de 40 ans*** n’est pas acquise », répon­dait d’ailleurs le pré­sident de l’ASN, en février 2014, lors de son audi­tion à l’Assemblée natio­nale.
« L’impossible peut arri­ver au vu de Fukushima », abonde Matthieu Mangion, chef de la divi­sion lyon­naise de l’ASN. Les cen­trales nucléaires, qui avaient été conçues pour résis­ter à un trem­ble­ment de terre deux fois plus impor­tant que le séisme le plus grave jusque-là relevé en mille ans dans la région, vont devoir inté­grer cet « impos­sible ».
Patricia Cerinsek
* Seules les exten­sions et modi­fi­ca­tions signi­fi­ca­tives sur les bâti­ments exis­tants avant 2011 obligent à mettre en œuvre les normes parasismiques.
** Le séisme majoré de sécu­rité pre­nait en compte le séisme his­to­rique (pour l’ILL celui de Corrençon-en-Vercors) majoré d’un demi-point ; soit 5,2 sur l’échelle de Richter.
*** La pro­lon­ga­tion des réac­teurs au-delà de 40 ans est sou­mise à l’ASN. L’Autorité de sûreté nucléaire devrait pré­sen­ter un pre­mier avis glo­bal en 2015 et pré­ci­ser ses conclu­sions, réac­teur par réac­teur, en 2018 – 2019.
Pour en savoir plus, lire les dos­siers très com­plets de l’Institut des risques majeurs de Grenoble (Irma).
A lire éga­le­ment sur Echosciences Grenoble :
-Estimer les dom­mages d’un séisme à par­tir des infor­ma­tions existantes
Les séismes extrêmes convo­qués à des tests
Tester les ins­tal­la­tions à risque, c’est l’objectif du pro­jet euro­péen Stress Test qui a démarré en octobre 2013, grâce notam­ment aux tra­vaux du sis­mo­logue gre­no­blois Fabrice Cotton. Un pro­gramme qui, sur trois ans, asso­cie indus­triels hol­lan­dais, ita­liens, turcs, sici­liens et suisses. Mais pas de Français.
« Il s’agit de tes­ter les ins­tal­la­tions chi­miques, bar­rages et oléo­ducs à des scé­na­rios extrêmes qu’on ne peut pas écar­ter, au-delà de ce que l’on a connu par le passé », explique le pro­fes­seur de sis­mo­lo­gie de l’université Joseph-Fourier.
La méthode, dite pro­ba­bi­liste, vient com­plé­ter et enri­chir le scé­na­rio déter­mi­niste qui pré­va­lait jusque-là, basé sur le plus fort séisme his­to­rique connu.
« La démarche déter­mi­niste clas­sique a des limites, dans la mesure où le retour d’expérience nous a mon­tré, comme à Fukushima, qu’on pou­vait avoir des séismes plus impor­tants ».
A Fukushima, le trem­ble­ment de terre de réfé­rence était de 8,3 sur l’échelle de Richter. Le séisme a atteint 9…
La nou­velle méthode, pro­ba­bi­liste, couple les champs des pos­sibles et les champs des incer­ti­tudes. « A par­tir de ces don­nées, aux poli­tiques de faire un choix… » 

Patricia Cerinsek

Auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

A lire aussi sur Place Gre'net

Eric Piolle a inauguré l'école Anne-Sylvestre dans le quartier Flaubert, à Grenoble, le 8 octobre 2024. © Auriane Poillet - Ville de Grenoble
Grenoble : la nou­velle école Anne-Sylvestre, inau­gu­rée après sa pre­mière ren­trée scolaire

FLASH INFO - La municipalité grenobloise a inauguré le 8 octobre 2024 la toute nouvelle école Anne-Sylvestre, située dans le quartier Flaubert. Cette construction bâtie Lire plus

Usine de Photowatt DR
Cession de Photowatt à Carbon : les signa­taires d’un cour­rier au Premier ministre inquiets pour l’a­ve­nir de l’ac­teur industriel

FOCUS - À la suite de l'annonce de la cession de Photowatt à la start-up Carbon, des élus ont interpellé le préfet de l'Isère, la Lire plus

Mobilisation du collectif STop Micro à Grenoble, dimanche 6 octobre 2024 © Séverine Cattiaux - Place Gre'net
Pollution de l’Isère aux Pfas : le col­lec­tif STop Micro dénonce un scan­dale sani­taire et appelle à faire « un autre choix de société »

REPORTAGE VIDÉO - « De l'eau, pas des pfas1composés per et polyfluoroalkylées ». Le collectif STop Micro organisait à Grenoble une manifestation, dimanche 6 octobre 2024, pour Lire plus

Yémen, Laos, Haïti...La Métropole dévoile les six lauréats de son Appel à Projets Solidarité internationale Eau 2024
Yémen, Laos, Haïti…La Métropole dévoile les six lau­réats de son appel à pro­jets Solidarité inter­na­tio­nale Eau 2024

FLASH INFO - La Métropole de Grenoble a dévoilé les lauréats de son appel à projets Solidarité internationale Eau 2024, à l'occasion d'une présentation le Lire plus

La réunion du collectif Parlement de la rivière Isère en mars 2024. ©Parlement de la rivière Isère
Un Parlement de la rivière Isère a vu le jour à Grenoble pour pro­té­ger l’eau

FLASH INFO - Le Parlement de la rivière Isère a organisé sa toute première session à Grenoble, le 28 septembre 2024, et ainsi officialisé sa Lire plus

Le Mois de la nuit à Grenoble. ©Grenoble Alpes Métropole
Le Mois de la nuit revient en octobre, avec en ligne de mire la réduc­tion de la pol­lu­tion lumineuse

FOCUS - Grenoble Alpes Métropole, les parcs naturels régionaux de Chartreuse et du Vercors et l’Espace Belledonne lancent la quatrième édition du Mois de la Lire plus

Flash Info

Les plus lus

Agenda

Je partage !