Nicolas Clément est né à Bourgoin-Jallieu. Il a trait les vaches dans la ferme de son arrière-grand-mère à Biol-le-haut. Cela ne fait pas de lui un écrivain des bêtes, même si l’animalité a sa part dans son premier roman Sauf les fleurs. Il enseigne la philosophie en terminale et en classe préparatoire. Il était invité récemment à la librairie La dérive. Récit d’une rencontre autour de la force des mots.
On saura peu de choses de Nicolas Clément, en dehors de ces rares détails biographiques dont l’un – la traite des vaches – fut lancé à la fois comme une boutade et une fierté de quasi Parisien que l’étable habite toujours. Le nom fait de deux prénoms est de plume, histoire de faire la part entre la vie de prof et l’identité littéraire. Parlons alors plutôt de Marthe, la narratrice de ce court et dense premier roman, Sauf les fleurs. Le titre vient de Beckett : « Je m’en vais tout effacer sauf les fleurs. »* De fait, Marthe a été réduite au silence. Elle note ainsi au début de son récit qu’il lui reste « peu de mots ». La violence du père – « Papa qui fauche notre enfance, fouette nos lèvres » – martyrise les corps et massacre aussi le langage, efface la parole. « Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets. »Des béquilles contre la violence meurtrière
Marthe, dont la voix s’est imposée peu à peu à l’auteur, vit dans une ferme, entre les coups du père et l’amour infini qu’elle voue à sa mère et à son petit frère Léonce. C’est à ce dernier qu’elle écrit, qu’elle s’adresse pour témoigner de son histoire – de leur histoire, depuis un lieu que le lecteur découvre peu avant la fin du roman, et dont je ne dirai rien. Quant à la mère, elle a beau en couvrir les cicatrices par les vêtements qu’elle coud pour elle, Marthe ne pourra rien contre les coups meurtriers du père. Exit la mère donc, qui meurt un journal fourré dans la bouche… Mais bienvenue à l’amour, une des béquilles que l’adolescente puis jeune femme s’invente, pour survivre, sous les traits de Fabien. Quand Marthe s’en va à Baltimore, en compagnie de son amoureux musicien, on pourrait voir dans Sauf les fleurs un roman de résilience. On aurait envie de croire que cette histoire finira bien. Il n’en est rien. Ce livre se révèle à la fois léger et implacable. Léger par l’aérienne et bancale poésie qui habite la langue de Marthe. Connectée aux animaux, à l’herbe, aux nuages, celle-ci use en effet d’images improbables, où se télescopent des ondes étranges. Et finalement pleines de sens. « Ce que j’aime dans un nom, c’est trouver un toit. » Ou, plus loin, « je n’ai pas d’autre choix que ma vie soignée par le désert. » Et tant d’autres que le lecteur s’empresse de souligner pour en savourer l’intense scintillement.Sous le signe d’Eschyle
S’il est en même temps implacable, le roman l’est en effet par l’enchaînement des faits où la rencontre avec un certain livre participe de l’engrenage. Ce livre, c’est L’Orestie, d’Eschyle, que la narratrice découvre grâce à son institutrice. D’abord, elle confond avec échelle, « qui sert à se hisser ». Non contente d’avoir un jour entre les mains ce texte presque sacré – puisque Mademoiselle Nathalie le lit à la récréation –, Marthe s’emploie bientôt à apprendre le grec pour pouvoir traduire Eschyle ! Si Nicolas Clément l’avait voulu, Marthe aurait pu continuer à se hisser, elle serait peut-être devenue une fameuse traductrice, honorée par ses pairs, elle aurait de nombreux élèves, « pour faire leurs preuves ». C’est le souhait qu’elle exprime à un moment, mais l’auteur en décide autrement… A moins que la fin ouverte du roman laisse imaginer qu’un jour, malgré tout, ces rêves deviennent réalité ? Merci à Nicolas Clément de ne pas rétrécir l’espace fictif du lecteur, de tendre son texte comme une proposition, un possible. Et de faire scintiller, dans l’ombre d’une histoire violente, l’éclat de mille sentences poétiques, riches d’espérance… « Lire, écrire, traduire, écrit Marthe, c’est reformer le sein, aérer le fumier d’où sortiront les fleurs derrière chaque tort redressé ». Nicolas Clément est un fameux jardinier. Danielle Maurel * in Têtes mortes, éditions de Minuit, 1972A vos agendas
Nicolas Clément est l’invité de la bibliothèque de Chavanoz le 11 avril prochain à 19h30. Sauf les fleurs fait, par ailleurs, partie de la sélection du prochain Festival du premier roman de Chambéry, qui a lieu du 22 au 25 mai.