REPORTAGE – La Ville de Grenoble organisait, ce vendredi 31 juillet, une cérémonie de remise de médailles pour récompenser les habitants de la Villeneuve qui ont sauvé deux jeunes enfants. L’événement, filmé, a fait le tour des médias et des réseaux sociaux. Mais en décidant de remercier en particulier les sauveteurs blessés, la Ville en a frustré d’autres qui se sentent relégués au second plan.
Ce vendredi 31 juillet, le maire de Grenoble Éric Piolle a remis des médailles nominatives à sept habitants de la Villeneuve1Ahtoumani Walid, Guelord Musamar, Mouhsine Sbiti, Elyasse Ben Taleb, Selmi Hechmi, Daniel Ruiznves, Bilal Chemdi afin de les remercier pour leur acte héroïque, ainsi qu’une médaille collective pour récompenser la solidarité dont ont fait preuve, mardi 21 juillet, une vingtaine d’autres habitants2Nordine Guidoum, Salim Laaouad, Billel Rezaiguia, Mehdi Chaieb-Mili, Jafar Tabchiche, Mohamed Asabayev, Allal Lharaig, Nassime Louahchi, Mustafa Damaoui, Christielle Aouali, Fatima Bounoua, Malika Kredmi, Hakim Mekci, Ilyes, Bob Mutombo, Alexandre Mutombo Kabeya, Léon Kassanda.
Ce jour-là sera longtemps gravé dans la mémoire du quartier et, bien entendu, des protagonistes de l’événement. Et pour cause, un groupe d’habitants a concouru à sauver deux jeunes enfants de 3 et 10 ans résidant au troisième étage du 54 galerie de l’Arlequin, dans des circonstances exceptionnelles.
Mais si cette remise de médailles manifeste la reconnaissance de la Ville envers ces habitants, elle génère aussi son lot de frustrations. Quelques habitants dont des sauveteurs eux-mêmes accusent en effet la Ville d’avoir bâclé la cérémonie et mal identifié les héros du sauvetage.
Un événement qui redore le blason du quartier Villeneuve
En leur décernant une médaille honorifique, ce vendredi, la Ville de Grenoble tenait à récompenser le courage et la solidarité exemplaires des habitants de la Villeneuve qui se sont illustrés, mardi 21 juillet, en sauvant deux jeunes enfants.
Repris par les médias nationaux et internationaux comme CNN, la scène filmée a également fait le tour des réseaux sociaux. On y voit deux enfants de 3 et 10 ans se jeter l’un après l’autre dans le vide depuis le balcon de leur appartement, à une quinzaine de mètres du sol.
Un acte inouï de la part de jeunes enfants risquant de périr dans leur appartement en flammes, d’autant que le grand aide son petit frère à sauter. En contrebas, des habitants les réceptionnent, sans hésitation, quitte à se fracturer un bras, une côte etc.
Manque de chance, les sauveteurs n’avaient pas réussi à défoncer la porte de l’appartement que la mère avait refermée à clé en sortant.
En quelques minutes, les habitants ont pris la bonne décision, et convaincu les enfants de sauter. Les pompiers arrivés après le saut du second enfant ont re connu qu’ils n’auraient pas pu les secourir à temps.
Lors de son discours, ce vendredi 31 juillet, le maire Éric Piolle s’est également réjoui que l’événement redore le blason d’un quartier dont la réputation a beaucoup souffert du « discours funeste » prononcé par Nicolas Sarkozy, il y a dix ans, et du « bad buzz des médias nationaux » qui s’en est suivi.
Avant la remise des médailles, très émue, et toujours sous le choc, la mère des enfants a pris la parole pour témoigner de sa reconnaissance éternelle envers tous les habitants à qui elle doit la vie de ses enfants.
« Ils ont couru des risques et ne sont pas mis en avant. C’est anormal ! »
Mais à peine la cérémonie bouclée, l’ambiance a pris une tournure inattendue. La mine défaite, quelques habitants impliqués dans le sauvetage des enfants ont en effet interpellé le maire, à la vue de tous. Des échanges vifs s’en sont suivis, tandis que la garde rapprochée du maire tentait vainement d’empêcher les journalistes de s’approcher.
