Depuis 2004, la zone franche urbaine (ZFU) de Grenoble, unique en Isère, dynamise le secteur Villeneuve-Village Olympique en attirant les entreprises et en embauchant des habitants des zones urbaines sensibles (Zus) de la ville. Pourtant, à quelques mois de la fin du projet, prévue le 31 décembre 2014, le dispositif ZFU a un goût d’inachevé. Si les entreprises semblent en être les grandes gagnantes, les habitants peinent toujours à être embauchés. Eclairage.
Pacte de relance pour la ville d’Alain Juppé.
L’idée est simple : l’entreprise s’installe dans une zone prédéfinie, à proximité des zones urbaines sensibles (Zus), et bénéficie d’exonérations sociales et fiscales. En contrepartie, elle promet de recruter des salariés issus de ces territoires. Une sorte de discrimination positive en faveur de ces habitants destinée à compenser les inégalités face à l’emploi dans les quartiers. En Isère, c’est en 2004 que le pas a été franchi. La zone franche s’étend alors sur 120 hectares, compte près de 17 000 habitants et devient un terrain d’accueil pour les entreprises désireuses de s’installer sur le territoire défiscalisé couvrant la Villeneuve et le Village Olympique.
Depuis dix ans, plus de 1 300 établissements ont fleuri dans la ZFU. Il faut dire qu’en choisissant de créer leur entreprise ou de la déplacer en zone franche, les entrepreneurs bénéficient d’un coup de pouce financier. “C’est un bon compromis pour pouvoir commencer sans prendre trop de risques”, affirme Maryame Maddahi. En juin 2011, la jeune femme, lauréate du prix Talent des Cités une année plus tôt, n’a pas hésité à installer son institut de beauté dans son quartier de la Villeneuve. Comme elle, de nombreux jeunes entrepreneurs ont sauté le pas et créé leur entreprise, à l’instar de Benjamin Cuier et de Philippe Larguèze, à la tête de FST Handwear, société spécialisée dans la création de gants design.
Comment convaincre facilement une entreprise de s’implanter à deux pas d’un quartier sensible et d’embaucher ses habitants ? En lui promettant de ne pas payer d’impôts pendant cinq ans. C’est sur le principe du donnant-donnant que s’est ainsi créé le dispositif ZFU (zone franche urbaine), lancé en 1996 à l’occasion du « Un intérêt éthique à s’installer en ZFU »
Pour Philippe Larguèze, l’implantation dans la zone franche était une évidence. « Nous avions trois critères dans l’ADN de l’entreprise : créer un produit local innovant, avec des sous-traitants de la région, et nous impliquer socialement par le biais de la ZFU”, précise-t-il. À ses yeux, l’avantage économique n’est, en effet, pas négligeable au démarrage d’une société, mais ce n’est pas tout. « Il y avait également un intérêt éthique à s’installer dans une zone où il n’y a pas beaucoup d’activité », poursuit-il. Cet « intérêt éthique » fait référence à la clause d’embauche locale qui exige qu’un salarié recruté sur deux soit domicilié dans l’une des zones sensibles de Grenoble. Dans son institut de beauté, Maryame Maddahi a ainsi recruté une esthéticienne originaire du quartier de la Villeneuve. “Je n’aurais jamais pu embaucher si je n’avais pas bénéficié des exonérations”, confie-t-elle, ravie de son installation. Même son de cloche du côté de FST Handwear. “À la louche, nous avons fait environ 25 000 euros d’économies depuis la création de notre entreprise, ce qui représente approximativement la part salariale d’une personne », affirme Philippe Larguèze. Grâce à ces économies, ce dernier a pu recruter une graphiste… vivant « une rue à côté » de la zone urbaine sensible. “Nous n’avons pas trouvé la compétence sur le poste que nous recherchions dans la Zus”, se justifie-t-il. Inadéquation entre l’offre et la demande Les entreprises ont en effet du mal à recruter sur le territoire. « Il est difficile de trouver la bonne personne lorsque le périmètre de recrutement se reserre », déplore ainsi Vanessa Roux-Latour, chargée de projet ZFU à la Ville de Grenoble. Et ce malgré les efforts de l’agence Pôle Emploi de Vigny-Musset qui tente de faire le lien entre entreprises et candidats sur le territoire. « Nous essayons de mettre en adéquation la demande d’emploi et les exigences du recruteur », assure ainsi Anne-Lise Ninet, chargée du recrutement de l’agence. « Pour ce faire, nous mobilisons l’ensemble des prestations d’adaptation nécessaires pour pallier au manque d’expérience du candidat ou corriger une légère faiblesse de qualification ». Formations, évaluations en contexte de travail… Tout