PORTRAIT – A l’occasion des semaines d’information sur la santé mentale du 11 au 22 mars, nous avons voulu en savoir plus sur la vie des personnes atteintes de troubles mentaux. Luc Filopon, récemment diagnostiqué autiste Asperger, a accepté de lever le voile sur son parcours et sur les conséquences de ce trouble du spectre autistique sur son existence. Son employeur actuel et sa fille témoignent. Immersion en terre inconnue !
L’annonce du diagnostic date de quinze jours à peine. A 47 ans, Luc Filopon, peintre carrossier, apprend qu’il est autiste Asperger de haut niveau. C’est une petite révolution qui s’amorce. « Je ne suis plus une miette, un rebut, un déchet, un invisible mais AA+, autiste Asperger comme disent les spécialistes. » Il espère pouvoir se reconnaître bientôt dans cette nouvelle identité.Luc Filopon et son employeur, Isabelle Quero. © Véronique Magnin – placegrenet.fr
Luc Filopon © Véronique Magnin – placegrenet.fr
« Je n’avais pas conscience de ma différence »
Enfant, à la Martinique, Luc aimait fréquenter les librairies mais, à l’école, il restait seul dans son coin. « Je n’ai eu qu’un ami lorsque j’étais adolescent. On partageait la course à vélo ». D’une manière générale, se souvient-il, « je ne ressentais rien, même lorsqu’un membre de ma famille mourrait ». Et lorsque son père battait sa mère ou que lui-même était maltraité, il éprouvait peu d’émotions. Me fixant de son regard franc, il poursuit : « vous savez, quand il y a cette violence-là, vous n’aimez personne ».© Véronique Serre – placegrenet.fr
« Je suis très fière de mon père »
Suite à sa séparation avec son ex-femme, fin 2000, Luc a fait placer ses enfants en foyers et familles d’accueil, à cause de la « grande dépression de leur mère ». Son ex-femme est décédée depuis. Il a entrepris des démarches en 2011 pour recouvrer leur garde, mais celle-ci lui a été refusée. « Il n’a pas été compris par les services sociaux et la justice », d’après Isabelle Quero qui le connaît bien. « Il n’était pas étiqueté autiste à ce moment-là. Ils lui ont fait faire une expertise judiciaire. Résultat : on lui a attribué des troubles de la personnalité. […] Je pense qu’il a voulu trop bien faire, trop bien répondre aux questions. Ça l’a au final desservi. Et puis, il est très émotif et met son masque quand la situation devient difficile. Pour percer quelqu’un comme lui, il faut prendre le temps. Or les administrations n’ont pas le temps. Et puis peut-être qu’elles sont parfois aussi trop rigides. Quand une personne ne rentre pas dans le moule, ça bloque ! » Devenue majeure, Anaïs, la fille aînée de Luc, a choisi de revenir vivre avec lui. « Je suis très fière de mon papa, malgré son caractère particulier. C’est vrai qu’il nous rappelle tout le temps les règles mais il a une très grande intelligence. […] Avec mon père, on peut discuter de tous les sujets. Et aujourd’hui qu’il n’est plus dépressif, on rigole de tout et de rien. Je lui dis souvent que c’est ma petite maman. […] Ça m’aide beaucoup de savoir que mon père est autiste Asperger. Je comprends mieux ses comportements. Et c’est une forme de reconnaissance de sa très grande intelligence. »« On m’a maintenu au Smic pendant plus de vingt ans »
A 18 ans, ses deux CAP en poche – préparation et peinture en carrosserie – Luc entre dans le monde du travail par le biais d’un contrat emploi adaptation formation. « Mon parcours professionnel a été miné d’incompréhensions par rapport à ce que j’étais ».© Véronique Magnin – placegrenet.fr
Tout a changé le jour où la Chambre de métiers et de l’artisanat a proposé la candidature de Luc au garage de la Vallée. Isabelle Quero, cogérante, précise que son CV correspondait à leur niveau d’attente. « On nous a juste interpellés sur le fait que le candidat était malentendant. Et lui-même s’est présenté comme un peu lent et sortant d’une longue dépression. Comme, pour nous, ce n’était pas très compréhensible d’être lent, on lui a proposé de faire un essai » poursuit-elle. Informé du challenge qu’allait représenter pour lui le fait de travailler en complète autonomie, il a su dépasser toutes les difficultés. « Aujourd’hui, en tant que peintre carrossier, il est reconnu » assure Isabelle Quero.
