REPORTAGE VIDÉO – Près de 1500 personnes se sont rassemblées place de Verdun à Grenoble, dimanche 18 octobre, pour rendre hommage à Samuel Paty, suite à l’appel de nombreuses organisations syndicales et associatives*. L’enseignant d’histoire-géographie exerçant dans les Yvelines a été décapité le 16 octobre 2020, après avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves.
« J’en ai pleuré ! Je n’ai pas honte de le dire », lâche Damien, enseignant-chercheur à l’Université Grenoble Alpes. Comme lui, plusieurs professeurs font part de leur vive émotion après l’attaque contre Samuel Paty. La tristesse est palpable, place de Verdun. Quelques pancartes émergent de la foule. « Touche pas à ma liberté d’expression », portée par un enfant. « Ne tuez pas nos professeurs », par d’autres.
Et quelques pancartes « Je suis Samuel », en référence au slogan « Je suis Charlie » brandi en 2015 après les attentats contre la rédaction du journal Charlie Hebdo qui avait publié des caricatures du prophète.
Une minute d’applaudissements pour Samuel Paty
Anne-Marie Guillaume, professeur et adhérente du Snes-FSU, prend la parole après une minute d’applaudissements en hommage à Samuel Paty. Sa voix tremblotante résonne dans le haut-parleur. « Aujourd’hui, nous sommes tous réunis pour exprimer notre condamnation de cet acte ignoble, révoltant et scandaleux », s’indigne-t-elle, avant de lancer une minute de silence. « Que notre silence et les valeurs que nous partageons soient plus forts que les actes de barbarie », scande l’enseignante. Les têtes se figent. Les regards – seule partie du visage dévoilée – se baissent.
Reportage : Joël Kermabon
Assise sur le rebord de la fontaine centrale, Stéphanie Pignon, enseignante en maternelle à Rives-sur-Fure (Isère), partage cette émotion. « J’ai vingt-cinq ans de carrière. J’ai été malmenée dix fois », raconte-t-elle.
Des reproches liés au fait qu’elle soit une femme. D’autres sur l’enseignement de la préhistoire ou sur l’évocation des chambres à gaz durant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’elle dispensait des cours à des élève plus âgés. Cela allant jusqu’aux menaces de morts. « On garde en nous. On laisse glisser parce qu’on y croit. Parce que la priorité c’est les enfants, pas nous et nos bobos au cœur », clame-t-elle avec conviction.
« Un avant et un après »
Invité de France Inter à la mi-journée, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, l’a dit : « Il y a un avant et un après. » De même qu’il a réaffirmé son soutien au monde enseignant. Si le temps n’est pas à la polémique, Serge Paillard, enseignant et secrétaire départemental de la FSU Isère, se souvient toutefois du hashtag #pasdevagues lancé l’an dernier pour dénoncer la violence dans certaines classes et le manque d’aide de la hiérarchie.
La peur ne l’emportera pas !
@franceinter @lemondefr @franceinfoplus#QuestionsPolNotre rôle est de transmettre plus que jamais les valeurs de la République :
pic.twitter.com/iGO1NveuML— Jean-Michel Blanquer (@jmblanquer) October 18, 2020
« Ce mouvement l’an dernier semblait dire que tout n’est pas toujours si simple », souligne-t-il. L’émotion le rattrape rapidement. « Notre collègue est décédé parce qu’il faisait son métier. Parce qu’il voulait défendre les valeurs de la République. Ça lui a coûté la vie… », s’émeut le professeur.
« La France nous offre cet espace pour s’exprimer librement, souligne pour sa part Aboubakar Sow, d’origine malienne. Cet espace-là, il ne faut pas qu’on l’étouffe ». Et celui-ci d’insister sur cette liberté fondamentale qu’il ne connaissait pas dans son pays avant d’arriver en France.
Assistant d’éducation et lui-même musulman, il s’inquiète que de tels actes soient commis sous un prétexte religieux. Et craint l’amalgame. « On ne m’a jamais enseigné que parce que X ou Y fait une caricature d’un imam ou d’un prophète, il faut le tuer », tient-il à rappeler.
De nombreuses réactions politiques
Plusieurs écharpes tricolores se distinguent dans la foule, tous bords confondus. Parmi les élus, Yann Mongaburu, conseiller municipal à Grenoble et ex-président du Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise, le conseiller municipal socialiste Olivier Noblecourt, le sénateur EELV Guillaume Gontard ou encore le député LREM Jean-Charles Colas-Roy.
Le chef de l’État rendra quant à lui un hommage national à Samuel Paty le mercredi 21 octobre. « Ils ne passeront pas », a répété la députée Émilie Chalas, comme l’a fait Emmanuel Macron vendredi 16 octobre lors de son allocution. Elle partage sa consternation, son effroi et sa colère. « Je suis outrée. Il faut dire non ! Il faut s’investir au quotidien dans ces combats-là. Ce ne sont pas que des combats de la nation. C’est le combat de chaque citoyen ! », affirme-t-elle.
Le maire de Grenoble, Éric Piolle, partage les mêmes émotions que la députée LREM, mais pas son diagnostic. « Nous continuons ce combat, qui est un combat pour l’humanité. Il n’est pas pris en compte dans une école broyée par la logique néolibérale », analyse-t-il. « Le rapport Odin sur les atteintes à la laïcité date de 2004. En seize ans, pas grand-chose n’a été fait dans ce domaine », se désole le maire.
Un leitmotiv pour les professeurs : continuer d’enseigner
Sylvie Fougères, conseillère municipale de la majorité à la Ville de Grenoble, porte quant à elle en bandoulière une pancarte avec un papier griffonné où est écrit « Arme d’instruction massive », pointé par un stylo. « Sidérée. Je crois que c’est le mot, glisse-t-elle, avec un sentiment de catastrophe pour les valeurs de la République ».
Elle s’interroge. « Aujourd’hui, c’est le temps de l’indignation. Ensuite, il y aura le temps de la discussion. Comment on poursuit son métier d’enseignant en développant les capacités de débat et d’esprit critique de ses élèves ? », questionne la professeure de sciences économiques et sociales.
Elle retrouvera ses classes dans quinze jours, après les vacances. Et prévoit déjà pour sa part un temps de réflexion pour répondre à leurs questions et réactions.
À l’université, les cours se poursuivent cette semaine avant la pause pédagogique de la Toussaint. « Il ne faut pas céder à la passion. Il ne faut pas céder à la haine », insiste Damien. L’enseignant de l’UGA se montre combatif. « On ne baissera pas les bras », assène-t-il.
Tim Buisson
* Snes-FSU, Sgen-CFDT, Unsa Éducation, Snalc, la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE), FIDL, le syndicat lycéen, la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), la Ligue des droits de l’Homme,
avec le soutien de Charlie Hebdo et la participation du Parti socialiste Grenoble, du PCF Isère, de la Ligue de l’enseignement…