Bruits de bottes dans les urnes, bruits d’obus sur les écrans. Plus que jamais portons l’attention à la Vie. A la Paix, entre les hommes et les femmes, de tous les pays et de toutes les nationalités, cultures et religions. C’est la raison d’être de ce million de « pas » offerts cet été entre Drancy et Izieu puis Pont-de-Beauvoisin. Ce n’est qu’une contribution, certes, mais parmi d’autres, dédiée aux enfants du monde à venir.
Un chemin de mémoire
Cette marche fut tout sauf une aventure individuelle. Mais au contraire une expérience commune dédiée à ce qu’il est convenu d’appeler « la Mémoire ». Ce fut moins la marche du souvenir que celle du « revenir ». Faire revenir la mémoire des enfants de Drancy à Izieu ; la mémoire de Fernand Weill de Drancy à Pont-de-Beauvoisin. Une mémoire pour le temps présent : ceux qui vont à l’école, qui vivent avec nous, au milieu de nous. Ceux qui construisent le monde de deux mains. La mémoire n’est pas un concept, mais un souffle. Elle provient des insondables confins de l’humanité. Elle construit l’enfance bien au-delà de ce que l’on peut imaginer. Aucun homme n’existerait sans mémoire. Personne ne vit séparé, isolé de l’humanité. « Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble. » [1] La mémoire est ce ciment, ce filet de contention qui, d’une simple liste à la Schindler, fait une humanité.Une posture « ici et maintenant »
Ce fut une marche, une passerelle dans le temps et dans l’espace. Une posture adulte, déterminée, ferme et douce. Un pont, sans ambigüité, sans concession, sans agressivité. Une marche en France, ici et maintenant. Une présence de 701 km qui « crache à la gueule » [2] de tous les Klaus Barbie et de tous leurs héritiers masqués qui aujourd’hui instrumentalisent la nation, qui font commerce de la religion, de la race, de la différence. Non, la bête immonde, n’est pas « que » dans les cours d’histoire, au Moyen-Age et à l’autre bout du monde. C’est maintenant, ici en France, à Paris, au pays des droits de l’Homme.Une réappropriation
Quitter Drancy, renier la barbarie renaissante. S’associer, se réunir, publiquement dire non, stop, ça suffit. Arrêter le cauchemar, faire demi-tour. Revenir au cœur, chez soi, à Izieu, à Pont-de-Beauvoisin. Se mettre debout. Avec l’écharpe de la République. Prendre la parole. Photographier. Contribuer à ne pas laisser le silence trahir la mémoire. Revenir chez soi, retrouver la Source. Dénier le crime nationalement, religieusement correct. Revenir sur les lieux pour conforter les artisans de mémoire, donc de paix. Non, l’oubli n’aura pas lieu. Ni pour Fernand, arrêté pour seule cause d’identité religieuse le 20 mai 1944 à Pont-de-Beauvoisin, exterminé à Auschwitz. Ni pour les 44 enfants d’Izieu et leurs sept accompagnateurs, arrêtés le 6 avril 1944. Des dizaines de milliers de Fernand furent expulsés hors des frontières française par une législation xénophobe, votée par des élus en appelant au patriotisme et aux valeurs millénaires de l’Europe. Puis finalement exterminés dans le silence généralisé. No comment. Un chemin d’accueilA chaque jour sa route, à chaque nuit son lit : tente, chambre d’hôtes, petits hôtels, gites d’étapes, accueil pèlerins, accueil chrétiens. Un itinéraire d’un mois, ça fait beaucoup d’hébergements et de rencontres. Voici Rolande Charleux. A 84 ans, cette hospitalière de Saint-Pierre-de-Varennes pratique « l’accueil pèlerin » dans sa maison de 62 mètres carrés. Elle fait visiter le village, son église. Elle nous présente au seul commerçant. Elle parle de sa vie avec simplicité, de son mari, de son métier. C’est en quelque sorte l’icône du chemin. Et pourtant. Ses enfants et son entourage ont peur ; ils lui disent de ne plus recevoir, comme ça, des inconnus dans sa maison. Que c’est devenu trop dangereux de nos jours d’ouvrir sa porte à des étrangers. Et qu’il faudrait penser à désinfecter la douche régulièrement. Une pèlerine l’a surnommée « Même pas peur ». La rencontre avec Rolande m’a fait pleurer. A l’image de François d’Assise, cette femme personnifie la simplicité et l’évidence de l’amour. Inoubliable ! Longue vie à toi Rolande. Et, quand le croque-mort t’emportera, qu’il te conduise à travers ciel, au père éternel.