Motif de ce mouvement d’humeur de la part des habitants de la Villeneuve ? Ces sauveteurs présents le 21 juillet trouvaient scandaleux de n’avoir pas reçu de médaille nominative, en dépit de leur rôle décisif dans le sauvetage des enfants. « Ils ont couru des risques et ne sont pas mis en avant. C’est anormal ! », dénonçaient un peu après Christelle et Fatima, des habitantes du quartier.
De fait, seulement sept personnes ont en effet reçu une médaille à leur nom, la Ville ayant fait le choix de réserver les médailles nominatives aux sauveteurs blessés uniquement. Quant à tous les autres, ayant participé directement au sauvetage ou de manière plus périphérique, ils se sont vu décerner une médaille collective.
À titre d’exemple, Malika fait partie de ce groupe de personnes récompensées collectivement car elle a emmené chez elle les enfants couverts de suie, afin qu’ils puissent se doucher.
« On étaient pour qu’une seule médaille collective soit remise »
« Le problème, ce n’était pas de recevoir une médaille à son nom, s’agace Salim, l’un des sauveteurs de la Villeneuve. On n’a jamais rien demandé. On a sauvé ces enfants et on est repartis à nos affaires. C’est la Ville qui a tenu à ces médailles. On étaient pour qu’une seule médaille collective soit remise, ça aurait été plus juste », estime-t-il, très déçu.
« En gros on est tous partis à la guerre, mais seuls les blessés sont récompensés », conteste, à son tour, Nassime. Ne tenant pas à épiloguer sur le différend, Éric Piolle considère qu’il « fallait faire des choix ». Pour le maire écologiste, cette frustration n’a pas lieu d’être. « Cette reconnaissance est avant tout symbolique. C’est le message à retenir .»
Demeure un aspect non élucidé dans cette histoire de remise de médailles : plusieurs acteurs du sauvetage dénoncent une erreur de casting. Deux des sept médaillés n’auraient en effet pas mérité leur décoration. De son côté, la Ville se défend d’avoir commis un impair. « Nous n’avons pas pu nous tromper », affirme en substance Chloé Pantel, nouvelle adjointe du secteur 6, puisque la Ville s’est rapprochée des sapeurs-pompiers pour recueillir le nom des sauveteurs blessés.
Force est pourtant de constater que la liste remise par les pompiers n’était pas exhaustive et que des noms ont été récupérés autrement. « Des gens sont aussi venus nous voir et nous ont dit “on a participé et on a été blessés”», déclare ainsi une responsable à la Ville. Au lieu de se manifester, Salim et Nassime sont au contraire restés discrets. Ils auraient apprécié que la Ville les contacte, mais le téléphone n’a pas sonné.
Un sans-papiers médaillé
Pour Bilal Chemdi, 30 ans, cette reconnaissance par la Ville présente une saveur toute particulière. La raison en est que cet habitant de la Villeneuve est sans papiers. Sa médaille ne fait d’ailleurs mention ni de son prénom, ni de son nom. Ses amis qui le soutiennent espèrent que son geste héroïque lui permettra de régulariser sa situation.
Séverine Cattiaux
1 Ahtoumani Walid, Guelord Musamar, Mouhsine Sbiti, Elyasse Ben Taleb, Selmi Hechmi, Daniel Ruiznves, Bilal Chemdi
2 Nordine Guidoum, Salim Laaouad, Billel Rezaiguia, Mehdi Chaieb-Mili, Jafar Tabchiche, Mohamed Asabayev, Allal Lharaig, Nassime Louahchi, Mustafa Damaoui, Christelle Aouali, Fatima Bounoua, Malika Kredmi, Hakim Mekci, Ilyes, Bob Mutombo, Alexandre Mutombo Kabeya, Léon Kassanda