Si les discussions ne sont pas encore clôturées, trois scénarios qui pourraient s’avérer complémentaires semblent se dégager. Parmi eux, celui d’une Villeneuve « fertile », dans laquelle le parc Jean Verlhac deviendrait un poumon vert du quartier, avec des jardins à vocation sociale et pédagogique ainsi que des terrasses, des balconnières et des toits à végétaliser. « Une dizaine de milliers de mètres carrés pourraient être utilisés pour cultiver. On pourrait devenir un quartier plus vert où l’on entend les oiseaux en ville ! », relaie David Bodinier.
Parmi les idées soulevées au cours des réunions, figurent également la création d’une place aux abords du lac, de paysages ou d’œuvres temporaires par des artistes, voire même d’une antenne de l’Office de Tourisme qui mettrait en valeur l’architecture du quartier à travers des visites… « Cela permettrait d’avoir un autre son de cloche que celui des événements de 2010 dont on parle toute le temps, analyse David Bodinier. Ce sont parfois de petits éléments qui ne nécessitent pas forcément beaucoup de moyens mais qui peuvent changer le cadre de vie », assure-t-il. Il en veut d’ailleurs pour preuve le toit d’un parking silo qui a été récemment réquisitionné par les habitants pour devenir un petit jardin partagé où poussent désormais des tomates, de la menthe, ou encore des fraises… Une douce utopie urbaine, proche du rêve de 1968 ?
Une Villeneuve futuriste
Et s’il s’agissait plutôt d’une Villeneuve futuriste, dans la droite lignée de l’esprit de ses fondateurs ? « On pourrait repenser les façades, qui étaient déjà innovantes à l’époque, en faisant appel à des créations d’art urbain ou de street art », détaille David Bodinier. Selon lui, « cela ferait partie des pistes qui sont partiellement reprises par la mairie qui a déposé un projet auprès de l’Europe afin d’obtenir des financements. L’objectif est de mener des recherches sur de nouveaux matériaux permettant d’économiser de l’énergie sur les façades de l’Arlequin ».
A moins qu’il ne s’agisse d’une Villeneuve contestataire, utilisant le potentiel de sa jeunesse, qui représente aujourd’hui 40% de sa population, pour se réinventer ? « Alors que les expérimentations à la Villeneuve ont inspiré les projets éducatifs que l’on peut retrouver aujourd’hui dans la réforme de l’école, l’idée serait de recréer des espaces pédagogiques où les enfants et les adolescents puissent utiliser l’espace urbain pour apprendre et se retrouver », affirme le coordinateur des APU. Il pointe également le manque de moyens investis dans les infrastructures scolaires : « Le projet de réforme actuelle ne prévoit pas un euro dans les infrastructures scolaires qui sont pourtant très dégradées. L’école des Buttes a déjà brûlé deux fois et le plafond de certaines salles du collège est en très mauvais état », assure-t-il.
Marie Lyan
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ARCHITECTURE – Portée par le dynamisme économique des années 1970, l’architecture de la Villeneuve est le symbole du courant moderniste et futuriste de l’époque avec ses façades colorées, ses murs-rideaux, ses multiples coursives et ses galeries… Pourtant, quarante ans après, cet héritage semble en partie menacé par le projet de réhabilitation de la ville. Une perspective qui divise les habitants.
Lancé depuis une dizaine d’années, le projet de réhabilitation de la ville de Grenoble, soutenu par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), a pris cette année un tournant majeur avec l’annonce de la démolition du bâtiment 50. La destruction de cet ensemble de 60 logements d’ici fin 2013 devrait permettre à la ville d’effectuer une percée, en vue d’ouvrir la Villeneuve sur son voisinage. « Le but est de désenclaver le quartier et de refaire passer une route pour en faciliter l’accès car jusqu’à maintenant, le quartier a été construit de manière un peu autocentré sur lui-même, tourné vers l’intérieur », estime Philippe de Longevialle, adjoint chargé de l’urbanisme à la ville de Grenoble.