est fait pour permettre le recrutement du candidat. Mais cela ne suffit pas. « Certaines entreprises ont des difficultés à recruter car elles recherchent des candidats aux qualifications très pointues qui ne correspondent pas à la demande d’emploi de la zone urbaine sensible », reconnaît Anne-Lise Ninet. Car, c’est une autre réalité, les personnes embauchées originaires des Zus de Grenoble le sont rarement pour des postes de cadres. “Ces candidats obtiennent généralement des postes peu qualifiés”, constate Philippe Moreau. « Personne n’embauche pour faire joli » Malgré tout, en janvier 2013, sur les 745 emplois ouvrant droit à exonération, 256 ont bénéficié à des habitants des Zus de l’agglomération. Soit 34,4%. Les acteurs du dispositif s’en félicitent, mais la part reste faible si l’on s’en tient à l’objectif initial de la ZFU précisé dans le texte de loi : “compenser les handicaps économiques et sociaux de certains quartiers”. Il faut dire que le dispositif n’est pas contraignant. « L’employeur nous fait part de son besoin et, lorsque nous diffusons l’offre, la priorité est donnée aux résidents des Zus, mais si l’entreprise fait le choix d’aller au-delà de ce périmètre, cela lui appartient », reconnaît Anne-Lise Ninet. Certains employeurs ne cherchent d’ailleurs pas particulièrement à recruter dans la zone. “Personne n’embauche par plaisir ou pour faire joli. Nous embauchons lorsque nous en avons besoin”, affirme ainsi Philippe Moreau, PDG d’une société de consulting installée en zone franche depuis 2005. Ce dernier n’a embauché aucun salarié venant d’une zone urbaine sensible et n’y est désormais plus obligé, puisque les exonérations sociales et fiscales ne durent que cinq ans. En effet, dans le dispositif ZFU, c’est avant tout l’acte de recrutement qui compte et non l’effectif total de l’entreprise. Un l’employeur peut ainsi rester dans la zone franche sans recruter qui que ce soit. Un contrôle incontrôlable Consciente des limites du dispositif, la mairie imagine d’autres solutions. “Il faut trouver des outils pour aider les entreprises et les demandeurs d’emploi. Beaucoup de jeunes ne savent pas encore qu’ils ont un avantage”, regrette Vanessa Roux-Latour. En revanche, les entreprises sont bien informées sur les privilèges du dispositif de la ZFU… et doivent tout de même rendre des comptes. En effet, le projet impose à chaque société de déclarer le montant de ses revenus, épluché par l’Urssaf et le service des impôts. “C’est terriblement contrôlé », assure M. Moreau. « Toutes les embauches sont déclarées et suivies, entreprise par entreprise. Si l’on ne respecte plus la part obligatoire, on perd la totalité des avantages”. Pourtant, quand il s’agit d’en savoir plus sur les contrôles et les éventuelles dérives, la plupart des acteurs économiques et sociaux font l’autruche. A la mairie, la chargée de projet affirme ainsi ne pas disposer de chiffres pour faire un bilan. « La gestion des exonérations concerne l’Etat. Nous gérons avant tout la partie développement du territoire », précise Vanessa Roux-Latour. Du côté de l’Urssaf, les informations restent confidentielles, notre interlocutrice étant tenue au “secret professionnel”. “Grenoble est assez bonne élève. Peu d’entreprises se sont implantées fictivement ou ont bénéficié d’effets d’aubaine”, nuance Vanessa Roux-Latour. “Les dérives concernent essentiellement des erreurs de calcul”, poursuit-elle, confiante dans le dispositif. Du côté des entreprises, le doute plane. “Nous ne l’avons pas constaté, mais nous imaginons qu’il peut exister des boîtes aux lettres”, suppose Philippe Larguèze. Par boîtes aux lettres, il entend le cas d’entreprises déclarant leur siège social en ZFU, mais n’y travaillant pas. Malgré toutes ces interrogations, le dispositif ZFU permet sans conteste de revaloriser un territoire souvent stigmatisé. “Nous avons contribué à l’amélioration de ce quartier grâce au dynamisme économique”, se félicite ainsi Philippe Moreau. “Cela crée du lien entre les quartiers et les alentours”, assure de son côté Maryame Maddahi, qui voit ces implantations comme une aubaine pour le territoire. « Dans l’ensemble, les entreprises sont satisfaites de leur implantation et ne veulent pas déménager », affirme pour sa part Vanessa Roux-Latour. Car pointe déjà l’horizon 2015 où le dispositif prendra fin. Les sociétés devront alors décider si elles restent sur le territoire sans bénéficier, cette fois, d’avantages fiscaux et sociaux… Emeline Wuilbercq