BILAN – Bercés par des idéaux post-soixante-huitards, les fondateurs de la Villeneuve rêvaient d’une société plus intégrée, plus humaine, à travers une architecture futuriste imaginant de nouveaux moyens de circulation et de vivre-ensemble. Comment ce quartier, dont l’image a été bien écornée par les événements de 2010 et de 2012, a‑t-il évolué au fil des années ?
Porter l’imagination et la mixité sociale au pouvoir. Tel était le rêve du trio d’architectes parisiens visionnaires, mandaté par le maire de l’époque Hubert Dubedout, pour façonner le visage d’un tout nouveau quartier sud, la Villeneuve. Imprégnés des idéaux de 1968, ils décident de façonner un projet urbain ambitieux, inspiré du brutalisme – style architectural anglo-saxon issu du modernisme – et du concept d’unité d’habitation de Le Corbusier. Un projet qui se situe à la pointe des techniques de l’époque, intégrant des innovations telles que des murs-rideaux en aluminium, une collecte de déchets aspirée par éolienne, des coursives et des galeries inventant une nouvelle manière de circuler et de vivre ensemble, ainsi que des équipements sportifs et culturels situés au cœur du quartier.
Du rêve à la désillusion
Mais dans les années 1980, le rêve laisse progressivement place à la désillusion. L’économie s’essouffle alors que les difficultés sociales se concentrent de plus en plus au sein du quartier. La mixité sociale se transforme progressivement en ségrégation sociale, à tel point qu’aujourd’hui, la Villeneuve compte près de 12 000 habitants dont 80% de logements sociaux. « Systématiquement, la municipalité d’Alain Carignon a attribué ces logements aux familles en difficultés qui ne parlaient pas toujours bien le français. Les classes moyennes ont donc commencé à retirer leurs enfants des écoles et à vouloir s’installer ailleurs », se souvient Jean-François Parent, urbaniste responsable du projet de la Villeneuve. A cela s’ajoute une moyenne d’investissements très faible dans l’entretien des locaux : « Quand je suis arrivé à la présidence de l’office HLM, on consacrait seulement l’équivalent de la moitié de la moyenne nationale, qui n’est déjà pas très brillante, à l’entretien du parc immobilier. On ne rattrape pas de tels écarts en l’espace de cinq ans ! », regrette Jean-François Parent.
2000 : les années sombres
La crise économique est aussi passée par là : les difficultés sociales s’accumulant, beaucoup de jeunes du quartier décrochent et le taux de chômage explose. Aujourd’hui, près de 40 % d’entre eux n’ont pas de travail. Peu à peu, la Villeneuve se referme sur elle-même et connaît de plus en plus d’incivilités : nuisances sonores, dégradations, jets d’ordures par les fenêtres. Le bâti se transforme en forteresse, dans laquelle seuls les habitants parviennent à se repérer. Les jeunes se replient dans les coursives. Après la gloire des années 1970, les années 2000 laissent place aux années sombres. Les émeutes suivant la mort du braqueur Karim Boudouda en 2010, ainsi que celle de deux jeunes issus de la cité voisine d’Échirolles, Kevin et Sofiane, en 2012, sont relayées par les médias nationaux, entachant durablement l’image du quartier.
Changer l’image du quartier
Et pourtant, malgré tout, les habitants n’ont pas baissé les bras. Grâce à des associations, des collectifs et des unions de quartiers, la Villeneuve reste un terrain d‘expérimentations sociales. Après les événements de 2010, les habitants ont fondé un collectif, Villeneuve Debout, « pour faire avancer les choses et changer l’image du quartier », précise Camille Chaix, coordinatrice du collectif. Un site internet regroupant l’essentiel de l’actualité et de l’offre associative, Info Villeneuve, a également été mis sur pied, tandis que des centaines de personnes ont participé depuis décembre dernier aux ateliers populaires d’urbanisme (APU) afin de repenser leur quartier. Sur le toit du parking silo qui va bientôt être détruit, ainsi que sur l’emplacement de l’ancien gymnase, les habitants ont planté un jardin collectif et des fleurs. Comme pour se réapproprier l’espace autrement. Ce samedi, les familles prépareront elles-mêmes un banquet pour 1000 personnes. De quoi démontrer que le rêve est toujours là et que la Villeneuve peut se relever.
Marie Lyan
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