
HD95086b ; Son étoile a été occulté pour réduire le halo stellaire.
Les exoplanètes : de la spéculation à la démonstration
L’hypothèse de l’existence de planètes hors du système solaire, qui nous paraît désormais si évidente, n’a pas toujours fait l’unanimité dans la communauté scientifique. A la fin du XX° siècle encore, certains astrophysiciens prétendaient même que notre système solaire pourrait être unique en son genre dans tout l’univers. Beaucoup d’autres jugeaient toutefois tout à fait plausible que, parmi les milliards d’étoiles présentes dans les milliards de galaxies (dont la nôtre) qui composent notre univers, il existe des systèmes étoiles/planètes ressemblant peu ou prou au nôtre. Hélas, les preuves scientifiques manquaient cruellement. En 1992, une équipe avait détecté de probables planètes autour du reliquat d’une étoile : une étoile morte. Ce résultat avait été très controversé mais il est désormais avéré. Il faudra en fait attendre 1995 et les travaux de deux chercheurs suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, pour que soit mise en évidence, à l’observatoire de Haute-Provence, de façon indirecte mais probante, la première planète extérieure à notre système solaire et gravitant autour d’une étoile bien “vivante” et semblable à notre Soleil. Il s’agissait de la planète géante gazeuse, dénommée 51Pegb, située à proximité de l’étoile 51 Pégase, dans la constellation du même nom.Cette première planète n’a donc pas été observée directement. Son existence a été révélée par une méthode dite de variation de la vitesse radiale, fondée sur le déplacement cyclique de son spectre lumineux de l’étoile². Mais, comme le souligne Julien Rameau, doctorant à l’Institut de planétologie et d’astronomie de Grenoble (Ipag) qui a découvert la planète HD95086b, « il faut être prudent dans les interprétations. D’autres phénomènes, comme l’activité magnétique de l’étoile par exemple, peuvent être à l’origine des variations de spectre observées. Heureusement, les astrophysiciens disposent d’indicateurs qui leur permettent de déterminer l’origine physique des variations de la vitesse radiale. En clair, si elles sont dues à l’étoile elle-même ou à la présence d’objets extérieurs à celle-ci : à savoir des planètes ».

Exoplanète2M120 – Vue d’artiste – © ESO
Sans rentrer dans les détails mathématiques et sous réserve de certaines conditions de mesure, cette variation de la vitesse radiale peut permettre une estimation de la masse de la planète.
D’autres méthodes : le transit, l’astrométrie ou encore les microlentilles gravitationnelles, permettent également de mettre indirectement en évidence l’existence de planètes autour d’étoiles et de déterminer certaines de leurs propriétés. Ces méthodes indirectes ont permis de détecter environ un millier d’exoplanètes à ce jour. Et ce nombre croît très rapidement.
L’observation directe de planètes extra-solaires
Les effets physiques analysés, en employant ces méthodes indirectes comme le transit ou les variations des vitesses radiales, ne sont exploitables, en termes de sensibilité, que si les planètes sont des objets très massifs, proches de leur étoile. On les qualifie alors de Jupiter chauds. Ces techniques indirectes ne permettent donc d’étudier, pour l’instant, que les parties internes des systèmes planétaires. Au-delà d’une à deux fois la distance Soleil-Jupiter, la sensibilité est trop faible pour pouvoir mesurer un effet significatif de la planète supposée, sur son étoile.
Le télescope VLT au Chili © ESO

