DÉCRYPTAGE – La brochure « RSA, Y entrer, y (sur)vivre, en sortir » sera diffusée à 35 000 exemplaires un peu partout en Isère sur l’année qui vient. Signe particulier : elle a été conçue avec des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Pourtant, ceux-ci tirent un bilan mitigé de l’expérience.
La sortie de cette brochure est un petit pas pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), mais un pas vers une nouvelle manière de prendre en compte “les précaires” dans les politiques publiques. Désormais les 2 000 personnes qui entrent dans le dispositif RSA, chaque mois, en Isère, devraient recevoir cette brochure censée leur dire l’essentiel… en quelques pages.
L’essentiel, mais en 22 pages tout de même : « Le RSA, c’est quoi », « Le RSA : droits et devoirs », « RSA et travail », « RSA et logement », « RSA et santé », « Votre situation change », « Votre dossier bloque »…
Cela n’a l’air de rien, mais ce vade mecum n’existait pas avant. Il comble un vide réel. Cela n’a l’air de rien non plus, mais il a nécessité six demi-journées de réunion avec, autour de la table, des représentants du Conseil général, de la Caisse d’allocations familiales, du Bon Plan, le journal d’information et d’expression des allocataires du RSA de Grenoble et de l’agglomération, et aussi… des allocataires du RSA. Sans oublier un animateur embauché pour mener ces réunions.
Décrypter « l’usine à gaz »
A l’occasion d’une réunion informelle entre midi et deux heures, clôturant le projet, mardi 11 mars dernier, les protagonistes se sont donné rendez-vous à la Cité administrative. Emmanuelle Petit, chef de service Action sociale et insertion du Conseil général, retrace le chemin parcouru. « L’idée d’associer des bénéficiaires du RSA à des réflexions communes est née en 2011, en présence de José Arias (ndlr. vice-président du Conseil général de l’Isère en charge de la cohésion et du développement social) ». Et d’expliquer que les années se sont écoulées parce que les validations ont pris du temps… et que le projet a changé de nature en cours de route. « Il s’agissait au départ d’une co-formation, les uns apportant leurs savoirs aux autres, en vue de construire un power point commun… Et finalement, tout le monde a convenu de faire une plaquette d’info qui servirait au plus grand nombre ». Yves Berthuin, directeur adjoint de l’insertion et de la famille du Conseil général de l’Isère, déclarera aussi, lors d’un entretien avant cette réunion, que « le temps des précaires n’est pas celui de l’administration ». C’est, donc, avec beaucoup d’impatience que Jean-Marc Durand, ex-allocataire du RSA, attendait la sortie de cette brochure, jusqu’à désespérer qu’elle ne sorte un jour. Il relançait régulièrement le Conseil général ces derniers mois… Pour lui, le RSA est une « machine à broyer, une usine à gaz ». Or il s’est beaucoup investi dans le contenu de cette brochure.Satisfaction mitigée
Rencontrés à part, en février, autour d’un café, les allocataires du RSA qui ont participé à l’élaboration de cette brochure ne débordaient pas d’enthousiasme. Jean-Marc Durand, Chloé Giroud et Pierre-Louis Serero en ont lourd sur la patate, mais ils ne sont pas prêts à lâcher prise. Chloé Giroud, allocataire du RSA, explique sa rancœur. Elle voulait participer aux réunions de cette co-formation mais son agenda ne le lui permettait pas. « Les réunions étant toujours calées le même jour, je n’ai pu assister à aucune. J’aurais pourtant souhaité participer à la création du document. Je trouve qu’il est terne et manque d’illustrations ». Pierre-Louis Serero est très prolixe, très remonté, lui aussi. Il rappelle que cette brochure existe parce que les précaires s’organisent depuis bien longtemps à Grenoble, qu’il y a des collectifs très actifs comme Stop Misère et le Collectif La Marche pour la dignité et contre la pauvreté… Certes, il reconnaît et salue le fait que l’Isère fasse bien mieux que les autres. Mais il relate des différences de traitement entre participants de la co-formation, inadmissibles… « Nous avons eu le sentiment qu’on se servait de nous pour comprendre comment fonctionnait le RSA. Manifestement, certains ont beaucoup appris […]. Nous avons passé du temps à réfléchir avec eux. Eux, ils sont payés pour cela, et nous ? Et il a fallu leur dire que nous aussi, le midi, on mangeait ». Des plateaux repas leur ont alors été proposés.Quid de la distribution du document ?
