L'ouverture du cœur est le défi planétaire. Alors les murs tomberont. © André Weill - placegrenet.fr

Retour sur un che­min de mémoire et d’accueil

Retour sur un che­min de mémoire et d’accueil

Bruits de bottes dans les urnes, bruits d’obus sur les écrans. Plus que jamais por­tons l’at­ten­tion à la Vie. A la Paix, entre les hommes et les femmes, de tous les pays et de toutes les natio­na­li­tés, cultures et reli­gions. C’est la rai­son d’être de ce mil­lion de « pas » offerts cet été entre Drancy et Izieu puis Pont-de-Beauvoisin. Ce n’est qu’une contri­bu­tion, certes, mais parmi d’autres, dédiée aux enfants du monde à venir.

Phrase culte de John Donne, choisie par Sabine Zlatyn inscrite au pied du monument à Izieu - Bregnier-Cordon © André Weill

Phrase culte de John Donne, choi­sie par Sabine Zlatyn ins­crite au pied du monu­ment à Izieu – Bregnier-Cordon © André Weill

Un che­min de mémoire 

Cette marche fut tout sauf une aven­ture indi­vi­duelle. Mais au contraire une expé­rience com­mune dédiée à ce qu’il est convenu d’appeler « la Mémoire ». Ce fut moins la marche du sou­ve­nir que celle du « reve­nir ». Faire reve­nir la mémoire des enfants de Drancy à Izieu ; la mémoire de Fernand Weill de Drancy à Pont-de-Beauvoisin. Une mémoire pour le temps pré­sent : ceux qui vont à l’école, qui vivent avec nous, au milieu de nous. Ceux qui construisent le monde de deux mains.
La mémoire n’est pas un concept, mais un souffle. Elle pro­vient des inson­dables confins de l’humanité. Elle construit l’enfance bien au-delà de ce que l’on peut ima­gi­ner. Aucun homme n’existerait sans mémoire. Personne ne vit séparé, isolé de l’humanité. « Aucun homme n’est une île, un tout, com­plet en soi ; tout homme est un frag­ment du conti­nent, une par­tie de l’ensemble. » [1]
La mémoire est ce ciment, ce filet de conten­tion qui, d’une simple liste à la Schindler, fait une humanité.
Un pont entre Drancy et Izieu, entre hier et demain © André Weill

Un pont entre Drancy et Izieu, entre hier et demain © André Weill

Une pos­ture « ici et maintenant »

Ce fut une marche, une pas­se­relle dans le temps et dans l’espace. Une pos­ture adulte, déter­mi­née, ferme et douce. Un pont, sans ambigüité, sans conces­sion, sans agres­si­vité. Une marche en France, ici et main­te­nant. Une pré­sence de 701 km qui « crache à la gueule » [2] de tous les Klaus Barbie et de tous leurs héri­tiers mas­qués qui aujourd’hui ins­tru­men­ta­lisent la nation, qui font com­merce de la reli­gion, de la race, de la différence.
Non, la bête immonde, n’est pas « que » dans les cours d’histoire, au Moyen-Age et à l’autre bout du monde. C’est main­te­nant, ici en France, à Paris, au pays des droits de l’Homme.

28 juin 2014. Sous la pluie, une lecture lente et à voix haute de chaque prénom, nom, âge et pays d'origine © André Weill

28 juin 2014. Sous la pluie, une lec­ture lente et à voix haute de chaque pré­nom, nom, âge et pays d’o­ri­gine © André Weill

Une réap­pro­pria­tion

  Contre la misère, priorité au travail français  Les siècles passent, la xénophobie reste.      © André Weill - Affiche oct. 1941. Musée de la Résistance à Pont-de-Beauvoisin.

Les siècles passent, la xéno­pho­bie reste. © André Weill – Affiche d’oc­tobre 1941. Musée de la Résistance à Pont-de-Beauvoisin.

