FOCUS – Regarder vers l’Est, c’est pour Michel Fouquin regarder vers l’Asie. Alors qu’avec la crise ukrainienne, les regards et les craintes convergent vers la Russie, le conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales revient sur l’équilibre géostratégique mondial, le temps du festival de géopolitique de Grenoble. Pour le professeur d’économie du développement à Paris, le centre du monde se déplace vers l’Océan indien et la Mer de Chine.
Alors que les regards à l’Est sont rivés sur la Russie, que peut-on attendre de l’ex-empire soviétique ? « J’adore les Russes mais on ne sait pas où ils vont s’arrêter », concède Michel Fouquin, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), dédié à la recherche sur l’économie mondiale. Pour le spécialiste de l’Asie, bien malin qui peut dire si l’Ukraine n’est que le premier épisode d’un rêve de grandeur poutinien.Quels sont les pouvoirs réels de Moscou et qu’en est-il de la situation économique du pays ?
« La Russie est un pays en déclin et en déclin démographique grave. C’est un pays qui se vide dans toute la partie sibérienne car les conditions de vie sont lamentables ». Un pays qui ne peut plus compter comme seules richesses que sur celles de son sous-sol. Le gaz et le pétrole, c’est à peu près tout ce qui resterait à la Russie aujourd’hui.
« Les Russes sortent d’un cauchemar, puis arrive Poutine et, surtout, des prix du pétrole élevés qui permettent tout d’un coup de repayer les fonctionnaires, les militaires… Poutine a, d’une certaine façon, réussi à remettre la Russie sur les rails. Mais elle a commencé ses réformes puis s’est arrêtée. Le système économique est donc pourri ».
La Crimée est désormais rattachée à la Russie. Qu’est-ce que cela va changer ? L’Ukraine va-t-elle se tourner vers l’Europe ?
« Il n’a jamais été question de l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne, à la différence de la Turquie. Ce que l’on doit établir, c’est ce qu’on appelle la politique de voisinage, qui n’est pas du tout l’intégration, mais un partenariat privilégié », explique Michel Fouquin.
Pour ce qui est de la Russie, l’enjeu est de taille. Alors que 75 % du commerce mondial passe par la voie maritime, la Crimée, l’accès à la Mer Noire et, derrière, aux « mers chaudes » est stratégique pour Moscou. D’autant plus que la Russie n’est pas une puissance maritime, contrairement à l’Asie.
Quid des enjeux à l’Est de la Russie ?
Le pays est convoité sur sa façade Nord. La Sibérie et son sous-sol attisent depuis longtemps déjà les appétits, notamment de la Chine. Les Chinois sont ainsi de plus en plus nombreux à passer la frontière pour s’installer dans ce « Far East », achetant le pétrole russe, exploitant terres et forêts. A l’Est désormais, le pouvoir n’est plus à Moscou mais à Pékin. Il n’est plus politique mais économique. « La Chine peut devenir et pense qu’elle va devenir la deuxième super-puissance mondiale, et peut-être la première. Les Chinois ont cinq millions d’histoire derrière eux, donc ils ont le temps ». Pour le professeur d’économie du développement, il est donc temps de regarder vers l’Est. Mais l’Est asiatique. Quelle place va occuper la Chine sur l’échiquier mondial ?« C’est toujours dangereux d’avoir une puissance émergente au sens fort du terme. Je pense que la géostratégie européenne doit être de se rapprocher de l’Inde pour faire contrepoids à la Chine ». La Chine est déjà un acteur incontournable sur le front économique, si ce n’est sur la scène politique, où la non-ingérence et le non-interventionnisme dans les affaires intérieures des autres pays sont érigés en dogmes.
Quelle politique géostratégique l’Europe doit-elle donc mener ?
« Il faut développer les relations avec l’Asie », insiste Michel Fouquin. Le président chinois a proposé de commencer à négocier un accord de libre échange avec l’Europe. L’Union européenne est, par ailleurs, en négociation avec l’Inde, avec les Japonais et vient de signer avec les Coréens. Nous nous acheminerions donc demain vers un accord avec une union asiatique ? « Je n’y crois pas non plus. Les divisions entre pays d’Asie sont profondes », assure Michel Fouquin. Patricia CerinsekA lire aussi sur Place Gre’net : - Le festival de géopolitique de Grenoble décrypte l’Eurasie -« Le risque autoritaire n’est pas à Moscou mais à Kiev »