FOCUS – Le Musée de l’Ancien-Évêché de Grenoble accueille l’exposition Vivre le cubisme à Moly-Sabata, du 25 mai au 9 octobre 2022. Une évocation de la communauté d’artistes qui se créa à partir de 1927 dans cette étrange maison au bord du Rhône sur la commune de Sablons… et dont l’esprit perdure encore aujourd’hui.
« Je suis tombée sous le charme de Moly-Sabata en 2003, et depuis je me disais : “Ce n’est pas possible, aucune exposition dans nos musées ?” ». Sylvie Vincent, directrice du Musée de l’Ancien‑Évêché, ne le cache pas : elle avait le projet de raconter la mémoire de la communauté d’artistes qui se créa à Moly-Sabata en 1927 dès sa prise de fonction. C’est chose faite avec Vivre le cubisme à Moly-Sabata, du 25 mai au 9 octobre 2022.
Moly-Sabata ? Une maison située sur les bords du Rhône, sur la commune de Sablons. C’est ici que le peintre cubiste Albert Gleizes s’installa après avoir connu la vie parisienne et fréquenté les grands noms de l’époque, de Picabia à Jean Cocteau. De retour dans sa maison familiale à Serrières (Ardèche), il n’eut qu’à traverser le fleuve pour faire l’acquisition de cette maison pleine de charme, à l’architecture remarquable.
Une communauté artistique… et politique ?
L’objectif d’Albert Gleizes ? Créer une communauté d’artistes, comme celle dont il fit l’expérience entre 1906 et 1908 avec l’Abbaye de Créteil, « association fraternelle d’artistes ». Le premier résident, en exceptant bien sûr Albert Gleizes lui-même, ainsi que son épouse Juliette Roche : Robert Pouyaud, un jeune peintre de 25 ans. Ils seront nombreux à suivre, jusque dans les années 50… et au-delà.
La communauté se veut artistique autant que politique. Imprégné d’anti-capitalisme, Albert Gleizes aspire à une forme d’autonomie, y compris alimentaire, et veut inscrire (avec succès) son projet dans la vie du village qui l’accueille, au plus près de ses habitants. La vie elle-même à Moly-Sabata est régie par des règles strictes. Les hommes y sont en charge des travaux manuels… et les femmes assurent la cuisine et le ménage.
Les années 80 seront difficiles pour Moly-Sabata : en 1980, Juliette Roche décède, plus de 20 ans après son mari. En 1983, un incendie détruit en partie la maison. La fondation Albert-Gleizes verra alors le jour pour permettre sa reconstruction et créer une résidence d’artistes. En 2010, un programme permanent de résidences d’artistes est lancé. En douze ans, la “nouvelle” Moly-Sabata a ainsi accueilli plus de 150 artistes.
Cubisme d’Albert Gleizes, céramiques d’Anne Dangar
C’est ce parcours tumultueux que retrace l’exposition du Musée de l’Ancien-Évêché. À commencer par une salle (presque) intégralement dédiée aux œuvres cubistes d’Albert Gleizes, qui contribua beaucoup au développement de ce courant artistique, annonciateur de l’art moderne. À cette occasion, le Musée se réjouit d’avoir obtenu des prêts d’établissements illustres, comme le Musée d’art moderne ou le Centre Pompidou de Paris.
Mais l’exposition donne aussi la parole à une autre artiste de renom, l’artiste australienne Anne Dangar, qui a rejoint Moly-Sabata en 1930… pour ne plus la quitter, jusqu’à son décès en 1951. « Miss Dangar », comme l’appellent les habitants du village, réalisera de nombreuses céramiques aux motifs ornementaux puisant leur inspiration dans toutes les cultures et toutes les époques. Des céramiques que bien des familles possèdent (et utilisent) encore aujourd’hui.
D’autres résidents sont bien entendu mis à l’honneur. Mais le sujet principal de l’exposition dédiée à Moly-Sabata est bien… Moly-Sabata elle-même. Une aventure humaine et artistique, pas totalement comme les autres. À se demander si, au-delà du cubisme qui fut son “prétexte” fondateur, la maison et communauté Moly-Sabata n’a pas été son propre courant. Pareil à celui du fleuve-frontière qu’elle longe et qui n’a cessé de la bercer hors du temps.