FOCUS – Les auto-entrepreneurs, grandes victimes de la crise sanitaire et des mesures de confinement ? L’Adie tire la sonnette d’alarme et interpelle le gouvernement : nombre d’entre eux n’ont pu être éligibles aux mesures d’aide mises en place et se retrouvent en grande difficulté. Tandis qu’un auto-entrepreneur grenoblois de la vente en ligne décrit une activité stoppée net, loin d’un supposé “effet Amazon”.
Quel impact ont eu la crise sanitaire et le confinement sur l’activité des auto-entrepreneurs ? Si des plans d’aide et d’accompagnement ont été annoncés pour des grands secteurs comme le BTP ou le tourisme, la question des travailleurs indépendants semble moins ressortir dans les discours. Ils sont pourtant plus de 3 millions en France. Dont un grand nombre sous le statut de l’auto-entrepreneuriat.
L’oubli n’est évidemment pas total. Dès le mois de mars 2020, le gouvernement créait le Fonds de solidarité national, permettant aux entrepreneurs de prétendre à une aide mensuelle pouvant aller jusqu’à 1 500 euros en fonction de leur perte de chiffre d’affaires. Côté Région, Laurent Wauquiez annonçait le doublement du « prêt artisans et commerçants – Région Auvergne-Rhône-Alpes ». Un prêt à taux zéro allant de 3 000 à 20 000 euros, remboursable sur cinq ans.
« Une partie des gens sur le carreau »
Du côté de l’Adie (association pour le droit à l’initiative économique), on salue les efforts… sans forcément les trouver suffisants. « C’est très bien d’avoir rapidement débloqué un fonds de solidarité. Somme toute, c’est une très bonne intention à l’origine. Le problème, c’est que cela a laissé une partie des gens sur le carreau », estime ainsi Quentin Pereaux, directeur territorial adjoint Isère de l’Adie.
C’est le cas pour la moitié des auto-entrepreneurs suivis par l’association en Isère, soit 700 d’entre eux. Des entrepreneurs dans des situations souvent complexes : la mission de l’Adie consiste à accompagner des créateurs d’entreprise en mal de financements “conventionnels”. Son crédo ? Refuser le « gâchis des talents ». Et faire en sorte que le monde de l’entreprise ne soit pas réservé à « ceux qui ont de l’argent, des diplômes ou des relations ».
Pas de fonds de solidarité pour ces entrepreneurs. Pour quelles raisons ? En mars, le calcul de l’aide se basait sur la perte de chiffre d’affaires, comparé à celui de mars 2019. Une perte qui devait être d’au moins 50 %. De quoi exclure d’emblée les entreprises créées depuis moins d’un an, pourtant touchées en plein démarrage. De quoi exclure aussi ceux qui n’ont pas “assez” perdu pour prétendre à une aide… quand bien même leurs rentrées permettent parfois à peine de couvrir les charges.
Si les conditions ont évolué par la suite, elles demeurent trop restrictives pour l’Adie. « Avec le confinement, la majeure partie des auto-entrepreneurs ont été contraints d’arrêter leur activité. Donc c’est clairement une perte de chiffre d’affaires… et ce sont des charges qui continuent à être payées ! », décrit Quentin Pereaux. Aujourd’hui, l’Adie lance un « plaidoyer pour une relance inclusive ». Et appelle l’État à verser une aide inconditionnelle pour venir au secours de tous les auto-entrepreneurs.
Pas d’effet “Amazon” pour les auto-entrepreneurs en ligne
Quentin Pereaux note toutefois que certaines entreprises ont pu tirer leur épingle du jeu. Épingle est le mot, puisque les artisans dans le domaine de la couture ou du textile ont su se reconvertir dans la fabrication de masques. Les activités de livraison ont, elles aussi, connu un boum impressionnant. Sans oublier les créateurs de sites Internet.
Pas d’effet Amazon* pourtant du côté des auto-entrepreneurs de la vente en ligne. C’est du moins le constat “de terrain” que dresse Robin Jehanno. Le jeune créateur grenoblois de Rex le Dinosaure, boutique en ligne de vêtements, costumes ou accessoires, l’expliquait à Place Gre’net au plus fort de la crise : « Les gens visitent beaucoup le site Internet, mais il y a moins de commandes. » Un costume de tyrannosaure n’est-il pourtant pas l’idéal pour favoriser la distanciation physique ?
De quoi stopper une activité en plein essor, sans pouvoir prétendre au fonds de solidarité, du fait d’une ancienneté insuffisante. L’activité de Robin Jehanno a en effet démarré fin 2019.
L’auto-entrepreneur explique avoir les mêmes remontées de la part de ses confrères marchands en ligne. Au sein du groupe d’entrepreneurs indépendants qu’il fréquente, Robin Johanno s’est par ailleurs livré à un petit sondage. Sur 35 répondants, le résultat est sans appel : une majorité n’a pas demandé l’aide de l’État. Et si la plupart ont constaté une hausse de la fréquentation de leur site, près de la moitié enregistre une baisse de son chiffre d’affaires.
Le retour à un entreprenariat de proximité ?
Les auto-entrepreneurs sont-ils vraiment une priorité ? Signe des temps (ou pas), Place Gre’net n’a pu obtenir aucun interlocuteur auprès de la CCI de Grenoble pour évoquer la question spécifique des travailleurs indépendants. Ceux-ci sont pourtant au cœur d’un mouvement de solidarité, amorcé dès le confinement, avec des initiatives comme celle du brasseur Une petite mousse et la mutualisation de sa logistique de livraison pour les artisans et commerçants.
Du côté de l’Adie, on veut croire en un regain d’intérêt pour « l’entrepreneuriat de proximité ». « Les personnes que nous accompagnons, c’est l’épicier du coin, c’est l’atelier de couture, la laverie, toutes ces activités proches de chez nous », explique Quentin Pereaux. Qui croise les doigts pour le retour à une « économie vertueuse » : « Ça a du sens de re-consommer local, de savoir à qui on achète, qui fait la prestation de services. »
À condition que les entreprises survivent à la crise ? Pas question pour l’Adie de chiffrer le nombre potentiel de faillites. « Ce chiffre, je ne l’ai pas. Ce que je sais, c’est que nous ferons tout pour mettre en place la relance des activités et leur éviter de mettre la clé sous la porte », plaide Quentin Pereaux. Et de conclure en invitant les entrepreneurs à se rendre dans les agences Adie de l’Isère. Toutes de nouveau ouvertes et en mesure d’accueillir du public.
Florent Mathieu
* Avec les mesures de confinement décrétées dans de nombreux pays, les commandes via le site marchand en ligne Amazon ont explosé durant la crise sanitaire.