Un chemin de rencontres, de partage, de gratitude
Si la marche est un acte individuel, celle-ci fut voulue comme une aventure humaine : faire, faire savoir, revenir, rencontrer la mémoire ancienne, créer des liens, discuter, rassembler et échanger, des avis pour dialoguer. - Une compagne de vie qui « accompagne » le temps de ses vacances d’été. Joie, respect et gratitude. - Une association internationale de pèlerins – Compostelle Cordoue – attentive et solidaire tout le temps du parcours : avant, pendant, après. - Une association pèlerine en Rhône-Alpes - les amis de saint Jacques – qui relaie l’information. Ultreïa ! - Un acquiescement médiatique : longue interview radio ; deux articles majeurs dans la presse écrite [3] ; plusieurs annonces locales ; un blog… ici même à Place Gre’net ; de nombreux relais réseaux sociaux. - Un ami qui manifeste son désaccord avec cette démarche et qui, les larmes aux yeux, se retire. Merci à lui d’avoir osé le contre-pied. Respect ! - Trois élus de la République personnellement impliqués : deux députés de l’Isère et un maire adjoint. - Quatre personnes sac au dos, sur une ou deux étapes. Bravo. - Sept marcheurs, célèbres et anonymes, ensemble lors de la dernière étapede Izieu à Pont-de-Beauvoisin. - Seize amis sous capuche et parapluie entre Drancy et Paris. Notamment une nièce, un beau-frère, une cousine, un cousin. Quelques fortes lectures de mémoires. - Trente hospitaliers accréditant la démarche sur la crédential. - Trente cinq personnes pour un exceptionnel temps de visite à la Maison d’Izieu. Accueil, compétences pédagogiques, recueillements, convivialité, lecture, résonance d’âme. - Quelques émouvantes surprises venues de loin. - Quarante cinq personnes place de la République à Pont-de-Beauvoisin, dont Raymonde, 84 ans, qui, à l’âge de 12 ans, assistait à la rafle de Fernand. Une grande manifestation de la dignité et de la mémoire, avec de très nombreuses associations locales : Résistance, Vivre Ensemble, Mémoire, Solidarité, etc. - Cent dix mails de soutien au départ et pendant le trajet.
Une Mémoire à venir
Nous oublions trop souvent cette vérité, l’humain est fabriqué pour vivre sur deux pieds. Vivre debout pour installer la conscience, donc la mémoire, dans le corps. Les pèlerins du monde entier peuvent en témoigner : la marche provoque l’ouverture du cœur. Ouverture du cœur. C’est là le vrai défi planétaire des décennies à venir. Alors les murs tomberont.Les générations à venir n’auront pas le choix. Elles ne pourront, comme nous l’avons fait, s’abriter derrière les murs de la peur. Cela fut une étape, peut-être nécessaire hier, mais obsolète demain, compte tenu de l’évolution des communications, des savoirs et des consciences. Il faudra nécessairement vivre la maison ouverte, la main ouverte, le cœur ouvert. De fait, citoyens d’un seul monde, nos enfants sont condamnés. A vivre ensemble.
Mes chers amis,
La Mémoire à venir sait qu’il n’y a pas de choc de civilisation ; mais seulement des chocs de non-civilisés. La Mémoire à venir sait très bien que ce n’est pas parce qu’ils étaient juifs, chrétiens ou musulmans que les hommes se sont exterminés. Mais que, justement, c’est parce qu’ils ne l’étaient pas. [4] André Weill [1] John Donne. Citation sur le mur de la Maison d’Izieu. [2] « Danser en temps de guerre, c’est comme cracher à la gueule du diable. » Hafid Aggoune [3] Lettre 3593 TC du 26 juin 2014 et DL du 28 juin 2014. [4] Fondation « Hommes de Parole. Congrès mondial des imams et rabbins pour la paix.