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« Luc est atypique et nous aussi à notre manière »
Isabelle garde en mémoire cette phrase d’un conseiller de l’Association pour adultes et jeunes handicapés, un mois tout juste après son intégration dans l’entreprise : « Mais qu’est-ce que vous avez fait à notre Luc pour qu’il soit devenu souriant ? »© Véronique Magnin – placegrenet.fr
« Il faut que la société entende les invisibles »
C’est en octobre 2012 que Luc a une révélation. Il assiste alors à la conférence “Si on laissait parler les autistes”, co-animée par l’association Comme c’est curieux et La compagnie des Ted, dans le cadre du mois de l’accessibilité organisé par la Ville de Grenoble. Un témoignage fait écho à son histoire. Pour la première fois de toute son existence, « il éclate en sanglot ». C’est le début du questionnement qui le mènera jusqu’au diagnostic. Les semaines d’information sur la santé mentale revêtent d’ailleurs une grande importance à ses yeux. « Beaucoup de personnes handicapées en veulent aux médias qui s’informent mal sur le handicap » confie-t-il. « Les personnes concernées se sentent discréditées. Il faut que les médias rencontrent plus longuement les associations pour mieux les connaître, pour apprécier leurs actions et leurs difficultés […] Quel que soit le handicap, il y a toujours une réponse, une solution. » Selon lui, personnes handicapées et valides sont séparées par un mur. « On est de la même espèce mais il faut se donner le temps de se comprendre. C’est tout un cheminement pour entrer dans le monde du handicap. Plus d’humilité est nécessaire. » Véronique MagninQu’est-ce que le syndrome d’Asperger ?
Rangé dans la catégorie des “troubles du spectre autistique”, le syndrome d’Asperger se traduit par d’importantes difficultés dans les relations sociales et des comportements répétés. Explications. C’est le psychiatre autrichien Hans Asperger qui caractérise en 1944 cette pathologie comportementale empreinte d’une déficience marquée dans les interactions sociales et la communication. L’Autriche faisant alors partie de l’Allemagne nazie en guerre, ses travaux restent lettre morte. Ce n’est que bien des années plus tard, en 1981, qu’une pédopsychiatre anglaise, Lorna Wing, consulte ses écrits et propose une définition du syndrome d’Asperger. Celle-ci gagne progressivement l’assentiment de ses collègues internationaux : en 1994, le syndrome d’Asperger est officiellement accepté par la communauté scientifique et rangé dans le spectre de l’autisme. Les atteintes peuvent être plus ou moins sévères selon les personnes. Parmi les principaux signes que l’on peut retrouver à des degrés divers, on peut citer : des difficultés dans l’interaction sociale et la communication avec les autres, une certaine incompréhension des jeux de mots ou de l’ironie, une façon de parler manquant un peu de naturel, des expressions du visage absentes, un attachement excessif à certains objets, une fixation sur un sujet, des obsessions et des répétitions, la réalisation de rituels, une naïveté sociale qui en fait des victime parfaites – puisque toujours honnêtes et incapables de saisir l’intention des congénères – mais aussi une mémoire exceptionnelle, voire encyclopédique, surtout pour les faits et les détails. Le syndrome d’Asperger toucherait en France environ 400 000 personnes. La plupart ne sont pas diagnostiquées et beaucoup sont sans emploi ou ont un poste très en-deçà de leurs aptitudes.