ENTRETIEN – Vous les avez peut-être déjà croisés sur les quais de l’Isère, où ils ont pris leurs habitudes. Les graffeurs décorent les murs des villes. Parfois les trains. Afin d’en savoir plus sur cet univers méconnu, Place Gre’net a rencontré deux membres du Collectif La Ruche, regroupant une quinzaine de graffeurs de Grenoble, Lyon et Montélimar. Ceux-ci ont souhaité rester anonymes et mettre en avant « le crew » (le collectif) plutôt que les individualités, montrer des peintures plutôt que des visages. Entretien avec des artistes dont le travail colore notre quotidien.
Le graffiti est né dans des ghettos de New-York au début des années 1980 – d’abord sous forme de tag – avant d’arriver en France, il y a une vingtaine d’années. Vous avez débuté peu de temps après. Comment vous est venue cette passion ? Nous avons tous les deux été initiés en regardant des peintures de Sene2* qui a réalisé en 1992 les premières fresques sur Grenoble. Puis nous nous sommes retrouvés avec une bombe de peinture dans les mains… Ça nous a plu de nous exprimer avec cet outil-là, de travailler les couleurs, les lettres, de leur donner du volume. Aujourd’hui, c’est notre exutoire. Ça nous donne de l’énergie. C’est aussi un plaisir de construire des fresques avec des thématiques, de partager ça avec les potes, en sachant que notre travail est éphémère et qu’il ne restera peut-être que quelques semaines. Vous avez créé La Ruche en 2009. Pourquoi ce nom et quel était à l’origine l’objectif de ce collectif de graffeurs ? On a choisi ce nom, La Ruche, parce que cela parle à tout le monde et que le terme n’est pas agressif. Il y avait aussi le délire des abeilles ouvrières, en rapport avec le fait que nous travaillons tous sur un même projet. L’idée, c’était de peindre plus souvent ensemble, de partager, de découvrir aussi d’autres lieux, notamment à Lyon ou Montélimar. L’objectif était aussi de réaliser de belles fresques murales colorées qui se démarquent. A plusieurs, c’est plus facile. Et puis, il y a un état d’esprit, avec l’envie de réaliser toujours des peintures plus grosses, plus belles. Ça nous booste. Il y a beaucoup d’autres collectifs dans la région mais à Grenoble, nous devons réaliser les plus grosses fresques. Cela dit, il n’y a pas une concurrence avec les autres groupes et nous apprécions d’échanger avec eux. Travailler à cinq ou dix demande une certaine organisation. Comment fonctionnez-vous ? Il y a effectivement un gros travail en amont. Souvent, ce sont deux personnes qui lancent une thématique qui évolue ensuite à plusieurs. Chacun va ensuite travailler sur sa production. Certains vont préférer créer le fond, d’autres vont vouloir s’occuper de l’illustration, d’autres du lettrage… Il y a un vrai dialogue et des concessions. C’est un véritable travail d’équipe. Ces œuvres sont-elles porteuses de messages ? Non, nous ne voulons pas transmettre de message. Le seul que nous pourrions porter, c’est « murs blancs, peuple muet ». Notre démarche est esthétique, pas revendicative. Nous nous battons juste pour avoir des espaces pour nous exprimer. On veut d’abord réaliser des peintures qui nous satisfassent. On cherche ensuite plus à ce qu’elles soient regardées par nos pairs que par le grand public, même si cela nous fait également plaisir qu’elles soient appréciées par une plus large communauté. Vous parlez plus volontiers de writting, terme non traduit en français, que de graffiti. Quelle différence faites-vous ? Disons que le graffiti englobe tout et n’importe quoi. Beaucoup de non-initiés font un amalgame. Nous ne nous retrouvons pas dans l’expression « artiste de rue »… Il y a encore peu de temps, nous avons entendu aux informations que des objets religieux avaient été taggés avec des revendications nazies. Ce n’est pas cela un tag. Ce n’est pas le dessin d’une croix gammée. Lorsque nous peignons, sur les quais de l’Isère par exemple, et que certaines personnes s’arrêtent, nous essayons de leur indiquer la différence… Nous ne faisons pas de vandalisme non plus, du moins plus aujourd’hui. Justement, vous avez débuté en dessinant de nuit de manière clandestine. Pourquoi vous êtes-vous mis à peindre en plein jour sur des murs où votre travail est toléré ? C’est plus intéressant en terme de création. Passer quatre heures à dessiner sur un mur, prendre le temps de construire une peinture, c’est plus sympa que de peindre quelque chose en dix minutes, de nuit, sans pouvoir faire la différence entre un jaune et un orange. Certains d’entre nous ont passé plusieurs nuits en garde à vue au poste de police et ont payé des amendes, même s’il y a quinze ans, la législation était un peu plus souple… Aujourd’hui, nous sommes plus sages et nous avons moins de problèmes. Cela dit, il n’y a pas d’arrêté nous autorisant explicitement à repeindre les quais. Le fait que le graffiti soit illégal donne aussi du sens à notre travail. Nous avons tous un côté mauvais garçon… La graffiti est une passion pour vous, mais en vivez-vous ? Certains en partie. Il y a différentes branches dans le graffiti : des créateurs d’œuvres d’art qui sont reconnus comme artistes et exposent en galeries, d’autres qui vivent de la décoration… Nous, nous proposons des prestations, avec des stages de transmission. Nous faisons des performances sur des festivals, l’organisation d’événements (cf. encadré ci-dessous). Il y a aussi toute une économie autour qui n’existait pas il y a dix ans. Certains ont créé des revues, d’autres des lignes de fringues ; d’autres encore ont monté des magasins de vente de bombes de peinture. Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts ? Il y a quelques années, on effectuait des kilomètres avec notre appareil jetable pour prendre en photo un graffiti qui nous plaisait. Aujourd’hui, avec le numérique et Internet, il y en a des centaines d’une même œuvre qui sont accessibles en quelques clics. Cela permet de découvrir facilement d’autres types de peintures à l’autre bout du monde et de se connecter à des personnes avec qui nous ne serions certainement jamais entrés en contact. N’importe qui peut ainsi avoir un aperçu de notre travail. Quel est l’avenir du graff aujourd’hui ? Le graffiti va continuer d’exister. Nous en sommes convaincus mais nous avons un peu de mal avec ces générations de graffeurs éphémères qui prennent une bombe pendant deux-trois ans, avant de se tourner vers une autre activité. Il y a un manque d’assiduité, mais aussi de curiosité de la part de certains graffeurs aujourd’hui. C’est un effet de mode pour certains. Le graff représente tellement pour nous, il nous a tellement apporté que nous avons du mal à comprendre et à accepter certains comportements. Propos recueillis par Nils Louna * Sene2 est un artiste grenoblois qui a notamment participé à la réalisation de la fameuse fresque « Le bruit ou l’odeur », représentant Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Réalisée à l’occasion du second tour des présidentielles, en 2002, celle-ci est visible depuis l’autoroute A480, entre Grenoble et Fontaine. L’artiste a parfois peint les murs de Grenoble sur commande de la mairie.Vous êtes bien urbain
C’est le nom donné au festival de cultures urbaines qui aura lieu du 22 au 27 octobre à Grenoble. L’occasion de mettre à l’honneur le roller, le skateboard, le graff ou le slam, dans une ville qui est le terrain de jeu de toutes ces pratiques. Organisée par les associations Retour de Scène et Contratak Prod, avec des membres de La Ruche, cette première édition jonglera entre performances de hip-hop et graffiti, expositions et concerts. Plus d’infos sur le site de l’évènement Vous êtes bien urbain.