FOCUS — Une vidéo mettant en scène des dealers du quartier Mistral équipés d’armes de guerre relance le débat sur la sécurité et le trafic de stupéfiants à Grenoble. Si les opposants Émilie Chalas et Alain Carignon pourfendent la politique de la municipalité, l’adjointe à la Tranquillité publique Maud Tavel condamne les images et appelle à la « coordination ».
Envie d’acheter votre haschich ou votre cocaïne entouré(e) de gros bras armés et cagoulés ? C’est la (curieuse) proposition des dealers du quartier Mistral à Grenoble, via une mise en scène qui fait le tour des réseaux sociaux en cette fin de mois d’août. Visages masqués avec, pour certains, des t‑shirts aux couleurs du quartier, les revendeurs montent la garde armes de guerre à la main, tandis qu’un client vient au guichet chercher sa marchandise.
à #Grenoble, dans le quartier du #Mistral, dans le quartier du Mistral les dealeurs vendent sous la protection d’hommes armés. dans le quartier du Mistral les dealeurs vendent sous la protection d’hommes armés. #Darmanin pic.twitter.com/RgLjpF4Cvr
— Sofiane (@sofianeyanni23) August 26, 2020
Une autre vidéo où les dealers exposent leurs marchandises face caméra a tout autant fait sensation sur Internet. Et soulevé une certaine incompréhension du côté de la justice. Cité par le Dauphiné libéré, le procureur de la République de Grenoble s’interroge ainsi « sur l’intérêt de la diffusion de ces vidéos ». Pas très efficaces au niveau publicitaire, ni dissuasives pour les forces de l’ordre.
Éric Vaillant semble pencher au final pour un message envoyé à des organisations rivales. Sur fond de règlements de comptes à répétition dans l’agglomération grenobloise. Des meurtres ou tentatives de meurtre par armes à feu, accompagnés parfois de véritables guet-apens, qui laissent penser que le trafic de stupéfiants du territoire grenoblois fait l’objet d’importantes luttes de pouvoir clandestines.
Indignation de l’opposition municipale
Sans surprise, les vidéos suscitent l’indignation de la part de l’opposition municipale grenobloise. À commencer par celle d’Émilie Chalas. Dans un communiqué, la conseillère municipale (et députée LREM) fait part de sa « vive émotion » face aux images. « Elles disent qu’à Grenoble il y a des réseaux de trafic de stupéfiants installés. […] Elles disent que l’on sait où ça se passe. Elles disent que ces réseaux ne sont pas inquiétés », analyse-t-elle.
Et d’attaquer sans ambages le maire de Grenoble, très actif ce mois d’août dans les rassemblements politiques estivaux. « Le maire de Grenoble effectue un tour de France des universités d’été et préfère s’intéresser à la campagne présidentielle », ironise la conseillère municipale d’opposition. Pour qui Éric Piolle devrait s’exprimer sur « les violences à Grenoble », avant de communiquer « sur toute sorte de sujet national et même international ».
Alain Carignon ne dit pas autre chose. « Pendant qu’Éric Piolle fait sa promotion personnelle de caméra en caméra, Grenoble est en proie à une délinquance endémique et à une ghettoïsation accélérée et les Grenoblois abandonnés à leur triste sort », écrit le meilleur ennemi du maire de Grenoble. Tout en moquant « la réaction lénifiante de la municipalité qui condamne “les images” […] mais refuse toujours de s’attaquer à la source de cette délinquance ».
Une « mise en scène pas acceptable » pour la Ville de Grenoble
« Réaction lénifiante » ? La Ville de Grenoble n’a émis aucune position officielle sur les fameuses vidéos. Notre demande concernant une possible réaction est par ailleurs restée lettre morte. En revanche, l’adjointe à la Tranquillité publique a pris la parole dans Le Dauphiné libéré. « Cette mise en scène n’est pas acceptable et nous nous réjouissons que la justice et la police s’en soient saisies très rapidement », a déclaré Maud Tavel à nos confrères.
Au-delà de l’étalage des armes et des produits stupéfiants, l’adjointe semble avant tout inquiète pour l’image du quartier. Et émet « une pensée […] à tous ces acteurs qui se mobilisent pour essayer de transformer Mistral au quotidien. […] Or, ces vidéos viennent mettre à mal tous ces engagements », dénonce encore l’élue. Quant aux critiques adressées à la municipalité et au maire de Grenoble sur les questions de sécurité, Maud Tavel estime que « l’heure n’est pas à la division ». Et en appelle à la « coordination ».
Alain Carignon comme Émilie Chalas réclament, pour leur part, des politiques plus offensives. Armement de la police municipale et vidéosurveillance sont au menu des deux communiqués. Avec en prime, côté Carignon, une attention portée aux logements sociaux : « Pourquoi le maire […], président d’Actis, n’intervient jamais quand les délinquants qui menacent sont nommément désignés comme habitant dans des appartements qu’il leur a attribué ? »
Une approche différente de la municipalité grenobloise
« S’il y a bien un sujet qui a interpellé les Grenoblois durant la campagne des élections municipales, c’est celui de la sécurité », considère Émilie Chalas. Pour qui les récents événements confirment cette tendance. L’analyse est-elle la même du côté de la majorité ? Face aux questions de sécurité, le maire de Grenoble a fréquemment rappelé l’État à ses prérogatives. Et demandé une hausse des effectifs policiers dans la capitale des Alpes.
Reste une approche sensiblement différente. Quand deux personnes sont tuées dans une fusillade devant une école du quartier Teisseire en 2016, Éric Piolle en appelle… à un débat sur la légalisation du cannabis. Une solution, juge-t-il, pour lutter contre les trafics. En octobre 2019, Suzanne Dathe, conseillère métropolitaine et municipale, expliquait pour sa part se soucier des conditions de travail des dealers, « quasiment des esclaves ».
Aujourd’hui encore, des membres de la majorité municipale sont « fatigués » de voir une Grenoble décrite comme un coupe-gorge. Lorsque Stéphane Gemmani réitère sa demande d’États généraux de la sécurité, l’adjoint aux Finances de Grenoble Hakim Sabri s’agace sur Facebook : « Venir parler d’insécurité ou dire que n’importe quel Grenoblois peut-être abattu par balles au coin d’une rue, c’est créer de la polémique et salir et ternir l’image de notre ville ».