Dans le cadre d’une collaboration Internationale, des équipes américaine, allemande et française, incluant des chercheurs de l’Institut Louis Néel à Grenoble, viennent de mettre au point une technique de synthèse originale de graphène. Les rubans de graphène ainsi produits présentent des spécificités physico-chimiques tout à fait révolutionnaires.
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Feuillet de graphène. © consoglobe.com
Le graphène : un matériau qui n’aurait jamais dû exister
Des considérations théoriques élaborées par un certain nombre de mathématiciens et de physiciens et non des moindres, comme Lev Landau, prix Nobel de physique 1962, avaient « démontré » qu’il était impossible de créer un réseau cristallin à deux dimensions, c’est-à-dire, en gros, formé dans un plan. Ce travail est connu sous le terme de « théorème d’impossibilité ». Et pourtant, en 2004, deux physiciens d’origine russe, André Geim et Konstantin Novoselov, travaillant en Grande-Bretagne, ont bel et bien isolé un tel cristal : le graphène. Il s’agit d’un feuillet mono-couche formé d’atomes de carbone arrangés selon un motif hexagonal.
Cette découverte leur vaudra le prix Nobel de physique en 2010. D’un point de vue théorique, on sait maintenant que le « théorème d’impossibilité » ne s’applique pas si le réseau est parcouru d’ondulations, ce qui est le cas du graphène.
Une remarquable qualité structurale
Les chercheurs, américains, français et allemands impliqués dans ce récent travail, publié dans la revue Nature en février, ont synthétisé un ruban de graphène de 40 nanomètres (40 millionième de millimètre) de largeur, à partir d’un cristal de carbure de silicium, préalablement modifié en y « creusant » des nano-tranchées.-
Claire Berger- Institut Neel CNRS-UJF UPR2940-Grenoble-Co-auteure de l’article paru dans Nature. © Gary Meek
Des caractéristiques électroniques étonnantes
Une des conséquences la plus spectaculaire de cette propriété des rubans de graphène ainsi synthétisés, réside dans la mobilité des charges électriques qui y serait supérieure, d’un facteur mille environ, à celle des semi-conducteurs “classiques” en silicium ! Matériau largement utilisés actuellement dans les microprocesseurs des ordinateurs. En plus de ces caractéristiques électroniques étonnantes, ces rubans présentent les mêmes propriétés remarquables que les autres graphènes, comme les nanotubes de carbones. Ce sont des matériaux :- plus durs que le diamant
- les plus fins et les plus légers qui existent
- 200 fois plus résistants à la traction que l’acier
- plus conducteurs que le cuivre
- transparents sans reflets, pliable et déformables…
Structure hexagonale d’un cristal de graphène. © Wikipedia
Le matériau de l’avenir ? Sans doute
Mais ces rubans de graphène présentent un autre avantage considérable sur les autres graphènes connus : ils sont plus simples à synthétiser, en plus grande quantité, et à moindre coût. Ils peuvent donc être produits à grande échelles industriellement. Ils trouvent ou trouveront de nombreuses applications, dans des domaines aussi divers que l’informatique, la médecine, les panneaux solaires ou l’industrie des transports. Nul doute que le graphène occupera une place de plus en plus grande dans notre vie de tous les jours. Il suffit pour s’en convaincre de prendre l’exemple de la voiture électrique. Dans ce secteur automobile, un facteur très limitant est la densité d’énergie embarquée. En gros, c’est une mesure de l’énergie électrique disponible exprimée en Watt.heure par kg du « matériel/matériau » produisant cette énergie. Actuellement, pour stocker l’équivalent énergétique d’un kilo d’essence, il faut au minimum 80 kilos de batterie ! On peut tout à fait imaginer qu’à court terme, grâce au graphène, cet écart se réduise et puisse même peut-être s’inverser. Outre cette amélioration du « rendement énergétique », ces nouvelles nano-technologies présentent d’énormes avantages : le matériau à base de carbone est abondant dans la nature et relativement peu coûteux à produire. Cerise sur le gâteau, il est entièrement biodégradable, ce qui est un plus dans la perspective d’une économie durable, exigeant des voitures propres écologiquement et recyclables. Patrick Seyer Pour en savoir plus : Exceptional ballistic transport in epitaxial grapheme nanoribbons. Jens Baringhaus, Ming Ruan, Frederik Edler, Antonio Tejeda, Muriel Sicot, AminaTaleb‐Ibrahimi, An-Pin Li, Zhigang Jiang, Edward Conrad, Claire Berger, Christoph Tegenkamp, Walt A. de Heer. Nature. Publié en ligne le 5 février 2014.DOI : 10.1038/Nature12952