FOCUS – L’avenir sera Réac ou ne sera pas ? Morgan Navarro explore, comme dans le cadre d’une « expérience », son côté obscur à travers son personnage du Réac, qui lui sert autant à dire leurs quatre vérités à ceux qui l’entourent et à ses contemporains qu’à lui-même, par effet de miroir et d’autodérision. L’auteur sera en dédicace pour son ouvrage Ma vie de Réac (éditions Dargaud) à la librairie Momie Folie, ce samedi 26 novembre.
« Non, franchement, qu’a-t-on créé de plus laid qu’une aire de jeux pour enfants depuis l’invention des villes ? » Lorsque le Réac de Morgan Navarro prend la parole au cours d’une réunion citoyenne de quartier, c’est bien rarement pour aller dans le sens de la bien-pensance. Et certains trouveront cela plus que salutaire…
Le personnage du Réac a vu le jour sous la plume du dessinateur grenoblois avec la création d’un blog, « rémunéré au clic », sur le site du Monde. Mais il y a une vie avant le Réac : Morgan Navarro publie des albums de bande dessinée depuis 2002, notamment les aventures de Flipper le Flippé aux éditions, ça ne s’invente pas, des Requins marteaux.
La revanche du Réac
Les Requins marteaux publient un autre pan de l’univers de l’auteur avec, en 2015, Les Voyages de Teddy Beat, « l’ours le mieux léché de la planète ». Satire d’un imaginaire enfantin transposé dans de graveleuses réalités d’adulte – et l’on pense forcément à une filiation avec Crumb et son Fritz The Cat –, les albums relatant les aventures de Teddy Beat ne sont pas à mettre entre toutes les mains !
Peut-être est-ce le cas aussi du Réac, mais pour d’autres raisons. Dans ces récits courts constitués de quelques dessins, ou parfois d’un seul, Morgan Navarro semble dépeindre sa vie quotidienne et ses coups de gueule, son agacement, sa lassitude au sein d’un monde qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend pas.
Une professeure de musique qui enseigne la musique celtique en faisant chanter Manau à ses élèves, une féministe ultra – et odieuse – au sein d’une assemblée de Nuit debout, des femmes voilées de la tête au pied, ou simplement des parents aussi mal élevés que leurs enfants et un monde dominé par la technologie et les selfies… Il serait fastidieux d’établir la liste de tout ce qui fait fulminer le Réac.
« Je le vois comme moi en pire… ou moi en mieux »
Mais faut-il forcément confondre le personnage et son créateur ? « Il a sa personnalité propre, mais je partage beaucoup de choses avec lui, concède Morgan Navarro. Je le vois comme moi en pire… ou moi en mieux. J’ai un dialogue avec ce personnage : parfois, je me dis que vraiment j’exagère, qu’il est de mauvaise foi, et d’autres fois je me dis que c’est moi qui suis trop cool ! »
Le fait est que se positionner comme un “réac” – terme aussi galvaudé par certains que celui de “bobo” – dans le paysage de la BD est pour le moins décalé. « C’est assez général en bande dessinée : on est cool, on est dans le camp du bien, on est forcément anti-raciste, anti-homophobe, c’est trop facile ! » Morgan Navarro le dit : son Réac, c’est aussi une « expérience ». Quitte à sonder nos penchants les moins flatteurs.
« Le but c’est de faire rire avec des choses retenues tout le temps. C’est bien de se retenir, de ne pas faire n’importe quoi, mais j’aime mettre sur la table ce qu’il y a dans ma tête, assume le dessinateur. Il y a des choses dont je ne suis pas fier, d’autres que je défends, mais où est le crime ? Il faut bien montrer cela. Je ne supporte pas la bonne pensée, le combat fait d’avance. »
Un “ vrai ” réac ?
Mais le Réac en est-il vraiment un ? Si les traits d’esprit du personnage peuvent bousculer parfois certaines idées préconçues ou certaines opinions tranchées, on cherchera en vain un fond raciste, sexiste, homophobe, ou quelque haine stupide que ce soit, sous la plume de Morgan Navarro.
Réac parce que plongé dans une Grenoble – jamais citée mais souvent reconnaissable – par trop “boboïsée” et bien-pensante ? « L’entourage du Réac n’est pas exactement le mien, précise Morgan Navarro. C’est vraiment une caricature. J’aurais très bien pu faire un personnage de “bobo” comme ceux qui sont contre le Réac, mais je trouve bien que le personnage soit en minorité, seul contre tous. »
Une manière aussi de le rendre sympathique, même lorsqu’il agace par ses positions. Morgan Navarro use également à profusion de l’autodérision, et bien souvent le principe de réalité ou les arguments de ses contradicteurs ont le dessus. « Si je veux rire des autres, je dois d’abord rire de moi, c’est une règle. Je n’essaye pas de me mettre en valeur : le personnage n’est pas très beau, il est énervé, mais ça me vient assez naturellement, je n’ai pas de problème à rire de moi-même. »
Du second degré… mais pas que
Le Réac n’est pas que sur la Toile : on peut dorénavant retrouver ses planches aux éditions Dargaud, dans l’ouvrage Ma vie de Réac. L’occasion pour Morgan Navarro d’aller à la rencontre de ses lecteurs au cours de séances de signatures.
Quitte à croiser de véritables réacs ? « C’est presque arrivé, confie-t-il. Et ça m’a inspiré une histoire que je vais faire bientôt. »
Tandis que d’autres lecteurs, notamment sur les réseaux sociaux, s’inquiètent parfois que tout ne soit pas à prendre au second degré dans les pensées et opinions du Réac. « Il y a du second degré, mais pas que. Ce n’est pas seulement dire le faux pour avoir le vrai », s’amuser à souligner Morgan Navarro, comme en guise de clin d’œil.
Florent Mathieu
Morgan Navarro sera en dédicace pour son ouvrage Ma vie de Réac (éditions Dargaud) à la librairie Momie Folie, 1 rue Lafayette à Grenoble, samedi 26 novembre à partir de 14 h 30.