La distribution du document est la prochaine étape. « Qu’il arrive dans les mains de ceux qui en ont besoin est notre volonté » assure Yves Berthuin. « Il sera distribué lors des sessions “infos col”» annonce Emmanuelle Petit. Mais, au sortir du petit pot café-gâteaux, Jean-Marc Durand est un peu abattu. Il aurait souhaité qu’on développe l’organisation de la distribution. « C’était à l’ordre du jour sur le mail » s’étonne-t-il. Il est vrai que les échanges ont un peu dévié sur le local du RSA, encore appelé la Maison du RSA : « son organisation », « qui fait quoi dans ce local ? », « doit-on mettre l’adresse dans la brochure, car elle a été oubliée ? », « oui, mais alors dans la brochure qui concerne les Grenoblois seulement, dans un tiret à part », « ça sera pour la prochaine édition »… Ont aussi été évoqués les Forums RSA « qui ont besoin d’être relancés » reconnaît Yves Berthuin. Ces forums sont des réseaux d’allocataires du RSA, dont l’animation est confiée à un acteur local payé par le Conseil général. Ce dernier organise des rencontres physiques qui génèrent du lien et lors desquelles des projets intéressants s’élaborent, que le Conseil général est prêt à soutenir.La suite…
C’est une tradition en Isère (et pas qu’en Isère), les chômeurs, les précaires ne se laissent pas aller à leur sort. Ils se réunissent, se mobilisent, participent aux manifs pour revendiquer, réfléchir, font des marches jusqu’à l’Élysée, tel Alain Guézou qui s’est aussi présenté aux dernières élections législatives. Que veulent-ils au fond et avant tout ? Supprimer, alléger la paperasserie que génèrent la demande et les mises à jour pour obtenir le RSA… La solution idéale pour eux ? Tout le monde la connaît : ce serait de passer au système d’un “revenu minimum d’existence”. Ainsi libéré de la hantise de savoir ou pas si l’on arrivera à payer ses factures à la fin du mois, l’allocataire du revenu minimum d’existence pourrait se consacrer – sans stress, repu, et les soins de santé effectués – à ses occupations de recherche d’emploi… En attendant cette réforme, les allocataires du RSA aspirent à « plus de simplification dans l’accès au RSA, mais aussi à être utiles à la société. Pas demain, mais tout de suite, avec la mise en place de “plateformes outils” où l’on fabriquerait des choses… A participer aux réflexions qui les concernent, à ne plus être infantilisés, regardés de haut, dénigrés parfois » expliquent Jean-Marc Durand, Pierre-Louis Serero et Chloé Giroud. Séverine CattiauxTrois questions à José Arias, vice-président au conseil général de l’Isère Souvent la participation des habitants, des citoyens, des usagers se limite à de la consultation. Or la loi du RSA écrite par Martin Hirsch prévoit que les allocataires du RSA puissent être acteurs de ce dispositif… Comment ? C’est à la libre interprétation des départements. L’Isère tente en tout cas de jouer le jeu. Précisions de José Arias, vice-président du Conseil général de l’Isère en charge de la cohésion et du développement social.
Le RSA en chiffres
Au 31 décembre 2013, 30 198 foyers allocataires touchaient le RSA,
dont 19 097 le RSA socle, 7 633 le RSA activité, 3 468 le RSA socle et le RSA activités ;
82 % des personnes touchant le RSA vivent seules ;
Le nombre d’allocataires a progressé de 10 % par rapport à 2012 ;
71 % perçoivent le RSA depuis plus d’un an ;
53 % le perçoivent depuis plus de deux ans.