Quitter Drancy, renier la bar­ba­rie renais­sante. S’associer, se réunir, publi­que­ment dire non, stop, ça suf­fit. Arrêter le cau­che­mar, faire demi-tour. Revenir au cœur, chez soi, à Izieu, à Pont-de-Beauvoisin. Se mettre debout. Avec l’écharpe de la République. Prendre la parole. Photographier. Contribuer à ne pas lais­ser le silence tra­hir la mémoire.
Revenir chez soi, retrou­ver la Source. Dénier le crime natio­na­le­ment, reli­gieu­se­ment cor­rect. Revenir sur les lieux pour confor­ter les arti­sans de mémoire, donc de paix. Non, l’oubli n’aura pas lieu. Ni pour Fernand, arrêté pour seule cause d’identité reli­gieuse le 20 mai 1944 à Pont-de-Beauvoisin, exter­miné à Auschwitz. Ni pour les 44 enfants d’Izieu et leurs sept accom­pa­gna­teurs, arrê­tés le 6 avril 1944. Des dizaines de mil­liers de Fernand furent expul­sés hors des fron­tières fran­çaise par une légis­la­tion xéno­phobe, votée par des élus en appe­lant au patrio­tisme et aux valeurs mil­lé­naires de l’Europe. Puis fina­le­ment exter­mi­nés dans le silence géné­ra­lisé. No comment.
Un che­min d’accueil

A chaque jour sa route, à chaque nuit son lit : tente, chambre d’hôtes, petits hôtels, gites d’étapes, accueil pèle­rins, accueil chré­tiens. Un iti­né­raire d’un mois, ça fait beau­coup d’hébergements et de rencontres.

    Sur le chemin d'Assise, Rolande, hospitalière à St-Pierre -de-Varennes, accueille les pèlerins © André Weill

Sur le che­min d’Assise, Rolande, hos­pi­ta­lière à St-Pierre ‑de-Varennes, accueille les pèle­rins © André Weill

Voici Rolande Charleux. A 84 ans, cette hos­pi­ta­lière de Saint-Pierre-de-Varennes pra­tique « l’accueil pèle­rin » dans sa mai­son de 62 mètres car­rés. Elle fait visi­ter le vil­lage, son église. Elle nous pré­sente au seul com­mer­çant. Elle parle de sa vie avec sim­pli­cité, de son mari, de son métier. C’est en quelque sorte l’icône du chemin.
Et pour­tant. Ses enfants et son entou­rage ont peur ; ils lui disent de ne plus rece­voir, comme ça, des incon­nus dans sa mai­son. Que c’est devenu trop dan­ge­reux de nos jours d’ouvrir sa porte à des étran­gers. Et qu’il fau­drait pen­ser à dés­in­fec­ter la douche régu­liè­re­ment. Une pèle­rine l’a sur­nom­mée « Même pas peur ». La ren­contre avec Rolande m’a fait pleu­rer. A l’image de François d’Assise, cette femme per­son­ni­fie la sim­pli­cité et l’évidence de l’amour. Inoubliable ! Longue vie à toi Rolande. Et, quand le croque-mort t’emportera, qu’il te conduise à tra­vers ciel, au père éternel.

Un che­min de ren­contres, de par­tage, de gratitude


Si la marche est un acte indi­vi­duel, celle-ci fut vou­lue comme une aven­ture humaine : faire, faire savoir, reve­nir, ren­con­trer la mémoire ancienne, créer des liens, dis­cu­ter, ras­sem­bler et échan­ger, des avis pour dialoguer.
- Une com­pagne de vie qui « accom­pagne » le temps de ses vacances d’été. Joie, res­pect et gratitude.
- Une asso­cia­tion inter­na­tio­nale de pèle­rins – Compostelle Cordoue – atten­tive et soli­daire tout le temps du par­cours : avant, pen­dant, après.
- Une asso­cia­tion pèle­rine en Rhône-Alpes - les amis de saint Jacques – qui relaie l’information. Ultreïa !
- Un acquies­ce­ment média­tique : longue inter­view radio ; deux articles majeurs dans la presse écrite [3] ; plu­sieurs annonces locales ; un blog… ici même à Place Gre’net ; de nom­breux relais réseaux sociaux.
- Un ami qui mani­feste son désac­cord avec cette démarche et qui, les larmes aux yeux, se retire. Merci à lui d’avoir osé le contre-pied. Respect !
- Trois élus de la République per­son­nel­le­ment impli­qués : deux dépu­tés de l’Isère et un maire adjoint.
- Quatre per­sonnes sac au dos, sur une ou deux étapes. Bravo.
- Sept mar­cheurs, célèbres et ano­nymes, ensemble lors de la der­nière éta­pede Izieu à Pont-de-Beauvoisin.
- Seize amis sous capuche et para­pluie entre Drancy et Paris. Notamment une nièce, un beau-frère, une cou­sine, un cou­sin. Quelques fortes lec­tures de mémoires.
- Trente hos­pi­ta­liers accré­di­tant la démarche sur la cré­den­tial.
- Trente cinq per­sonnes pour un excep­tion­nel temps de visite à la Maison d’Izieu. Accueil, com­pé­tences péda­go­giques, recueille­ments, convi­via­lité, lec­ture, réso­nance d’âme.
- Quelques émou­vantes sur­prises venues de loin.
    Arrivée le 2 aout 2014 à Pont-de-Beauvoisin, Place de la République, lieu d'arrestation de Fernand Weill le 20 mai 1944 © ANACR Pont-de-Beauvoisin

