INTERVIEW – « A 80 ans passés », Jean-François Parent, urbaniste en chef du projet de la Villeneuve et ex-président de l’office HLM de Grenoble, est l’un des plus anciens habitants du quartier. D’abord locataire, il est ensuite devenu propriétaire d’un appartement niché au 12e étage d’une tour qui surplombe le parc Jean Verlhac. C’est là qu’il nous a reçus, quelques jours avant la fête du 40e anniversaire de la Villeneuve, pour dresser son propre bilan de ce projet utopique et ambitieux.
Depuis la création de la Villeneuve il y a 40 ans, en quoi le climat a‑t-il changé ?
Ce quartier a été marqué par les besoins spécifiques de l’époque, dans une période où la municipalité était portée sur l’innovation sociale. Quarante ans plus tard, la société a beaucoup changé : elle doit faire face à des difficultés économiques et sociales, est aussi plus refermée sur elle-même et plus craintive vis-à-vis de l’innovation.
Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de cette expérience ?
Le principal problème est social : pendant la période Carignon, on a entassé volontairement des gens dans les logements sociaux, ce qui fait qu’on a assisté à un phénomène de concentration des populations ayant des difficultés d’adaptation linguistiques, ou des difficultés économiques et sociales.
Pour quelles raisons êtes-vous fermement opposé au projet de démolition du 50 porté par la municipalité ?
Le fait de détruire soixante logements au numéro 50 ne changera rien ! On dépense des millions pour démolir alors que nous sommes dans une période où il manque encore plus de 10 000 logements ! Il s’agit avant tout d’un coup médiatique. Quand on parle de créer une ouverture, c’est pareil : les galeries actuelles situées au pied des immeubles permettent déjà de voir ce qu’il y a de l’autre côté ! Est-ce que quand vous circulez en ville, vous voyez ce qui est de l’autre côté des bâtiments ?
Avez-vous peur que le projet de réhabilitation dénature l’esprit de la Villeneuve ?
Bien sûr ! Lorsqu’on réadapte des logements, on le fait habituellement dans le respect de leur spécificité architecturale, qui était pour la Villeneuve caractéristique du mouvement moderne. Il n’y a qu’à Grenoble qu’on ne s’en rend pas compte ! Mais le plus grave, c’est que cela ne va rien changer aux problèmes sociaux.
Vous avez pourtant choisi de rester dans le quartier…
Je suis très bien ici ! Je souffre de la situation actuelle, mais ce n’est pas une raison pour déserter ! On ne se refait pas… J’habite ici depuis 1972, date de livraison de la première montée. J’ai toujours cru que la coexistence de logements sociaux et de copropriétés dans le même bâtiment permettait au moins de favoriser une coexistence partielle, une sorte de covoisinage.
Vous reconnaissez que le quartier a évolué. Quels sont les problèmes que vous identifiez ?
On connaît ces problèmes depuis longtemps : les ascenseurs en nombre insuffisants, les coursives trop longues… Il y a des fuites sur les façades dues notamment à un manque d’entretien chronique. Les parkings silos ne fonctionnent pas car ils n’ont jamais été gérés. Il faut donc retrouver un système de gestion et aborder les problèmes dans leur ensemble.
Vous êtes également très critique vis-à-vis de la politique menée par la ville…
L’urbanisme, ce n’est pas de construire et de démolir, mais de réfléchir à pourquoi il y a des difficultés. Et ces difficultés ne se situent souvent que très partiellement dans la forme des bâtiments et majoritairement dans les problèmes sociaux. Il ne faut donc pas croire que c’est en démolissant qu’on va subitement sortir des gens de la pauvreté !
Propos recueillis par ML
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