Julien Rameau au VLT © Ipag
De la difficulté d’observer les planètes
Depuis ces premières observations, une vingtaine de planètes situées hors de notre système solaire ont été observées directement. Pourquoi l’observation directe par imagerie qui paraît a priori simple – on regarde dans un télescope et le tour est joué ! – s’est-elle en fait avérée beaucoup plus difficile ? Julien Rameau nous explique qu’il y a trois causes essentielles à cette difficulté : • Les caractéristiques physiques des planètes observées. • L’existence de parasites, sources d’artéfacts conduisant à des interprétations et/ou conclusions erronées. • Et, relié au point précédent, les limites technologiques de la précision des appareils d’observation. On ne peut évidemment pas changer les caractéristiques des planètes. Par exemple, à l’inverse d’une étoile, une planète émet en général peu de lumière, qu’elle provienne de la réflexion de celle de son étoile ou d’une émission thermique. Par contre, on peut contourner cette difficulté intrinsèque en décidant d’observer des étoiles autour desquelles on sait que l’on a le plus de chance de “voir” une planète. Or ces étoiles existent, et les astronomes savent les localiser : il s’agit d’étoiles jeunes. « Dans ce cas, la planète compagnon sera elle aussi jeune, donc plus chaude. En effet une planète est chaude quand elle se forme et, par rayonnement, elle refroidit au cours du temps, comme un plat laissé dehors : par rayonnement. Et c’est ce rayonnement qui est détecté. Une planète jeune sera par conséquent plus lumineuse, et donc plus facilement observable », nous explique le jeune chercheur. On estime ainsi que, lorsque la planète Jupiter était âgée de seulement 100 millions d’années, elle était 1000 fois plus brillante. Étant plus brillantes, les jeunes planètes sont plus facilement décelable dans le halo lumineux qui entoure les étoiles. C’est une condition essentielle pour bien observer une planète. Nous reviendrons plus loin sur ce point crucial du halo stellaire. Trouver ces endroits favorables à l’observation d’exoplanètes est possible parce que les astronomes disposent d’outils théoriques leur permettant d’estimer l’âge d’une étoile : la composition en éléments chimiques comme la proportion de lithium, la vitesse de rotation, la luminosité, son appartenance à un groupe d’étoiles dont l’âge est connu, etc.. En choisissant l’endroit où l’on doit pointer le télescope, on minimise donc la première des trois difficultés mentionnées plus haut. Il en reste néanmoins d’autres à surmonter.Tout d’abord, celle liée à la présence de turbulences dans l’atmosphère terrestre qui peuvent fausser les mesures, voir créer de véritables artefacts, des fausses planètes. Ensuite, une étoile peut être un milliard de fois plus lumineuse que sa planète. Dans ces conditions, on imagine facilement qu’il est impossible de discerner cette dernière noyée dans le halo stellaire.

Naine brune 2M1207 et son compagnon planétaire © ESO
La planète HD95086b, une exoplanète des plus légères
Au cours d’une des nombreuses observations et analyses de données qu’il effectuait dans le cadre de sa thèse, Julien Rameau a eu l’œil attiré par un objet céleste situé à proximité de l’étoile HD95086, répertoriée et dont la masse était connue. Cet objet semblait présenter toutes les caractéristiques d’une planète. Des clichés successifs montraient notamment que l’objet en question se déplaçait de la même manière que l’étoile sur la voute céleste, confirmant qu’il était bien en orbite autour d’elle, et qu’il devait effectivement s’agir d’une planète.
Cet objet, en accord avec la nomenclature internationale, fut appelée HD95086b. Après avoir fait part de ses passionnantes observations à ses directeurs de thèse, Anne-Marie Lagrange et Gaël Chauvin, pionniers en la matière, et avec leur accord enthousiaste, le jeune chercheur décida de concentrer toute son énergie sur l’étude de cet objet.
Les images analysées provenaient de clichés réalisés au VLT (Very Large Telescope), le très grand télescope de l’ESO (Europeen Southern Observatory) situé au Chili. En utilisant un instrument d’optique adaptative très sophistiqué appelé NACO, installé sur l’un des quatre télescopes de 8,2 m de large, les astronomes ont pu s’affranchir de la quasi-totalité des parasites, notamment ceux induits par les turbulences atmosphériques. Ce “nettoyage” a permis d’obtenir des images d’une très grande résolution.

Monture du miroir de 8,2m d’un des quatre télescopes du VLT au Chili © ESO

Vue panoramique du VLT au Chili. © ESO
De nouvelles questions…
Comme souvent en sciences, de nouvelles observations amènent à se poser de nouvelles questions. Ce système HD95086 et son compagnon n’échappent pas à cette règle. Ainsi, d’après les modèles standards établis, et étant donné la distance séparant l’étoile de la planète, on s’attendrait à une masse nettement plus élevée pour cette dernière. Ce paradoxe amène donc les chercheurs à s’interroger sur les mécanismes qui régissent la formation de ces planètes et leur adéquation avec les modèles couramment admis. D’autre part, il semble que pour une planète ayant une température de surface de 700° C, son atmosphère soit anormalement riche en poussière. Nul doute que l’instrument d’optique adaptative de seconde génération, appelé SPHERE, qui sera bientôt adapté sur le VLT permettra de lever en partie les imprécisions et les questionnements actuels. Notamment ceux concernant la genèse de la planète. Il reste dans ce domaine énormément de questions sans réponses, mais ce qui semble d’ores et déjà clair, c’est que notre bon vieux système solaire, celui que nous connaissons le mieux – et pour cause ! – n’est probablement pas le modèle universel. Bien des certitudes devront être réinterrogées. Mais n’est-ce pas là l’essence même de la science ?
Julien Rameau. Chercheur à l’Ipag © Julien Rameau