Arrivée le 2 aout 2014 à Pont-de-Beauvoisin, Place de la République, lieu d’ar­res­ta­tion de Fernand Weill le 20 mai 1944 © ANACR Pont-de-Beauvoisin

- Quarante cinq per­sonnes place de la République à Pont-de-Beauvoisin, dont Raymonde, 84 ans, qui, à l’âge de 12 ans, assis­tait à la rafle de Fernand. Une grande mani­fes­ta­tion de la dignité et de la mémoire, avec de très nom­breuses asso­cia­tions locales : Résistance, Vivre Ensemble, Mémoire, Solidarité, etc.
- Cent dix mails de sou­tien au départ et pen­dant le trajet.

Une Mémoire à venir

Nous oublions trop sou­vent cette vérité, l’humain est fabri­qué pour vivre sur deux pieds. Vivre debout pour ins­tal­ler la conscience, donc la mémoire, dans le corps. Les pèle­rins du monde entier peuvent en témoi­gner : la marche pro­voque l’ou­ver­ture du cœur.

    L'ouverture du cœur est le défi planétaire. Alors les murs tomberont. © André Weill

L’ouverture du cœur est le défi pla­né­taire. Alors les murs tom­be­ront. © André Weill

Ouverture du cœur. C’est là le vrai défi pla­né­taire des décen­nies à venir. Alors les murs tomberont.
Les géné­ra­tions à venir n’auront pas le choix. Elles ne pour­ront, comme nous l’avons fait, s’abriter der­rière les murs de la peur. Cela fut une étape, peut-être néces­saire hier, mais obso­lète demain, compte tenu de l’évolution des com­mu­ni­ca­tions, des savoirs et des consciences. Il fau­dra néces­sai­re­ment vivre la mai­son ouverte, la main ouverte, le cœur ouvert. De fait, citoyens d’un seul monde, nos enfants sont condam­nés. A vivre ensemble.

Mes chers amis,

Geneviève Erramuzpé, directrice, évoque pour les marcheurs et visiteurs la mémoire des enfants d'Izieu © Maison d'Izieu - Dénissa Baudouin

Geneviève Erramuzpé, direc­trice, évoque pour les mar­cheurs et visi­teurs la mémoire des enfants d’Izieu © Maison d’Izieu – Dénissa Baudouin

La Mémoire à venir sait qu’il n’y a pas de choc de civi­li­sa­tion ; mais seule­ment des chocs de non-civilisés.
La Mémoire à venir sait très bien que ce n’est pas parce qu’ils étaient juifs, chré­tiens ou musul­mans que les hommes se sont exter­mi­nés. Mais que, jus­te­ment, c’est parce qu’ils ne l’étaient pas. [4]
André Weill
[1] John Donne. Citation sur le mur de la Maison d’Izieu.
[2] « Danser en temps de guerre, c’est comme cra­cher à la gueule du diable. » Hafid Aggoune
[3] Lettre 3593 TC du 26 juin 2014 et DL du 28 juin 2014.
[4] Fondation « Hommes de Parole. Congrès mon­dial des imams et rab­bins pour la paix.

A. Weill

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