Divisés face à ce projet, certains habitants évoquent plutôt « une trouée » défigurant le visage de l’Arlequin. Ceux qui ne se résolvent pas à tirer un trait sur quarante ans d’histoire sont même allés jusqu’à écrire à la ministre du Logement, Cécile Duflot, pour lui faire part de leur opposition à cette démolition. Pour Philippe de Longevialle, les choses sont claires, « il n’est pas possible de faire marche arrière », le 50 sera bien détruit d’ici les prochains mois. « On ne peut pas repousser indéfiniment les choses puisque cela fait partie d’un vaste plan de réhabilitation qui doit contribuer à redessiner le quartier et à l’ouvrir sur l’extérieur. La demande des habitants pour changer leurs conditions de vie était forte, et nous savons que les travaux seront longs », rappelle l’élu.
Vaste plan de réhabilitation
Car d’ici les quinze prochaines années, la ville a concocté un vaste plan de 75 millions d’euros qui comprendra, à terme, la démolition de trois silos, la rénovation thermique de 1800 logements, ainsi que la création d’un nouveau parking, d’un gymnase et d’un pôle jeunesse, tous situés à l’extérieur du quartier. « Tout l’enjeu est de créer des liaisons entre Villeneuve et le reste du tissu urbain. Car lorsque l’on se promène le long de l’Arlequin, on n’a pas une perception facile de ce qui se trouve derrière et on n’imagine pas que l’on passe à côté de l’un des plus beaux parcs de Grenoble !», affirme Philippe de Longevialle.
Au fil des travaux prévus par la ville, la Villeneuve devrait donc prendre un visage plus résidentiel. « Nous allons fermer les coursives, créer de nouveaux ascenseurs et sécuriser les espaces afin qu’il n’y ait plus de gens qui circulent comme c’est le cas aujourd’hui. Il s’agit d’un travail de recomposition interne conséquent, sans compter qu’on va investir en moyenne 70 000 euros par logement dans la rénovation thermique », résume Philippe de Longevialle. Pour les copropriétés, qui représentent 20% des logements présents à la Villeneuve, la ville a lancé des discussions afin de trouver des partenaires pour aider les propriétaires à supporter le coût des travaux.
A terme, le projet de la ville intégrera une remise sur le marché d’une partie des logements sociaux qui auront été réhabilités : « Pour réintroduire de la mixité, nous nous sommes fixés un objectif ambitieux de 50% de logements sociaux, ce qui nous semble la limite à ne pas dépasser pour créer de la mixité ». Un pas considérable lorsque l’on sait que l’on recense aujourd’hui près de 80% de logements sociaux dans le quartier. « Cela impliquera de reloger un certain nombre de locataires sur la Villeneuve ou dans le parc social de la ville dans d’autres quartiers, en fonction du choix des familles », assure l’élu.
Ateliers Populaires d’Urbanisme :
Les habitants réfléchissent à des alternatives
Certains habitants ont décidé de prendre l’avenir de leur quartier en main. Depuis décembre dernier, les Ateliers Populaires d’Urbanisme (APU) mis en place à l’occasion des 40 ans du quartier se remplissent et souhaiter proposer des alternatives au projet actuel.
Tous les mois, une centaine de participants se rencontrent autour de groupes de travail portant sur des problématiques qui les concernent : l’aménagement des espaces verts, la réhabilitation du bâti, l’amélioration du cadre de vie… « Nous partons du principe que la création urbaine doit défendre les intérêts des habitants. C’est pourquoi ces ateliers les rassemblent pour trouver des alternatives au projet urbain actuel », explique David Bodinier, coordinateur et urbaniste de formation. Grâce à ces rencontres, les habitants se prennent à rêver d’un autre visage pour leur quartier, fait de murs végétaux, de jardins partagés, d’art urbain… « Nous avons fait des propositions de travail afin de dresser des scénarios qui donnent du sens. Car on parle beaucoup des frontières physiques, mais il y a aussi les barrières mentales. Et pour cela, il faut faire plus que transformer le bâti, il faut retrouver quel sens aura ce quartier dans les prochaines années », ajoute-t-il.
Des scénarios sur la table
- Bilan – Le rêve d’une société plus intégrée
- Interview – Jean-François Parent : « Ce n’est pas en démolissant qu’on va sortir les gens de la pauvreté »
- Frise interactive – La ViIlleneuve, de 1968 à aujourd’hui