PORTRAIT – « Reste » est l’histoire vraie d’un couple qui a tout quitté pour s’installer en France après avoir survécu au génocide khmer rouge racontée par leur fille, Malika Ung. Cette grenobloise de 33 ans revient pour Place Gre’net sur la genèse de son documentaire sonore. Une naissance qui remonte loin dans les racines de la Franco-Cambodgienne.
« J’ai toujours eu peur du vide, celui laissé par mes parents une fois partis. Partis, c’est le mot employé quand quelqu’un est mort au Cambodge », relate Malika Ung, dans son podcast « Reste ».
Ce documentaire sonore revient sur l’histoire de sa famille et notamment de ses parents, arrivés à Grenoble après avoir survécu au génocide khmer rouge. Une histoire primée par la société civile des auteurs multimédias.
Un chemin tortueux jusqu’à la diffusion de son podcast
Installée dans des bureaux partagés place Charpin, quartier de l’Abbaye, la jeune femme de 33 ans revient vers le chemin tortueux qui a mené à la mise en ligne de ce podcast. « Ça fait plusieurs années que je réfléchis à cette histoire. En fait, c’est un sujet très personnel, un sujet qui est très dur à assumer encore aujourd’hui », confie-t-elle.
« À l’heure où l’on se parle, mes parents savent que je fais de la radio depuis un bout de temps. Certes, c’est de la radio associative, donc on n’a pas un audimat de fou. Mais ils n’ont pas du tout conscience des retombées que peut avoir un podcast disponible en ligne. Ils ne savent pas que tout le monde peut les écouter. »
Si le regard des autres se révèle dur à assumer, cette production est aussi une aventure personnelle pour Malika. « J’avais besoin d’aller dans le dur. Pour moi, c’est avant tout un récit personnel et un devoir de mémoire ». Un devoir de mémoire qui manque, selon elle, dans les familles.
« Moi, j’ai appris beaucoup de choses grâce à ce podcast. Avec mes sœurs ou mes cousins, on a la même famille, mais ils ne connaissent rien. Pour défaire les non-dits qui se sont installés dans les familles, il faut un peu tirer les vers du nez et c’est ce que j’ai dû faire pendant des années », raconte-t-elle.
Un podcast pour comprendre la transmission des traumatismes
« J’ai dit à mes parents “En fait, je fais un petit docu sur la transmission des traumatismes.” Mon père est très intéressé par la psychologie et comment on traite les survivants. » Pour Malika, comme pour sa famille, ce podcast a ainsi agi comme une thérapie.
« Finalement, le plus gros travail, il est effectué sur soi. Ca m’a fait me rendre compte que j’ai un passif assez lourd. » Pour Malika, cette prise de conscience a lieu en ce moment même, suite à ses activités de diffusion.
« Deux photos de guerre ont été apposées à mon podcast et cela m’a un peu fait un choc. Je me suis dit, “Wouah ! C’est lourd ton histoire”. C’est quelque chose que j’avais toujours porté et aujourd’hui je réalise un peu plus, en fait ».
C’est la lecture de la bande dessinée Maus qui lui a fait passer le pas. « C’était la première fois que je voyais un récit d’un enfant de survivants, ici de la Shoah. » Malika s’est tout de suite identifiée à la série. « Quand j’étais jeune, j’étais assez passionnée par la Shoah parce que c’était la seule chose à laquelle je pouvais m’identifier. Le père dans Maus est un personnage très marquant et il m’a fait directement penser au mien ».
Une artiste du son pour « laisser plus de place à l’imaginaire »
Au départ, Malika voulait faire une BD comme Maus. Mais cette amoureuse du son est vite revenue vers sa zone de confort. « Je dirais que j’ai tout de suite accroché avec la radio, parce qu’il y a le côté direct. » Un média qu’elle a découvert sur les bancs de l’université de Glendon au Canada.
« On est dans un monde trop visuel et cela me dérange. Il y a beaucoup de clichés qui sont véhiculés par les images que je n’aime pas. Tout ce qui est représentation des personnes racisées, c’est toujours un peu déformé. Le son laisse beaucoup plus de place à l’imaginaire. »
Pour autant, les ondes ne sont pas exemptes de tout défaut. « En France, on a un vrai problème avec les gens qui parlent mal la langue, qui ont un accent ou qui font des petites fautes. Parmi les premiers retours que j’ai eus, c’était “Ah tes parents ont un fort accent.”
Personnellement, je ne m’en rendais même pas compte. Ici, on a un vrai souci de ne pas faire l’effort de comprendre les gens avec un accent, par exemple, soupire la créatrice. Ce n’est pas du tout le cas au Canada. »
« Je me sens autant Cambodgienne que Française »
Le génocide khmer rouge reste assez méconnu en France. Pourtant, Malika Ung n’avait pas envie de l’éluder pour parler du Cambodge autrement. « J’ai un peu une relation d’amour-haine avec le Cambodge. Dans le sens où c’est le pays natal de mes parents, mais aussi celui qui leur a fait connaître la guerre. Quand j’étais plus petite, je rejetais vachement ces origines parce que je voulais être comme les autres. Aujourd’hui, j’apprivoise beaucoup plus ces racines parce que j’ai enfin compris que c’est une richesse. »
Cette paix avec ses origines était nécessaire pour raconter son histoire dans ce podcast. « Quand vous me demandiez “Pourquoi maintenant ?”, je pense que c’est un processus d’accepter cela. Je me sens autant Cambodgienne que Française », affirme la jeune reporter.
Pour autant, ses racines se trouvent aujourd’hui à Grenoble. Des racines qu’elle chérit tout particulièrement. « Grenoble, c’est mon QG. J’adore cette ville, je trouve qu’il y a une culture alternative très importante qui m’inspire beaucoup, de résistance. Et c’est vrai que quand je rentre de vacances et que je vois le Vercors, je me dis “je suis chez moi!” »